Jean-Pierre Mocky, cinéaste anticonformiste

Jean-Pierre Mocky, cinéaste anticonformiste

12 août 2019
Cinéma
Jean-Pierre Mocky dans Les Egarés
Jean-Pierre Mocky dans Les Egarés CVC - DR - TCD

Le réalisateur, acteur, producteur et exploitant s’est éteint le 8 août dernier. Il laisse derrière lui une œuvre atypique et pléthorique. Inclassable et rebelle, le cinéaste était une figure incontournable du cinéma français.


Une carrière d’acteur débutée en 1942, dans Les Visiteurs du soir de Marcel Carné, une soixantaine de films réalisés en soixante ans, des activités de producteur et de distributeur qu’il menait avec détermination… Jean-Pierre Mocky incarnait un certain cinéma français, franc-tireur, jubilatoire et satirique.

Jeune premier

Sa vie commence sur un malentendu digne d’un de ses scénarios : la question se pose de savoir si Jean-Pierre Mocky est né en 1929 ou en 1933. Son père, dit-on, aurait falsifié son état civil en 1942 pour le faire paraître plus âgé et lui permettre de prendre le bateau seul pour l’Algérie - ce que le garçon ne fit pas. Quoiqu’il en soit, Jean-Paul Mokiejewski (ses parents étaient polonais) grandit entre Nice et Grasse et c’est aux studios niçois de la Victorine qu’il apparaît pour la première fois devant une caméra : celle de Marcel Carné qui le prend comme figurant sur Les Visiteurs du Soir. Repéré par Pierre Fresnay qui en fait son protégé, il suit les cours de Louis Jouvet au Conservatoire d’Art Dramatique de Paris. Mais, n’arrivant pas à percer en France, malgré son physique avantageux, il s’exile en Italie où Michelangelo Antonioni lui confie un rôle dans Les Vaincus, un film à sketches sorti en 1953. Malgré sa célébrité naissante de l’autre côté des Alpes, le jeune acteur décide de revenir en France à la fin des années 50 pour assouvir un nouveau rêve : la réalisation.

Les années Bourvil

Le premier film signé Jean-Pierre Mocky aurait dû être La Tête contre les murs, son adaptation du livre éponyme d’Hervé Bazin, une plongée glaçante au sein d’un hôpital psychiatrique. Frileuse face à ce nouveau venu qui n’a pas d’expérience, la production lui impose un réalisateur aguerri, Georges Franju (Les Yeux sans visage). Celui-ci signe alors un film aux accents oniriques dans lequel Mocky interprète un jeune homme passionné et instable que son père fait enfermer dans un asile. Sorti début 1959, La Tête contre les murs est un échec malgré un bon accueil critique. Peu importe. Mocky, bien décidé à passer derrière la caméra, a réussi dans l’intervalle à monter son premier film, Les Dragueurs (avec Jacques Charrier et Charles Aznavour (son partenaire dans le film de Franju) en tombeurs invétérés. C’est ce succès qui lance la carrière du cinéaste et semble le placer dans le sillage de la Nouvelle Vague alors balbutiante. Le ton de ce premier long métrage est désenchanté et libre, vaguement autobiographique. Les films suivants, Un couple et Les Vierges creusent ce sillon. Mais en 1963, le cinéaste fait une rencontre décisive : celle d’André Bourvil pour lequel il écrit Un drôle de paroissien, comédie grinçante où son goût de la provocation et de la satire sociale s’expriment pleinement. Dès cette première période, Mocky installe son univers et identifie ses cibles : son cinéma provocateur raille l’armée, la religion et la bourgeoisie. Suivent (toujours avec Bourvil) La Cité de l’indicible peur, La Grande Lessive et L’Etalon (sorti début 70) qui établissent sa réputation de cinéaste anar et libertaire.

Un cinéaste marginal

Dans les années 70, un changement de ton se fait sentir dans ses films. Mocky signe des films noirs aux frontières du fantastique et de la fantaisie, tous marqués par une certaine désillusion. Solo, L’Albatros, Un linceul n’a pas de poches, L’Ibis rouge ou Le piège à cons ne s’embarrassent plus de psychologie et dressent un portrait acerbe de la France post-soixante-huitarde. Mocky (qui incarne parfois lui-même le redresseur de torts) s’attaque frontalement à la bourgeoisie et aux notables dans ses films romantiques et sombres qui, paradoxalement, l’isolent du public. Dans les années 80, ce provocateur notoire s’entoure d’acteurs populaires pour mieux remplir les salles avec des satires débridées. Y a-t-il un Français dans la salle ? (1982), adaptation du roman de Frédéric Dard dans laquelle Victor Lanoux campe un politicien véreux amené à faire amende honorable, est emblématique de cette nouvelle veine. L’acteur est entouré de Jacques Dutronc, Jacqueline Maillan, Michel Galabru, Emmanuelle Riva, Dominique Lavanant, autant de grands noms associés à cette comédie corrosive qui sera l’un des grands succès de sa carrière. Mocky reproduit la formule dans Le Miraculé (1987), Les Saisons du plaisir (1988) et dans Agent trouble (1987), où il offre à Catherine Deneuve un rôle à contre-emploi savoureux : celui d’une vieille fille perdue au cœur d’un complot.

À partir des années 90, boudé par le public et ayant perdu une partie de ses financements, le réalisateur tourne des films à très petits budgets qu’il distribue lui-même dans ses cinémas (Le Brady, Le Desperado). Les résultats (La Candide Madame Duff, Le Furet, Vidange, Touristes ? Oh yes !) sont inégaux, mais Jean-Pierre Mocky reste un cinéaste en colère, une personnalité hors normes, connus pour ses coups de gueule et son caractère volcanique. Il laisse une œuvre inclassable, féroce et humaine, portée par sa bande d’acteurs toujours fidèles.

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