Les Enfants du paradis de Marcel Carné (1945)

Le scénario des Enfants du paradis naît d’une conversation entre Marcel Carné et Jean-Louis Barrault sur un épisode dramatique de la vie du mime Deburau : agressé par un passant ivrogne qui insulte sa femme, Deburau venge son honneur en frappant l'homme à coups de canne et le tue. L’histoire s’appuie aussi sur la vie du poète et truand Larcenaire contrôlé par ses désirs les plus profonds à la vocation littéraire ratée. Le film, apparait sur les écrans en 1945 avec un tournage marqué par l’Occupation allemande. Carné poursuit sa collaboration avec le poète Jacques Prévert qui signe les dialogues magistraux et les phrases poétiques clamées par le personnage de Garance joué par Arletty : « Je ne suis pas belle, je suis vivante, c’est tout » et « Je m’appelle Garance. C’est l’nom d’une fleur ». Les dialogues de Prévert ainsi que la mise en scène portent en eux la trace du réalisme poétique caractéristique du cinéma parlant qui place la parole au centre de la réalisation pour sublimer les enjeux romantiques et dramatiques. Les trois heures de film immergent le spectateur dans un spectacle du parlant face à la force de la pantomime.
Orphée de Jean Cocteau (1950)

Jean Cocteau, à la fois poète, dramaturge, peintre et cinéaste, a souvent pris pour inspiration des contes et mythes que ce soit pour ses textes ou son cinéma. En 1946, il réalise La Belle et la Bête inscrit dans les mémoires pour sa mise en scène poétique. Il commence son cycle sur les poètes en 1930 avec Le Sang d’un poète. Puis, il dédie deux films au mythe d’Orphée, retranscrit à l’époque contemporaine : Orphée (1950) et Le Testament d’Orphée (1960). Ce film, éloigné de tout réalisme, cherche le symbolique et le surréel. Pour tendre vers le mythe, le film possède de très riches effets spéciaux, comme des miroirs liquides et des miroirs qui se brisent. Ces miroirs ont une riche symbolique pour Cocteau qui les caractérise comme « portes par lesquelles entre la mort ». Orphée, représentant des poètes, pour chaque génération, est le miroir de Cocteau. Le cinéaste finit même par incarner le poète dans Le Testament d’Orphée pour se fondre en lui et ainsi ne plus seulement renvoyer à lui.
Pierrot le fou de Jean-Luc Godard (1965)

Pierrot le fou, de Jean-Luc Godard, raconte l’histoire de Ferdinand (Jean-Paul Belmondo) et de son amie Marianne (Anna Karina) poursuivis par des gangsters lors d’une épopée haletante. Ce long métrage, aux allures de film de gangsters et d’action, est surtout doté d’une sensibilité poétique. Jean-Luc Godard se fait poète en dressant le portrait, en arrière-plan, du plus célèbre écrivain maudit du XIXe siècle, Arthur Rimbaud. Le spectateur chemine dans un univers truffé de citations du poète pour une immersion orale dans ses textes. Il va même jusqu’à le porter réellement à l’écran de manière figurative en glissant un portrait en noir et blanc entouré de voyelles de couleurs (une référence à son poème « Voyelles »). La littérature, personnage à part entière de l’œuvre, trône dans les mains et entre les lèvres de Ferdinand que ce soit dans une librairie ou dans son bain. La poésie se glisse en narratrice de l’histoire avec Ferdinand et Marianne citant de célèbres vers pour expliquer leurs aventures à la façon de véritables poètes. Godard, en grand représentant de la Nouvelle Vague, place les mots au centre de son œuvre et non l’action.
Sayat Nova de Sergueï Paradjanov (1969 et 1971)
Sayat Nova est l’histoire d’un poète arménien du XVIIIe siècle non traité sur le mode du biopic traditionnel. Sergueï Paradjanov propose son film, une première fois, en 1969. Puis, en 1971, il revient sur les écrans dans une version remontée et abrégée sous le titre La Couleur de la grenade. Cette réalisation soviétique, inspirée de la vie de Sayat Nova, de son enfance à sa mort, illumine par sa succession de tableaux et sa mise en scène déconcertante, éloignée de la pratique européenne. Cette œuvre picturale aux fulgurances poétiques est tournée en houtsoul (langue des Carpates ukrainiennes) et non doublée en russe afin de s’immerger totalement dans un monde autre méconnaissable à chacun. Le spectateur entre dans la vie du poète mais surtout dans son œuvre poétique durant une succession de portraits tous plus insolites les uns que les autres, aux couleurs, aux décors, à la musique et aux discours extraordinaires.
Bright Star de Jane Campion (2009)

three such days with you I could fill with more delight than fifty common years could ever contain.
Jane Campion s’empare, en 2009, de l’histoire d’amour entre le poète romantique anglais John Keats (Ben Whishaw) et la jeune Fanny Brawne (Abbie Cornish). On y découvre une histoire d’amour tumultueuse entre deux êtres opposés que d’autres cherchent à séparer mais aussi l’écriture poétique motivée par la passion amoureuse. Jane Campion se concentre sur une période brève de la vie du poète mais aussi sur la partie la plus féconde et sinueuse de son œuvre. Cet amour impossible se concluant par la mort du poète, atteint par la tuberculose, dépeint une tragédie pouvant inspirer les plus grands dramaturges et cinéastes à l’instar de Roméo et Juliette. Le poème « Bright Star », utilisé comme titre du film, scande l’œuvre et se retrouve magistralement déclamé par l’actrice Abbie Cornish rendant le poète et ses poèmes immortels. Le spectateur assiste aussi à la difficulté de John Keats à être considéré en tant que véritable poète. Il est fréquemment raillé pour ses poèmes alors qu’il devient, après sa mort, l’un des grands représentants de la poésie romantique anglaise.
Paterson, de Jim Jarmusch (2016)

Have a beer
at the bar
I look down at the glass
and feel glad.
Une boîte d’allumettes, un rayon de soleil sur un mur de briques, des jumeaux assis sur un banc… Dans Paterson, la poésie est et naît dans tout. Nul besoin de la chercher dans de grands sentiments exaltés ou dans d’imposantes visions métaphoriques débordant de lyrisme, elle se niche au contraire dans les petites choses du quotidien. Douzième long métrage de Jim Jarmusch, inspiré à l’origine par un poème de William Carlos Williams, Paterson raconte l’histoire d’un conducteur de bus, Paterson (Adam Driver), vivant avec sa compagne (Golshifteh Farahani) dans la ville de… Paterson, New Jersey. Du réveil au coucher, sa vie obéit à une routine bien réglée qui lui permet de ne pas avoir à réfléchir à ce qu’il va devoir faire mais de le faire, presque par automatisme, et d’être pleinement dans l’instant présent : écouter les conversations des passagers, observer ce qui l’entoure, laisser voguer son esprit et laisser ainsi libre cours à sa créativité. Sur son temps libre, il compose des vers qui viennent, au fur et à mesure de leur évolution, s’inscrire à l’écran. Calme, serein, sans véritable drame ni action, Paterson prend la forme d’un poème, découpé en sept jours comme autant de strophes, dans lequel Jim Jarmusch s’amuse à travailler subtilement sur les répétitions et les variations tout en rendant hommage aux poètes de l’école de New York qu’il affectionne tant (Frank O’Hara, Kenneth Koch, John Ashbery ou encore Ron Padgett, auteur des poèmes qu’écrit Paterson dans le film).