« Le cinéma ouvre l’opéra à un public plus large »

« Le cinéma ouvre l’opéra à un public plus large »

06 juillet 2023
Cinéma
Benjamin Bernheim et Elsa Dreisig dans Romeo et Juliette
Benjamin Bernheim et Elsa Dreisig dans « Roméo et Juliette » Vincent Pontet - OnP

Quelles missions et quels enjeux pour les projections d’opéras et de ballets au cinéma ? Réponses de Nicole Patin, directrice de FRA Cinéma, le distributeur cinéma exclusif de l’Opéra national de Paris récemment à la manette de la retransmission en salles de Roméo et Juliette, le 26 juin dernier, en direct de l’opéra Bastille.


Après onze ans d’activité, quelles grandes évolutions avez pu observer dans votre activité, à savoir les projections en direct d’opéras et de ballets au cinéma ?

Nicole Patin : Il a d’abord fallu constituer notre base de cinémas. Celle-ci a commencé par les salles du réseau UGC, puis s’est agrandie progressivement avec les indépendants et le groupe CGR. Grâce au travail des exploitants, mais aussi à notre propre travail de communication, le public a suivi petit à petit. Nous avons connu une croissance extrêmement intéressante, jusqu’à la pandémie de Covid-19. Une période éprouvante pour le cinéma, mais sans doute encore plus pour l’opéra et le ballet. L’Opéra de Paris a néanmoins continué d’enregistrer des opéras et des ballets sans public, avec des choristes et des musiciens masqués. Après cette crise, l’activité a repris et nous sommes à nouveau dans une phase ascendante. Fin mai, la soirée de ballet consacrée à Maurice Béjart a par exemple connu des scores aussi importants qu’avant le Covid-19 ! Celle autour de George Balanchine avait déjà bien fonctionné, et ce après deux opéras plus difficiles, Les Capulet et les Montaigu de Bellini et Salomé de Richard Strauss.

Comment les œuvres sont-elles choisies ?

Le choix se fait en grande partie sur des critères économiques. Les œuvres sont sélectionnées en fonction de la possibilité de les vendre à une télévision. Car même en remplissant bien les salles, on ne peut pas couvrir le prix d’une captation, qui implique les moyens techniques, la diffusion, les satellites, les sous-titres en cinq langues, les droits artistiques… Si l’économie guide en partie nos choix, l’ambition de proposer des œuvres accessibles au public reste en revanche intacte. Ce type de projections au cinéma permet de vulgariser l’opéra.


Les moyens techniques dont vous disposez ont-ils évolué au fil du temps ?

Pas énormément : dès le départ, nous avons disposé d’importants moyens pour réaliser des captations, dans des maisons comme Bastille ou Garnier. Les spectacles, riches en décors et en participants, ont d’emblée nécessité de nombreuses caméras. Quant à la diffusion, elle se fait par satellite. Ce système à l’œuvre depuis onze ans fonctionne bien : le signal est récupéré par les cinémas via des décodeurs. À l’avenir, on va se diriger progressivement vers une diffusion par internet, sans doute la saison prochaine, ou celle d’après. Les prestataires de services travaillent à rendre l’accès optimal aux flux internet des villes ou des villages les plus petits, où nous disposons de salles partenaires. L’Opéra de Paris possède aussi désormais sa propre structure d’images et de diffusion. Nous sommes équipés à Bastille et à Garnier de moyens techniques intégrés. Presque tous les programmes vont donc pouvoir être bientôt tournés en interne.

Dans combien de salles diffusez-vous vos spectacles ?

En France, nous bénéficions du soutien de 200 à 250 salles indépendantes, sans oublier les réseaux UGC et CGR, À l’étranger, le nombre de nos salles partenaires varie entre 250 et 300. Nous diffusons également nos spectacles en Espagne et en Pologne, mais aussi en Australie, au Canada… Le Met (Metropolitan Opera de New York) reste en revanche le principal diffuseur d’opéras et de ballets aux États-Unis.

Certains metteurs en scène intègrent-ils l’idée que leur travail sera vu au cinéma dans leur mise en scène ?

Non, je ne pense pas, d’autant plus que les opéras, historiquement, étaient déjà filmés pour être retransmis à la télévision. En revanche, les jeunes metteurs en scène s’y intéressent particulièrement et communiquent eux-mêmes sur les projections de leurs œuvres au cinéma – comme Thomas Jolly, dont nous venons de montrer le Roméo et Juliette, monté à Bastille. Quand le chorégraphe Benjamin Millepied est arrivé à l’Opéra de Paris en tant que directeur de la danse en 2014, le cinéma l’intéressait énormément. Il communiquait beaucoup sur ce type de projections pour le grand écran. Quand on fait la captation en direct, les metteurs en scène s’installent en général dans le car vidéo et assistent à la réalisation. Ils sont très concernés et impliqués. Le dispositif leur permet d’ouvrir leur travail à un public plus large, un public qui va bien au-delà des 2000 spectateurs de l’opéra.

Roméo et Juliette

Opéra en cinq actes (1867), d’après Romeo and Juliet de Shakespeare
Direction musicale : Carlo Rizzi
Mise en scène : Thomas Jolly
Captation : Julien Condemine
Coproduction : Opéra national de Paris, Act4

Soutien du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (FSA)  

Le spectacle a été retransmis en direct le 26 juin 2023 à 19h30 sur France.tv/Culturebox et également, avec le concours de FRA cinéma, dans les cinémas UGC, les cinémas CGR et des cinémas indépendants en France et en Europe, et ultérieurement dans le monde entier.