Léonard Keigel : les ombres de la passion

Léonard Keigel : les ombres de la passion

31 janvier 2020
Cinéma
La Dame de pique de Léonard Keigel
La Dame de pique de Léonard Keigel Paris-Cité Production - Les Films Singuliers - T.C.D - DR
Le réalisateur français proche du cinéaste René Clément et de l’écrivain Julien Green - dont il a adapté Léviathan -, vient de s’éteindre à l’âge de 90 ans. Il laisse derrière lui plusieurs longs métrages sombres et fiévreux autour du désespoir amoureux. Portrait d’un homme dans l’ombre.

Biarritz 1949. Festival du Film Maudit. Jean Cocteau, grand ordonnateur de cet évènement éphémère censé redonner un visage neuf au septième art, a regroupé autour de lui des jeunes cinéphiles. Parmi eux, François Truffaut, Eric Rohmer… mais aussi un certain Léonard Keigel, 20 ans à l’époque. Né à Londres, il a été l’un des membres fondateurs du ciné-club qui a donné son nom à cette manifestation biarrote et qui aura réuni pour la première fois les futurs cinéastes de la Nouvelle Vague.
Mais si Truffaut et Rohmer sont aujourd’hui reconnus par les cinéphiles, Keigel, pourtant devenu lui aussi cinéaste, est resté dans l’ombre. Une relative confidentialité qui s’explique à la fois par une carrière peu fournie (quatre longs métrages et deux téléfilms) et par le caractère sombre et désespéré de ses œuvres. Les films de Léonard Keigel sont en effet peuplés de personnages dévorés de l’intérieur par les feux d’une passion destructrice.

Léviathan

Le cinéaste qui a débuté comme assistant réalisateur pour René Clément (Jeux interdits, Monsieur Ripois, Barrage contre le Pacifique…) n’appartenait à aucune bande, évoluant en solitaire. Cela n’a pas empêché des rencontres décisives, comme celle avec l’auteur Julien Green dont il adaptera Léviathan en 1962. Ce qui fut son premier long métrage donne le ton de l’œuvre à venir. Louis Jourdan incarne Paul, un professeur fraîchement installé dans un petit village près de Paris avec sa femme. Très vite, Paul s’intéresse à la jolie Angèle, interprétée par Marie Laforêt, mais apprend qu’elle est la maîtresse d’un autre. Dévoré par la passion et la jalousie, Paul tente de monnayer les faveurs d’Angèle. Face à sa résistance, il l’agresse sauvagement, abuse d’elle et s’enfuit en la laissant pour morte.

Filmé dans un noir et blanc très contrasté, ce drame étouffant et dérangeant parle autant de la domination masculine qu’il dresse un portrait au vitriol d’une petite bourgeoisie cupide et lâche. Dans le dossier de presse du film, Léonard Keigel expliquait : « Ma caméra étudiera minutieusement chaque geste des personnages, les suivra avec le maximum de souplesse, les analysera comme un microscope.. »

Une œuvre à redécouvrir

Ce travail d’entomologiste se retrouve dans le film suivant, La Dame de Pique, en 1965. Julien Green adapte la prose de Pouchkine que Kiegel met en scène. Ils signent un drame ombrageux et pessimiste dont l’action se déroule à la cour de Louis XVI.
Trois ans plus tard, il réalise pour l’ORTF la série en vingt-six épisodes Les Atomistes, où des espions gouvernementaux infiltraient une centrale nucléaire française. Puis il revient au cinéma en 1970 avec Qui ?, un polar tortueux avec Romy Schneider et Maurice Ronet. L’histoire d’un jeu dangereux entre une femme accusée de meurtre et le frère de la victime, amoureux fou de la présumée coupable. Le scénario volontairement complexe rebutera le public. Et il faudra attendre sept ans pour que Keigel signe ce qui sera son ultime long métrage, Une femme, un jour, chronique d’une séparation avec Caroline Cellier et Henri Garcin.

Cinéaste de la tragédie des solitudes humaines, l’œuvre de Léonard Keigel reste à redécouvrir.