Les 35 ans d’Un air de famille

Les 35 ans d’Un air de famille

25 mai 2021
Cinéma
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UN AIR DE FAMILLE Copyright-D.R-
Alors qu’on célèbre ce 24 mai 2021 les 70 ans de la naissance de Jean-Pierre Bacri, retour sur cette pièce de théâtre devenue un grand succès de cinéma sous la direction de Cédric Klapisch.

Jean-Pierre Bacri l’a souvent répété. Une rencontre a été décisive dans sa carrière, celle avec Agnès Jaoui : « Elle m’a apporté une exigence sur le fond et une connaissance de la psychologie. Elle m’a fait comprendre que les gens masquent sans cesse leur propos », expliquait-il à Studio Magazine. « Mes histoires manquaient cruellement de fond et de construction. Je me jetais trop rapidement sur les dialogues. Ma rencontre avec Agnès fut déterminante par rapport à l’exigence, aux motivations psychologiques de mes histoires. » Leur coup d’essai fut un coup de maître. Créée au théâtre La Bruyère en 1991, Cuisine et dépendances va connaître un triomphe public avant de décrocher quatre Molières (spectacle comique, spectacle du théâtre privé, auteurs, metteur en scène). Philippe Muyl en réalisera dans la foulée l’adaptation cinématographique avant qu’Alain Resnais ne fasse appel au duo pour son Smoking/No Smoking, l’adaptation d’Intimate Exchanges du dramaturge britannique Alan Ayckbourn.

Leur succès au cinéma (Smoking/No Smoking leur a valu leur premier César) ne va pas éloigner longtemps Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri du théâtre où on les retrouve dès 1994 avec une nouvelle pièce : Un air de famille. Mise en scène par Stéphan Meldegg, elle va pendant plus d’un an faire les belles heures du théâtre de la Renaissance avant de remporter deux Molières, dont celui du meilleur spectacle comique. On y suit une soirée comme les autres pour la famille Mesnard qui a pour habitude de se réunir chaque vendredi soir dans le bar-restaurant de banlieue tenu par un des fils, Henri. Il y reçoit sa mère, sa sœur, son frère et son épouse. Mais cette soirée va prendre une tournure particulière quand Henri reçoit un coup de fil de sa femme qui lui dit qu’elle ne reviendra pas. Le tandem Jaoui/Bacri scrute ici, dans un mélange d’humour et de gravité, l’univers familial propice à des dysfonctionnements qui ont tendance à se rassembler et se répéter. « Ce qui nous a amusés et intéressés, expliquait Jean-Pierre Bacri, c’était de voir que les gens reproduisent ce que leurs parents leur avaient appris. C’est une des raisons pour lesquelles la science avance tant et les relations humaines si peu. La cellule familiale est un lien privilégié pour faire son apprentissage de l’injustice, du sectarisme et du favoritisme. Il suffit qu’il y ait deux enfants pour que l’un soit préféré à l’autre. Au départ, un enfant, c’est comme une bande magnétique vierge. Qu’imprime-t-on dessus ? Si les parents sont géniaux, des trucs à peu près corrects. Si ce sont des cons, des conneries... Et une fois endoctriné, qu’est-ce qu’on peut changer ? »


Si Alain Poiré a produit la version cinéma de Cuisine et dépendances, c’est au tour de Charles Gassot de donner vie à celle d’Un air de famille, alors que le producteur des premiers Étienne Chatiliez sort tout juste du succès de La Cité de la peur et de Beaumarchais, l’insolent. Avec cette adaptation, Agnès Jaoui pense un temps passer pour la première fois derrière la caméra. Mais l’idée est vite abandonnée, avant même que le nom de Cédric Klapisch s’impose. Repéré pour la qualité de ses courts métrages (Ce qui me meut...), celui-ci avait fait partie des candidats à la réalisation de Cuisine et dépendances avant de signer deux longs métrages, Riens du tout et Le Péril jeune. Dans le premier, il dirigeait Jean-Pierre Darroussin, interprète dans la pièce Un air de famille du garçon de café, seul regard extérieur sur la famille Mesnard. C’est lui qui va faire les présentations. Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui, fans du travail de Cédric Klapisch, l’invitent à voir la pièce en janvier 1995 et, dans la foulée, lui proposent de mettre en scène le film. Le cinéaste accepte sans hésiter malgré une année chargée où il doit notamment tourner Chacun cherche son chat, un film aux antipodes d’Un air de famille : improvisation reine contre dialogues à respecter au mot près, déambulation dans les rues parisiennes contre huis clos en studio. Forcément, les deux projets vont se nourrir mutuellement. Car les auteurs d’Un air de famille ont été clairs. D’emblée, ils ont expliqué à Cédric Klapisch qu’il serait le seul maître à bord et qu’il pourrait faire ce qu’il souhaitait de la pièce.

Le cinéaste décide de ne pas briser le huis clos originel, choisissant ainsi l’exercice de style où il faut à la fois alléger certaines conventions théâtrales sans pour autant casser la mécanique de précision. Un travail d’équilibriste rendu possible par la connivence immédiate entre le trio. « C’était très troublant à quel point il y a eu immédiatement, sans jeu de mots, un air de famille entre nous », expliquait le réalisateur à l’époque à Studio Magazine. « Nous rigolons des mêmes choses, nous avons les mêmes opinions sur la politique, le cinéma, le théâtre... Nous étions faits pour nous rencontrer ! » Côté casting, les acteurs qui ont créé la pièce retrouvent leurs rôles sur grand écran : Jean-Pierre Bacri, Henri ; Agnès Jaoui, Betty, sa petite sœur rebelle ; Claire Maurier (la mère de Jean-Pierre Léaud dans Les Quatre Cents Coups) leur maman ; Wladimir Yordanoff (qui a rencontré Bacri et Jaoui grâce à une amie commune, Zabou Breitman, héroïne de Cuisine et dépendances), Philippe, le frère qui « a réussi » ; Catherine Frot (qui fera le doublé Molière et César du second rôle féminin), sa femme Yoyo et Jean-Pierre Darroussin, Denis, le garçon de café.

« Le pari était de faire mieux et moins drôle que la pièce » confiait Jean-Pierre Bacri à Première à la sortie d’Un air de famille, « même si, pour nous, cette pièce a toujours été “plombée”, car on l’avait voulu ainsi pour montrer qu’en famille, on est toujours coincé, assigné à un rôle. » « C’est structurant et épouvantablement angoissant », complétait Agnès Jaoui. « Même si tu t’entends bien avec ta famille, tu as souvent cette sensation de “toujours la même chose”. » Cédric Klapisch s’est spontanément positionné sur la même longueur d’onde. « On s’est tout de suite entendu sur le fait qu’on peut faire réfléchir en étant léger. À mes yeux, l’organisation de cette famille, c’est une métaphore directe de la société. J’aime bien qu’on puisse lire Un air de famille d’une façon sociale. »

Pour créer dans les studios de Stains (qui accueillent aussi la même année le tournage du Bernie d’Albert Dupontel) le décor de ce restaurant-bar de banlieue où se situe la quasi-totalité de l’action, Cédric Klapisch a fait appel au chef décorateur François Emmanuelli qui l’avait déjà accompagné sur Le Péril jeune et Chacun cherche son chat en duo avec Périne Barre (Indochine). Côté lumière, c’est là encore un fidèle du réalisateur, Benoît Delhomme, qui est aux commandes. Le résultat séduira en France (près de 2,5 millions d’entrées) comme à l’étranger (Grand Prix et Prix du public au festival de Montréal) avant de remporter trois César dont celui du meilleur scénario.

La pièce, qui se jouait toujours en parallèle du tournage (Jean-Pierre Darroussin, Claire Maurier et Vladimir Yordanoff passaient tous les jours du plateau de Stains à la scène), connaîtra une nouvelle vie en 2017 au théâtre de la Porte Saint-Martin avec cette fois Agnès Jaoui à la mise en scène et Grégory Gadebois, Nina Meurisse, Léa Drucker, Laurent Capelluto, Jean-Baptiste Marcenac et Catherine Hiegel dans les rôles principaux. Une fois encore, le succès sera au rendez-vous.