« Les Dames du Bois de Boulogne », récit d’un tournage mouvementé

« Les Dames du Bois de Boulogne », récit d’un tournage mouvementé

30 juillet 2018
Les Dames du Bois de Boulogne de Robert Bresson (1945)
Les Dames du Bois de Boulogne de Robert Bresson (1945) TF1-Droits-Audiovisuels, Les-Acacias-Films

Alors que ressort en salles, ce mercredi 1er août 2018, Les Dames du Bois de Boulogne, retour sur le tournage difficile de ce film renié par son réalisateur, Robert Bresson.


Sorti en 1945, Les Dames du Bois de Boulogne reprend le chemin des salles obscures ce 1er août 2018. Le film, qui a bénéficié de l'aide du CNC à la numérisation des films de patrimoine, est le deuxième long métrage réalisé par Robert Bresson après Les Anges du péché (1943). Dans Les Dames du Bois de Boulogne, qui rassemble Maria Casares, Elina Labourdette et Paul Bernard, Robert Bresson met en lumière la vengeance d'une femme, Hélène. Délaissée par son amant Jean, elle décide de lui tendre un piège en lui faisant rencontrer Agnès, une jeune prostituée qui est la fille d'une amie. Une jeune femme qui fait tourner la tête de Jean au point de lui donner des envies de mariage.

Conçu dans un style moderne tranchant avec les modèles de l'époque, Les Dames du Bois de Boulogne a été tourné dans des conditions difficiles. Le premier « Moteur » a en effet été lancé en avril 1944, à une époque où la France était encore occupée par l'Armée allemande. Entre les alertes de bombardement et les règles de vie sous l'Occupation, le réalisateur et son équipe ont dû s'adapter. Le tournage a d'ailleurs été interrompu pendant la Libération de Paris (19 au 25 août 1944) avant de reprendre avec une nouvelle équipe technique.

La Seconde Guerre mondiale a également eu des conséquences sur certains choix créatifs de Robert Bresson. Mobilisé pendant le conflit, le cinéaste a été fait prisonnier pendant un an. Une captivité qui, à son retour, a bouleversé sa vision de l'époque. «A ce moment-là (du tournage ndlr), j'avais été prisonnier. Le présent n'était pas situé par rapport à la mode et au genre d'envie qu'on peut avoir à Paris. J'étais décalé par rapport à l'époque. On m'a reproché d'avoir mis en scène des gens au mode de vie et richesse impossibles pour l'époque », a d'ailleurs confié le réalisateur en mai 1972 lors d'un entretien vidéo accordé à Au cinéma, ce soir

Un « doux tyran »

Le contexte historique n'est pas la seule difficulté rencontrée par l'équipe sur le tournage du film, longtemps renié par Robert Bresson qui le trouvait « très mauvais ».  L'exigence du réalisateur, qui travaillait encore à l'époque avec des acteurs professionnels et non amateurs, a été difficile à supporter pour ses comédiens, notamment Maria Casares qui incarnait Hélène. «Sur le plateau, c'est le véritable tyran voulant se substituer à tout, exigeant au mètre près, demandant qu'une scène soit dite comme ça, exigeant qu'un regard se lève d'une certaine manière. Il accepterait même de garder quelqu'un comme une machine qu'on fabriquerait pour arriver devant la caméra », a ainsi confié l'actrice en février 1958 dans l'émission Gros Plan.

«Je l'ai vu se promener devant moi pendant 20 minutes répétant une phrase que je devais dire et cherchant l'intonation qu'il trouvait juste pour me l'inculquer ensuite », a-t-elle poursuivi en s'interrogeant sur le fait que le comédien devenait « robot ou marionnette ». Pour suivre les conseils de Robert Bresson, Maria Casares et Lucienne Bogaert (Madame D dans le film) buvaient « tremblantes de peur », « verre de fine sur verre de fine ». « Il nous saoulait pour venir à bout de nos nerfs, de notre personnalité », a souligné la comédienne dans Gros Plan. «(…) vaincus, épuisés, vidés, presque tous les acteurs abandonnions, en rentrant dans le studio, notre vie personnelle pour trainer devant le doux tyran, car il était doux, un corps, des mains qu'on avait choisis comme on achète un bibelot », a-t-elle expliqué avant d'avouer qu'elle « n'avait jamais haï quelqu'un comme elle avait haï Bresson sur le plateau. » Exigeant sur le « parlé » de ses comédiens, Bresson a finalement choisi dans ses œuvres suivantes de faire appel à des acteurs non-professionnels, réussissant à merveille le « jeu anti-théâtral » qu'il recherchait.