Louis Malle, cinéaste de tous les contrastes

Louis Malle, cinéaste de tous les contrastes

« Ascenseur pour l'échafaud » de Louis Malle.
« Ascenseur pour l'échafaud » de Louis Malle.

Alors que la première partie de la rétrospective Louis Malle, gentleman provocateur propose six films du réalisateur à voir ou revoir en salles, retour sur les œuvres qui ont marqué un tournant décisif dans la carrière du cinéaste.


Ascenseur pour l’échafaud (1958)

Fils d’une riche famille d’industriels du nord de la France, Louis Malle intègre Sciences Po avant d’entrer à l’IDHEC. Engagé comme assistant de l’explorateur océanographe Jacques-Yves Cousteau, Louis Malle va coréaliser avec lui Le Monde du silence, documentaire sur les fonds marins qui obtient la Palme d’or en 1956. Ascenseur pour l’échafaud est son premier long métrage de fiction. Le scénario est une adaptation d’un roman de Noël Calef que le jeune cinéaste a confié à l’écrivain « Hussard » Roger Nimier. Même si Louis Malle n’appartient à pas la bande dite des Cahiers du cinéma, on peut considérer son film comme le premier de la Nouvelle Vague. Portée par la beauté tragique de Jeanne Moreau, le noir et blanc électrique d’Henri Decae et les accords jazzy de Miles Davis, la mise en scène très libre accompagne les errements du cœur de son héroïne. Cette dernière est à la recherche de son amant criminel (Maurice Ronet). Pour Louis Malle, sa rencontre avec Jeanne Moreau, qu’il fera bientôt tourner dans Les Amants (1958), Le Feu follet (1963) ou encore Viva Maria ! (1965), est une révélation. « Jeanne devait traverser une période pénible : elle se cachait derrière des lunettes noires et avait assez de mal à suivre la conversation?; on avait l’impression qu’elle était dans un monde à elle, très compliqué, confie le cinéaste à la sortie d’Ascenseur pour l’échafaud. Immédiatement, nous avons senti qu’elle dégageait un poids dramatique extraordinaire et sans que rien de bien important ne se soit passé au cours de ce déjeuner, mis à part un violent orage qui convenait parfaitement à l’atmosphère, nous avons tout de suite pensé qu’il fallait absolument que ce soit elle… » Ascenseur pour l’échafaud reçoit en 1958 le Prix Louis-Delluc, mais le meilleur compliment vient de Luis Buñuel. Lorsqu’il découvre le film, l’Espagnol a cette remarque géniale : « Je remercie Monsieur Malle d’avoir si bien fait marcher Jeanne Moreau… » 

 

Le Feu follet(1963)

C’est le film de Louis Malle qui est aujourd’hui le plus apprécié des cinéphiles. Preuve de son aura, le cinéaste norvégien Joachim Trier en fera une relecture avec Oslo, 31 août (2011), plaçant le film de Malle comme une source d’inspiration plus prégnante encore que le court roman de Pierre Drieu la Rochelle dont il était adapté. C’est un « documentaire technique sur le suicide », commente un critique à la sortie du Feu follet dans l’émission télévisée 7 jours du monde. Le fim raconte l’itinéraire programmatique d’Alain Leroy (Maurice Ronet), un homme d’une trentaine d’années qui, à peine revenu d’une cure de désintoxication alcoolique, annonce qu’il se donnera la mort dans 48 heures. Ce sombre héros ne croit plus en rien, n’a plus de désir. « Quand je touche les choses, je ne sens rien », répète-t-il. Pour Louis Malle, l’important n’est pas tant la finalité tragique du récit que la « lucidité de cet homme qui ne veut pas vieillir ». Alain Leroy fait le bilan de sa jeunesse et envisage le reste de la vie comme « une lente dégradation vers la mort ». Le Feu follet obtient le prix spécial du jury et de la critique italienne à la Mostra de Venise en 1963.

 

Lacombe Lucien (1974)

Ce film est le premier du cinéaste à traiter de la Seconde Guerre mondiale. Il a été écrit avec Patrick Modiano, dont le premier roman La Place de l’Étoile dressait un portrait tragi-comique d’un jeune homme sans qualité dans la France occupée. Le protagoniste de Lacombe Lucien est un jeune paysan du Lot sans grande envergure. Ignoré par la Résistance qu’il cherche d’abord à intégrer, il rejoint finalement la Gestapo française. Il profite bien vite de ce nouveau statut avec zèle et fiel. À sa sortie, Lacombe Lucien est loin de faire l’unanimité. Les différents personnages – victimes et bourreaux – apparaissent trop contrastés et ambivalents pour coller avec l’image doloriste et rêvée d’une France réconciliée. Les intellectuels s’écharpent. Louis Malle fatigué par ces tensions s’exile aux États-Unis. La parenthèse durera dix ans et permettra la consolidation d’une œuvre toujours plus éclectique. « C’est quelqu’un qui adorait provoquer, expliquait récemment Gilles Jacob dans un entretien à Première Classics. À la sortie de Lacombe Lucien, une partie du public n’était effectivement pas prête, les plaies n’étaient pas encore cicatrisées. On lui reprochait notamment le traitement du personnage du tailleur juif et surtout de sa fille, sublimement incarnée par Aurore Clément, qui acceptait de se jeter dans les bras du protagoniste... » Louis Malle reviendra en France avec un film sur la guerre à visée rédemptrice, Au revoir les enfants (1987).

 

MY DINNER WITH ANDRE (1981)

Aux États-Unis, Louis Malle évolue dans une relative indépendance et parvient à imposer ses préoccupations d’auteur. La parenthèse dite du Nouvel Hollywood n’est pas encore refermée et des audaces narratives sont encore possibles. Il y aura d’abord le controversé La Petite (Pretty Baby, 1978), avec la très jeune Brooke Shields dans la peau d’une enfant prostituée, puis le crépusculaire Atlantic City (1980), habité par la légende Burt Lancaster. Mais la vraie curiosité de cette parenthèse américaine est bien ce Dinner with Andre. Il faut prendre le titre du film au pied de la lettre, l’action se déroulant, en effet, le temps d’un repas entre deux dramaturges dans un restaurant new-yorkais. Nous sommes en 1981, la contre-culture des années 60-70 peut déjà être regardée à distance tout en conservant une brûlante actualité. Pour la réalisation de ce film expérimental, Louis Malle s’est d’abord rapproché de l’homme de théâtre Andre Gregory, ici acteur et auteur. La mise en scène discrète composée uniquement de champs, contre-champs, s’efface derrière la parole incarnée par les deux êtres en présence : Andre Gregory et Wallace Shawn. Le spectateur boit littéralement leurs paroles chargées des préoccupations du moment qui – magie spatio-temporelle – préfigurent le gouffre intellectuel et idéologique contemporain : lobotomisation des esprits, nivellement par le bas, travestissement des émotions… 

 

Au revoir les enfants (1987)

Au revoir les enfants rafle un Lion d’or vénitien, sept César et totalise plus de trois millions d’entrées. Pour son grand retour en France après son exil américain, Louis Malle s’est replongé dans sa propre enfance durant la douloureuse période de l’Occupation. À l’instar de Julien (Gaspard Manesse), l’un des deux protagonistes du film, le futur cinéaste a vu pendant la guerre l’un de ses camarades de classe arrêté par la Gestapo. Un scénario qui résonne également avec la propre histoire de Gilles Jacob. L’ancien président du Festival de Cannes a été, en effet, caché dans un séminaire durant le conflit pour échapper à la déportation. Au revoir les enfants se concentre sur le récit d’une amitié blessée entre Julien et Jean (Raphaël Fejtö). L’approche sobre de la mise en scène n’empêche pas un final poignant. Dans l’entretien donné à Première Classics, Gilles Jacob revenait également sur son amitié avec Louis Malle et résumait le malentendu autour de la figure d’un cinéaste longtemps méprisé par ses pairs : « Cela a commencé dès le début de sa carrière. Certains lui faisaient alors payer ses origines bourgeoises, sa fortune, et le voyaient comme un cinéaste dilettante. Ils se sont vite aperçus quel redoutable professionnel il était. L’idée de faire toujours le même film l’ennuyait. Il a constamment innové dans sa façon d’utiliser la musique de film, de travailler le récit cinématographique, de se servir de la caméra… On trouvait chez lui un fort désir de s’affirmer tout en doutant de lui-même. Avec Au revoir les enfants, Louis a obtenu tout ce qu’il pouvait espérer avoir comme récompenses. » Louis Malle connaîtra un autre succès avec Milou en mai (1990). Ses deux derniers longs métrages sont Fatale (1992) et Vanya, 42e rue (1994). Le cinéaste meurt d’un cancer le 23 novembre 1995 à 63 ans.

 

Louis Malle, gentleman provocateur, partie 1

Ascenseur pour l’échafaud, Les Amants, Le Feu follet, Viva Maria !, Le Voleur et Le Souffle au cœur. Distribution Malavida. Actuellement en salles.

Le CNC a participé à la restauration des Amants et du Voleur grâce à l’aide à la numérisation et à la restauration du patrimoine.