Lucrèce Andreae : « J’ai voulu traiter du deuil en mêlant absurde et mélancolie »

Lucrèce Andreae : « J’ai voulu traiter du deuil en mêlant absurde et mélancolie »

23 octobre 2018
Cinéma
Pépé le morse de Lucrèce Andreae
"Pépé le morse" de Lucrèce Andreae Folimage

Au cœur du programme Ta mort en short(s) distribué en salles dans toute la France à partir du 31 octobre, on trouve une pépite, Pépé le morse, couronnée du César du meilleur court d’animation 2018. Retour sur la genèse de cette œuvre sous forte influence nippone avec sa réalisatrice.


Votre troisième court métrage, Pépé le morse, met en scène une drôle de famille, tapageuse et agitée, qui débarque sur une plage de l’Atlantique pour rendre un ultime hommage au grand-père qui vient de mourir. Est-ce l’envie de traiter de la thématique du deuil qui vous a conduit à imaginer ce film ?

Lucrèce Andreae : Je pense que cette thématique était en moi depuis longtemps sans que j’ose m’en approcher. En fait, j’étais tellement épuisée après la réalisation des Mots de la carpe, mon film de fin d’études à La Poudrière (une école créée en 1999 par Jacques-Rémy Girerd, le fondateur du studio Folimage) que j’ai passé un an sans écrire. Par peur, aussi sans doute, d’avoir à me lancer seule, sans soutien scolaire, dans mon projet suivant. Puis au bout d’un an, écrire est redevenu aussi urgent qu’indispensable. Le déclic a alors été graphique : le travail photographique de Sh?ji Ueda, ce Japonais qui met en scène des personnages sur de grandes étendues de plages vides en mêlant absurde et mélancolie. Ses clichés ont fait écho chez moi à l’atmosphère des plages de mon enfance sur la côte Atlantique. J’ai donc eu envie à mon tour de poser des personnages face à cet océan qui m’inspire tant. Et il a été assez vite évident que ces personnages seraient… ma famille ! (rires)

Comment se construit alors le film dans votre tête ?

L’essentiel du film m’est venu très naturellement et très vite, comme boosté par cette absence de création artistique pendant un an. Mais je n’avais aucune idée préconçue de sa traduction graphique. Sinon, qu’à la différence de mes précédents courts dont les personnages évoluaient sur un fond blanc, j’allais pouvoir – avec un budget plus confortable – me lancer dans quelque chose de plus foisonnant. J’ai eu envie d’un court qui ressemblerait à un long avec des décors immersifs, la lumière si singulière de ces plages de l’Atlantique et une ambiance qui encouragerait les spectateurs à rentrer dans leur histoire. Mais comme je ne maîtrise pas du tout l’aquarelle, je me suis entourée de spécialistes de cet art-là pour traduire mes idées et mes envies en dessins.

Comment avez-vous rencontré les responsables de Caïmans Productions qui vous ont accompagnée dans cette aventure ?

Après avoir reçu une aide à l’écriture du CNC, j’ai eu la chance de participer en décembre 2013 au Carrefour de l’animation organisé par le Forum des Images, qui propose à des étudiants de présenter leurs projets devant un public de professionnels. J’y ai donc pitché Pépé le morse et les gens de Caïmans Productions ont tout de suite été intéressés. Et en discutant avec eux, j’ai vu qu’ils partageaient mon approche et mes goûts en terme de cinéma. On avait le même film en tête.

Parmi vos influences, on sent celle d’un certain cinéma d’animation japonais tant dans le graphisme que dans le côté hors norme de vos personnages ou la poésie extravagante qui nimbe votre récit…

Je suis une grande admiratrice du travail de Satoshi Kon (Perfect blue). Et son influence plane sur Pépé le morse dans ma tentative de traiter un sujet grave avec beaucoup de dérision et des personnages volontiers gueulards et grimaçants. Le tout avec un côté caricatural que je revendique pleinement. Y compris dans le choix d’une certaine vulgarité dans le ton des voix de mes personnages. D’abord parce que ma famille ressemble à ça ! (rires) Mais surtout parce que je savais qu’étant enregistrées en amont, ces voix allaient constituer un support fabuleux pour les animateurs de cette famille pas totalement comme les autres.

Et après l’accueil enthousiaste reçu par Pépé le morse depuis plus d’un an au gré des festivals, avez-vous désormais une idée de long métrage en tête ?

J’avoue avoir beaucoup douté pendant la confection de Pépé le morse. Mais l’accueil que vous évoquez – de sa sélection en compétition à Cannes au César du meilleur court métrage d’animation en passant par le Prix du public à Annecy – a regonflé ma confiance en moi et m’a motivée à me lancer dans un nouveau film. Et comme j’ai la chance d’avoir un compagnon auteur de BD qui a eu envie de s’associer avec moi pour développer un projet de long métrage, j’ai décidé de m’y plonger. Je n’aurais jamais eu les épaules pour me lancer seule dans une aventure aussi énorme.