Martin Scorsese salue la mémoire de Bertrand Tavernier

Martin Scorsese salue la mémoire de Bertrand Tavernier

30 mars 2021
Cinéma
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Martin Scorsese et Bertrand Tavernier
Martin Scorsese et Bertrand Tavernier Martin Scorses/Instagram
Le cinéaste américain, qui a notamment joué dans Autour de minuit, a adressé un texte à l’Institut Lumière en hommage au réalisateur français, décédé le 25 mars. 

Quelques heures après avoir appris la disparition de l’auteur de La Vie et rien d’autre, Martin Scorsese a envoyé un texte à Thierry Frémaux, directeur de l’Institut Lumière, que Bertrand Tavernier présidait. D’abord traduit et publié par Télérama, puis partagé en « version originale » par Martin Scorsese sur Instagram, cet hommage a également été partagé ce week-end par l’Institut Lumière. « Les deux cinéastes étaient amis de longue date, ils avaient le même amour pour le cinéma classique, ils continuaient à échanger des DVD et des films. Depuis toujours, leur dialogue était permanent », a expliqué Thierry Frémaux.

Il était un passionné du cinéma : passionné par ce qu’il aimait, passionné par ce qu’il détestait, passionné par ses nouvelles découvertes, passionné par les figures injustement oubliées dans l’histoire du cinéma , passionné par les films qu’il a lui-même réalisés.
Martin Scorsese


Voici le texte dans son intégralité : 

« La première fois que j’ai rencontré Bertrand Tavernier, c’était au début des années 1970. Il était alors accompagné de son ami et ancien collaborateur Pierre Rissient. Ils avaient vu Mean Streets et le défendaient avec vigueur publiquement. Un soutien qui signifiait beaucoup de choses à mes yeux.
 
J’ai très vite compris que Bertrand connaissait de fond en comble l’histoire du cinéma. Plus encore, il était un passionné du cinéma : passionné par ce qu’il aimait, passionné par ce qu’il détestait, passionné par ses nouvelles découvertes, passionné par les figures injustement oubliées dans l’histoire du cinéma – Bertrand a été celui qui nous a permis de redécouvrir le réalisateur Michael Powell –, passionné par les films qu’il a lui-même réalisés.
 
Bertrand était un cinéaste singulier, à nul autre comparable. J’ai particulièrement aimé son film de 1984, Un dimanche à la campagne. Ce film a été conçu avec tant de subtilité que j’ai l’impression qu’il est sorti tout droit du monde des impressionnistes. J’ai également adoré ses films historiques, comme Que la fête commence… et Capitaine Conan, et ses adaptations de Simenon (L’Horloger de Saint-Paul, son premier film) et de Jim Thompson (Coup de torchon, adapté de 1275 âmes).
 
En 1983, je déjeunais avec Bertrand et Irwin Winkler quand ils ont décidé, tous les deux, de faire le magnifique Autour de minuit. C’est pour moi un merveilleux souvenir d’avoir fait une petite apparition dans ce film, dans le rôle de l’agent de Dexter Gordon.
 
Bertrand connaissait intimement tous les aspects du cinéma français. C’est une chance incroyable pour nous tous que Bertrand ait partagé son savoir et sa passion dans son documentaire Voyage à travers le cinéma français, une œuvre d’une grande beauté.
 
Il connaissait tout aussi intimement le cinéma américain. Bertrand et Jean-Pierre Coursodon ont coécrit, et régulièrement mis à jour, un dictionnaire exhaustif consacré aux réalisateurs américains (50 ans de cinéma américain). Cet ouvrage majeur mériterait d’être traduit en anglais.
 
Je veux enfin partager une dernière image à propos de Bertrand. Une image bien connue par tous ses amis et par tous ses proches. Bertrand était tellement passionné qu’il pouvait littéralement vous mettre K.-O. Il restait assis, pendant des heures et des heures, argumentant pour ou contre un film, un cinéaste, un musicien, un livre ou une décision politique. Au bout d’un moment, terrassé, vous vous demandiez simplement : mais d’où lui vient toute cette énergie ?
 
Aujourd’hui, il m’est très difficile de me dire que je n’aurai plus jamais la chance de recevoir toute cette incroyable énergie. Que je n’aurai plus jamais la chance de rencontrer un homme aussi extraordinaire, un homme tellement irremplaçable. »
 
Martin Scorsese