Michel Ocelot  : "Ce film est un hommage à la danse..."

Michel Ocelot  : "Ce film est un hommage à la danse..."

23 décembre 2020
Cinéma
Pablo Paris Satie-OnP-LFP
"Pablo Paris Satie" OnP-LFP
Le réalisateur Michel Ocelot a signé pour la 3e  Scène de l’Opéra national de Paris le court métrage en prises de vues réelles, Pablo Paris Satie, ode à la danse, à la musique et à la Ville Lumière. Entretien.

Comment est né ce film ?

Le point de départ est le tournage de Dilili à Paris (2018). Une séquence devait montrer Chocolat dansant sur une musique d'Erik Satie.

Je suis très conscient de la complexité d'un corps qui danse, et je ne voulais pas qu'on se contente d'un pantin élémentaire : les animateurs devaient avoir devant eux un vrai danseur, qui fasse bouger tout son corps sur la musique.

J'ai eu l'audace de contacter Aurélie Dupont, qui est directrice de la danse de l'Opéra national de Paris. Elle m'a mise en contact avec Pablo Legasa, premier danseur, qui était tout à fait d'accord pour nous aider. Je l'ai donc filmé, dansant sur cette musique. Et il s'est complètement donné, il en a fait beaucoup plus que ce dont nous avions besoin, et c'était superbe. Mais tout ce travail était mal filmé, mal éclairé, mal habillé et sur un fond de chaises en plastique. C’était choquant. Je devais rendre justice à ce dévouement et cet art extrême, et cette fois filmer correctement le danseur, habillé comme il faut, éclairé par le soleil et dans un décor extraordinaire, le ciel de Paris.

L’idée était donc de faire un film en prises de vues réelles...

Oui, mais il me fallait une production ainsi qu’un lieu approprié, bien orienté par rapport au soleil de fin de journée tout en montrant une belle vue de Paris. Trois ans ont été nécessaires pour trouver le lieu et le producteur. J'avais déjà de très bons rapports avec les gens de l'Opéra et faire un film pour la 3e Scène était dans l'air. J'ai rencontré Philippe Martin, le directeur artistique de la 3e Scène, qui a aimé le projet et l'a adopté. Quant au lieu de tournage, enfin découvert, c'était un parking dans le 9e arrondissement, ayant une belle vue sur Paris et orienté au sud pour obtenir des rayons du soleil de l'après-midi venant de côté. Quand, à 5 heures de l'après-midi, Pablo Legasa est monté sur l'estrade qu'on préparait pour lui depuis le matin, c'était émouvant, le jeune homme allait se mettre à bouger sur son piédestal, se transformer en être surnaturel et nous couper le souffle. Ainsi, pendant cette année extrêmement frustrante, nous avons pu produire un moment de beauté, dans la meilleure lumière possible.

Quelle était votre ligne directrice pour la réalisation de ce film ?

Il s'agissait de rendre un double hommage, d'une part à la générosité et au talent de Pablo, et d'autre part à la grande danse, à ces artistes et saints qui consacrent leur vie à un art absolu.

Quand le film a-t-il été tourné et dans quelles conditions ?

Nous avons tourné en une journée, fin juin, pour être sûrs d'avoir un temps parfait. La mise en place du dispositif a commencé à 7 heures du matin. Il y avait une grande estrade à construire, un équipement de tournage à installer (caméra, rail, bras articulé, moniteurs, cabine de commande). Une dizaine de professionnels ont participé à ce tournage.

Comment avez-vous travaillé avec le danseur Pablo Legasa ?

Pablo a affiné la chorégraphie qu'il avait réglée pour les animateurs. Je lui ai indiqué deux directions. Une première partie montrait toute la plateforme et il pouvait se déplacer dans tout l'espace. Pendant la seconde partie, la caméra se rapprochait pour, d'une part, lâcher la ville et ne garder que le ciel, et, d'autre part, cerner au mieux sa personne, privilégiant torse et tête. Le danseur devait alors favoriser le haut de son corps et se déplacer peu. Mais la direction artistique avait commencé bien avant. Nous avons fait les magasins ensemble et j'ai choisi un jean bleu clair, « normal », mais suffisamment élastique pour ne pas gêner les mouvements, des baskets blanches « comme tout le monde » et une chemise blanche, achetée chez un bon faiseur pour avoir un tissu et une coupe impeccables. Pendant le tournage, nous avons bien essayé la version T-shirt, mais c'est la version chemise qui rendait justice à l'art et l’architecture de Pablo, avec ce qu'il fallait de résistance d'un beau tissu et de netteté sur les muscles, et ce qu’il fallait de décontraction, laissant voir, suivant les mouvements, un peu la ceinture, un peu la peau. Tout venait naturellement, simplement, le soleil sur le corps et le vent dans les cheveux, et les oiseaux qui ont décidé de s’envoler à ce moment.

L’autre personnage du film, c’est Paris...

C’est pour cela que le film débute par un lent panoramique qui dévoile les toits, la tour Eiffel, l'arrière de l'Opéra... Mon seul regret, c’est de voir la tour Montparnasse au beau milieu du cadre. Sa présence abîme la silhouette de Paris. Mais on m'a dit qu'elle établissait bien le plan, un décor strict, mettant en relief la danse de Pablo  ! Bon…

Que permettent les prises de vues réelles par rapport à l’animation ?

La vraie peau, les vrais yeux, le vrai vent, les vrais rayons du soleil qui sculptent extraordinairement, et les mouvements d'un corps en trois dimensions, en quatre dimensions même…

Quatre ?

Quand un danseur bouge, c'est un jeu complexe de muscles, d'os, de tendons, de savoir-faire, d'émotion, de force, d'équilibre, allant dans tous les sens, tellement au-delà de ce que nous faisons quotidiennement. Le terme trois dimensions me semble très insuffisant ! J'avais déjà ressenti cela pendant la réalisation du clip vidéo de Björk, Earth Intruders (2007), ayant fait appel à un danseur.

La lumière naturelle est ici souveraine...

Je voulais un soleil couchant avec sa lumière horizontale et dorée, qui modèle les formes, et Pablo dansant dans cette lumière, respirant la musique, en un seul plan. Pas question pour moi d’intervenir pendant le miracle.

Aimeriez-vous réaliser un long métrage intégralement en prises de vues réelles ?

Ça me démange, mais j’ai dressé mon cerveau à penser « animation » et il faudrait qu’il me vienne une idée particulière pour justifier l’abandon de la puissance du cinéma d’animation.