Mort de Jean-Jacques Beineix, réalisateur de 37°2 le matin

Mort de Jean-Jacques Beineix, réalisateur de 37°2 le matin

16 janvier 2022
Cinéma
Jean-Jacques Beineix
Jean-Jacques Beineix sur le tournage de "IP5: L'île aux pachydermes" en 1992 Gaumont
Auteur de six longs métrages de 1980 à 2001, dont Diva et 37°2 le matin, le réalisateur était l'un des cinéastes symboles de l'esthétique des années 80.

Jean-Jacques Beineix est mort le 13 janvier 2022, des suites d'une « longue maladie », selon France Info. Le cinéaste était âgé de 75 ans et n'avait plus réalisé de long métrage de fiction depuis vingt ans et la sortie de Mortel transfert.

« Je suis né dans le quartier des Batignolles le 8 octobre 1946, plus précisément à dix-neuf heures quinze ; je jure que je ne recommencerai plus ». Ainsi débute Les Chantiers de la gloire, autobiographie sans fard de Jean-Jacques Beineix (et accessoirement l'un des ouvrages les plus stimulants sur le cinéma), avec ce mélange d’humour et de désespoir qui sera l’essence de ce cinéaste pas comme les autres. Parisien de naissance, Beineix ne tombe pas tout de suite dans le cinéma. D'abord destiné à la médecine, ce n'est qu'après le lycée que le septième art le rattrape. Autodidacte, il se forme à la technique en tant qu'assistant réalisateur de Jean Becker, René Clément, Claude Zidi, Claude Berri ou encore de Jerry Lewis, pour son légendaire film inachevé, The Day the Clown Cried.
Ses débuts se font dans le monde de la télévision où il officie, comme deuxième, puis premier assistant réalisateur de Jean Becker, en 1970, sur la troisième et dernière saison de la série Les Saintes Chéries. Laquelle suit les tracas quotidiens d’un couple de Français moyen de l’époque, interprétés par Micheline Presle et Daniel Gélin.

Après un court métrage distingué au Festival de Trouville, en 1977, Le Chien de M. Michel, il tourne son premier long métrage, Diva, en 1981. Cet étrange polar, adapté d'un roman de Delacorta, orchestre une valse des sentiments autour de l'enregistrement pirate d'une cantatrice et d'un meurtre étrange... Pourtant, c'est moins l'histoire qui va frapper les esprits que l'esthétique de cet opéra urbain où les couleurs flamboient comme dans les plus beaux tableaux fauvistes. Bleu de Chine, rouge carmin étincelant, jaune brillant : l'esthétique rococo, l’intensité excentrique noient chacun de ses cadres. Ce sont les phares surexposés d'une voiture qui éclairent un monde réel qu'on tente de fuir ; les décors hyperréalistes et stylisés des lofts ou des garages désaffectés ; les couleurs clinquantes…

Beineix façonne un univers qui contraste avec les canons du cinéma français de l’époque, marqué par le naturalisme et le réalisme post-Nouvelle Vague. Et c’est ce qui explique, en partie, l’accueil réservé au film : détesté par la critique pour son imaginaire « publicitaire », Diva connait un démarrage en salles catastrophique. Au bout de deux semaines, il est même retiré du circuit. Pourtant, un producteur audacieux, Pierre Braunberger, décide de maintenir contre vents et marées le film dans son cinéma, Le Panthéon. Il tient pendant plus d'un an et grâce au bouche-à-oreille (et quatre César), Diva se transforme en énorme succès dépassant même les deux millions d'entrées. Rétrospectivement, ce film apparaît surtout comme l’acte de naissance d’une « nouvelle » vague, plus moderne, du cinéma français. Identifiée à la génération de la télé, de la pub et du clip, elle sera incarnée par Luc Besson, Leos Carax et, donc, Jean-Jacques Beineix. Ce trio impose un cinéma français plus ambitieux et plus commercial baptisé « nouvelle vogue » ou « cinéma du Look ».

Deux ans après Diva, doté d'un très gros budget, Beineix revient avec l'adaptation d'un roman désespéré de David Goodis. La Lune dans le caniveau met en scène Gérard Depardieu Nastassja Kinski et Victoria Abril dans une étrange histoire d'amour. Le tournage, largement médiatisé a révélé un cinéaste maniaque, refusant tout compromis avec le système. Beineix est au fond un  provocateur, un homme « contre ». « Le réalisme quotidien ? disait-il à L’Express en décembre 82, On l'a assez vu. Il est complètement épuisé par la télévision et les médias. Ceux qui ont été agacés par Diva vont hurler avec La Lune dans le caniveau. Parce que là, vraiment, j'aggrave mon cas. » Son univers esthétique baroque, ses étranges décors construits à Cinecitta et sa volonté de renouveler le « réalisme poétique » sont une fois de plus très mal reçus par la presse. Le film fait scandale au Festival de Cannes en 1983, mais cette fois-ci, Beineix ne rencontre pas son public. Le cinéaste, amer et déçu, se retire mais orchestre un nouveau come-back trois ans plus tard, avec son œuvre la plus accomplie, 37°2 le matin, d'après un roman de Philippe Djian. Histoire d'amour passionnelle, ce film brûlant d'une énergie folle offre la naissance d'un vrai mythe de cinéma, Béatrice Dalle, impose la fragilité de Jean-Hugues Anglade, et devient surtout un véritable phénomène, l’étendard d’une génération qui rêve de romance et veut croire en l’idéalisme. Le film rassemble plus de 3,6 millions de spectateurs en France - battant même Top Gun avec Tom Cruise.

Ses films suivants ne parviendront jamais à renouveler ce succès foudroyant. Roselyne et les lions (1989) avec Isabelle Pasco en dresseuse de fauves, ne convainc pas. Après cela, Beineix mettra six ans à tourner un nouveau long métrage de fiction, IP5 – L'Ile aux pachydermes en 1992. Ce sera le dernier film avec Yves Montand, qui meurt en novembre 1991 avant même la fin du tournage - provoquant une polémique aussi injuste que cruelle puisqu’on accusera Beineix d'avoir tué Montand en lui ayant fait prendre un bain dans un lac glacé. Blessé, le cinéaste ne reviendra au cinéma que 10 ans plus tard avec son dernier long métrage, le thriller psychanalytique Mortel transfert, où Jean-Hughes Anglade donne la réplique à Hélène de Fougerolle. Quinze ans après 37°2 le matin, le film n'a plus l'énergie ni la démesure qui habitaient ses grands classiques et c’est la fin d’un cinéaste qui aura définitivement marqué son époque...

Depuis la fin des années 1980, Jean-Jacques Beineix a aussi su étendre ses créations en dehors des longs métrages de fiction qui l’on fait connaître. En 1987, il tourne ainsi un spot publicitaire de prévention contre le SIDA, « Il ne passera pas par moi », pour Antenne 2. Puis, dans les années 1990, il signe de plusieurs documentaires, sous la bannière de sa société de production, Cargo Films. Parmi ceux-ci, Les Enfants de Roumanie, en 1992, sur le lendemain de la révolution roumaine de 1989, et Place Clichy sans complexe, en 1994, au cœur de la construction du multiplexe Pathé-Wepler, sont particulièrement remarqués. Puis, Les Gaulois au-delà du mythe, diffusé en 2013 et exposant certaines découvertes majeures effectuées au sujet des Gaulois, marque son dernier travail pour les écrans.

Il ne s’y est d’ailleurs pas cantonné, puisque, entre 2015 et 2016, il met en scène au Théâtre Le Lucernaire, une biographie musicale de Kiki de Montparnasse. Côté écriture, en dehors de son autobiographie, il rédige les scénarios de la série de bandes dessinées fantastiques, L’Affaire du siècle (2004-2006), adaptée du roman de Marc Behm La Vierge de glace (1994) et dessinée par Bruno de Dieuleveult. Enfin, en 2020, sort son unique roman, Toboggan, qui frôle l’autofiction en racontant la perte d’inspiration et la désillusion d’un créateur après une rupture amoureuse. Le coup de chapeau final d’un cinéaste et artiste qui aura définitivement marqué son époque.