Nelly Kaplan, les chemins de sa liberté

Nelly Kaplan, les chemins de sa liberté

13 novembre 2020
Cinéma
Nelly Kaplan
Nelly Kaplan
La cinéaste connue pour son film La Fiancée du pirate est décédée à l’âge de 89 ans. Proche d’Abel Gance et d’André Breton, cet esprit libre et rebelle aura accompagné certains mouvements comme la Nouvelle Vague, sans jamais se laisser enfermer par aucune chapelle. Portrait.

Certains artistes dressent des ponts entre l’ancien et le nouveau monde. Le classicisme et la modernité. Nelly Kaplan, qui vient de nous quitter à l’âge de 89 ans, était de ceux-là. Reconnue dès la sortie de son film La Fiancé du pirate en 1969, c’est dans le flot tempétueux de la Nouvelle Vague que la cinéaste est allée chercher la vitalité de son inspiration. Elle n’aura jamais renié pour autant les figures qui ont guidé sa route : Arthur Rimbaud, André Breton, Pablo Picasso et Abel Gance.

Dès son arrivée à Paris au début des années cinquante, la jeune fille originaire d’une famille juive de Russie installée en Argentine fait la rencontre d’Abel Gance lors d’une soirée en hommage à George Méliès. Gance, le réalisateur de J’accuse, du Napoléon, de La Roue, incarne encore la démesure du cinéma français muet. C’est grâce à lui que Nelly Kaplan pousse les portes du septième art, un monde dont elle rêve en secret depuis sa tendre enfance. Gance l’embauche comme assistante et comédienne de ses films. C’est le début d’une longue et fidèle amitié. Elle écrira bien plus tard deux essais autour de l’œuvre du cinéaste.

Nelly Kaplan est née au Buenos Aires en 1931. Si le cinéma permet à l’enfant turbulent de canaliser ses ardeurs, c’est par la littérature qu’elle entend s’exprimer. Elle lit très tôt les poètes français dans le texte. Sa passion pour Rimbaud, notamment, guide ses rêves. La France fait alors figure d’eldorado. Voilà pourquoi à l’âge de 20 ans, elle s’exile en Europe. En poche, elle garde précieusement la lettre de recommandation du directeur de la cinémathèque argentine, qui pourra toujours servir au cas où. Et comme ses tentatives d’intégrer la rédaction d’un journal se soldent par des échecs, elle sonne à la porte d’Henri Langlois. Le patron de la Cinémathèque française l’invite alors à cette fameuse soirée en hommage à Méliès qui va changer sa vie.

Autre rencontre décisive, celle avec André Breton au musée des Arts décoratifs de Paris. Le grand poète est seul dans une salle. La jeune fille s’approche et, naturellement, une complicité naît entre eux autour de la peinture. Comme elle le racontera dans les colonnes du Figaro, la visite de cette exposition d’art précolombien avec ce mystérieux inconnu se termine sur ces mots : « Je crois qu'il est temps de me présenter. Je m'appelle André Breton... » Breton prêtera bientôt sa voix au premier film de Nelly Kaplan, le court métrage documentaire Gustave Moreau (1961). Et c’est en s’intéressant à un autre peintre que la cinéaste va se faire remarquer. En 1967, elle signe le moyen métrage Le regard Picasso et obtient un Prix spécial du Jury au Festival de Venise. « L’objectif du cinéma c’est le regard, confie-t-elle après la réception de son Prix. J’ai essayé avec ma caméra de me mettre à la place de Picasso. J’ai voulu être son regard.»  Le peintre n’apparaît pas à l’écran, seules ses toiles et leurs mystères envahissent le cadre. Picasso, enthousiasmé par le film, l’aurait vu trois fois d’affilée.

Parallèlement au cinéma, Nelly Kaplan écrit. Elle prend le pseudo de Belen et parvient à publier des romans dont certains titres expriment à eux seuls les combats que la future cinéaste s’apprête à mener : Délivrez-nous du Mâle, La reine des Sabbats, plus tard, Mémoire d’une liseuse de draps. Le ton volontiers érotique froisse la censure.
En 1968, en pleine fièvre contestataire et sous influence buñuelienne, elle tourne La Fiancée du pirate. Bernadette Lafont joue Marie, une fille opprimée, souillée et humiliée par tout un village, qui décide de prendre sa revanche. « C’est l’histoire d’une sorcière des temps modernes qui n’est pas brûlée par les inquisiteurs, car c’est elle qui les brûle. » Voilà comment la réalisatrice présente ce film insolent et provocateur. Réalisée avec un budget serré, l’œuvre devient une référence cinématographique. La légende raconte même que Don Siegel se serait inspiré du titre utilisé pour son exploitation internationale, Dirty Mary, pour son Inspecteur Harry (Dirty Harry en vo). 

Nelly Kaplan continuera dans cette veine iconoclaste et satirique avec Papa les p’tits bateaux en 1971, comédie autour de l’enlèvement d’une riche héritière, Néa où elle met en perspective certains thèmes abordés dans La Fiancée du pirate ou encore le cruel et émouvant Charles et Lucie (1979), récit rocambolesque d’un couple modeste pris dans les filets d’une anarque. Son dernier long métrage, Plaisir d’amour en 1991, voyait un homme devenir le « jouet » sexuel de trois jeunes femmes sur une île paradisiaque.

La cinéaste, qui n’a cessé d’écrire des scénarios pour la télévision ou des essais, a été faite Chevalier de la légion d’Honneur en 1996. Elle vivait depuis plusieurs années à Genève où elle avait suivi son mari, l’acteur et producteur Claude Makowski.