"Notre métier : accompagner des auteurs sur le long terme"

"Notre métier : accompagner des auteurs sur le long terme"

10 mars 2021
Cinéma
Je serai parmi les amandiers
"Je serai parmi les amandiers" Films Grand Huit
Rencontre avec Pauline Seigland et Lionel Massol, récents lauréats du 25e Prix de la Procirep avec leur société de production Films Grand Huit.

Juste avant les César où ils sont nommés avec le court métrage Je serai parmi les amandiers de Marie Le Floc’h et à quelques mois du tournage de leur premier long métrage, Pauline Seigland et Lionel Massol reviennent pour le CNC sur leur parcours récompensé par de multiples prix depuis la création de leur société de production en 2015.

À quand remonte votre rencontre ?

Pauline Seigland : Lors de nos études en BTS audiovisuel à Toulouse. Et à partir de ce moment-là, on s’est suivi : on a fait les mêmes études, on est sortis tous les deux diplômés des Gobelins et on a travaillé dans les mêmes sociétés de production.

Qu’est-ce qui fait qu’en 2015, vous décidez de sauter le pas en créant votre propre société de production ?

Pauline Seigland : C’est une envie qu’on avait depuis nos 18 ans.

Lionel Massol : Cela s’est fait tout naturellement. On s’est d’abord découvert une complémentarité en bossant ensemble. Pauline a beaucoup fait de plateau comme directrice de production alors que je travaillais surtout dans les phases de développement et de postproduction. Cette complémentarité se retrouve aussi dans nos tempéraments, au service d’une même conviction. Et les auteurs qu’on suivait nous ont poussés et aidés à franchir ce pas.

Produire des courts métrages avant des longs était une évidence pour vous dès le départ ?

PS : Oui, parce qu’on vient de cette école-là. Ça nous aurait paru totalement saugrenu – si on en avait eu l’opportunité – de commencer directement par le développement d’un long métrage sans connaître son auteur à travers le processus de fabrication d’un court. C’est en tout cas la manière dont on envisage ce métier. Dans l’accompagnement sur le long terme.

LM : Pour autant, on sentait le potentiel des auteurs avec qui on avait décidé de travailler lorsqu’on a créé Grand Huit. Notre ambition était donc claire avec chacun : construire main dans la main ce passage au long. Étape par étape.

C’est ce qui nous passionne dans ce métier : aider ces auteurs à se trouver eux-mêmes dans une relation de confiance. Grandir ensemble.

Y avait-il une ligne éditoriale précise dans les projets que vous souhaitiez développer ?

PS : Celle des coups de cœur ! On s’appelle Grand Huit car on n’entend pas se cantonner à un seul genre. À l’image de nos goûts. J’aime l’idée que, parmi les auteurs avec qui on travaille depuis toutes ces années, il y a probablement la prochaine Lucrecia Martel, le prochain Stéphane Brizé, le prochain Asghar Farhadi… C’est en tout cas notre ambition et notre ADN : une ouverture sur le monde en termes de sujets comme de territoires qui assume un côté politique.

LM : Il existe un lien entre tous ces auteurs : leur point de vue très précis sur le monde. Chacune de leurs histoires raconte quelque chose de nous et de ce qui nous entoure.

Comment vous répartissez-vous le travail tous les deux ?

PS : On ne produit pas tous les films ensemble, on suit chacun des réalisateurs différents. Mais quand cette situation se produit, nous sommes tous les deux en développement, en financement, en fabrication et en postproduction. Il n’y a pas de répartition des tâches à proprement parler. Juste des terrains sur lesquels on est chacun spontanément plus à l’aise. Le plateau pour moi, la postprod’ pour Lionel.

LM : Et on se connaît tellement bien que tout ceci se fait très naturellement…

Les premiers temps ont été compliqués ?

LM : On a eu la chance de pouvoir tourner nos deux premiers courts dès la première année d’existence de notre société. Mais, d’emblée, on a tenu à imaginer un modèle hyper souple et agile. Ainsi, longtemps, nous n’avons pas eu de bureau, Pauline travaillait en parallèle comme directrice de production. On a dès le départ pensé aux périodes de vaches maigres.

PS : On a toujours eu une attitude très prudente. On ne s’est pas endettés. On a fait avec ce qu’on avait, au fur et à mesure.

Le César décerné en 2019 aux Petites Mains de Rémi Allier a constitué un accomplissement pour vous ?

PS : Oui, mais ça n’a été qu’une étape. C’est symbolique et important mais concrètement pas plus que la première fois où nous avons reçu une aide du CNC ou que la première fois que France Télévisions nous a dit oui pour un unitaire.

LM : Ça a juste été un accélérateur pour de nouvelles rencontres.

PS : On avait déjà des projets arrivés à maturation. Notre idée de base est qu’on ne passe pas au long avec un cinéaste tant qu’il n’y a pas un court métrage de référence qui a vraiment rencontré son public et permet de savoir quel réalisateur est derrière. On se base sur du concret. Et dans chaque budget de court métrage, on garde toujours une petite part pour le développement du long à venir. Ça fait partie de notre logique. Toujours réfléchir à l’étape d’après.

Vous avez aussi créé un lieu d’accueil pour vos auteurs en Bretagne, à Saint-Pierre-Quiberon. Dans quel but ?

PS : On a toujours eu envie d’une interconnexion entre nos réalisateurs. Cette idée est longtemps restée abstraite. Et puis, un jour, nous avons eu l’opportunité de racheter une maison qui appartenait à un de nos associés. On a alors pu investir ce lieu et créer des espaces pour recevoir une demi-douzaine de réalisateurs par session avec une petite salle de montage.

LM : Le fait que les réalisateurs échangent entre eux permet de dédramatiser certaines jalousies qui peuvent se produire. Le regard devient bienveillant, chacun apprend de l’autre. Et évidemment, nous prenons garde de notre côté à éviter en amont toute concurrence frontale entre deux projets qu’on développe.

Cette année 2021 marque une nouvelle étape pour vous avec le tournage du premier long métrage produit par Grand Huit : Disco Boy de Giacomo Abbruzzese…

LM : Oui, on a juste avant coproduit avec Tabo Tabo Vacances de Béatrice de Staël et Léo Wolfenstein qui est actuellement en postproduction et a obtenu l’avance sur recettes. Mais Disco Boy sera en effet notre premier long métrage en solo. Le tournage débutera en septembre prochain. On a dû le repousser à cause de la pandémie car il coche un peu toutes les cases : un tournage sur plusieurs territoires avec un casting international, des séquences avec 150 figurants dans des boîtes de nuit… Mais cela nous a donné l’opportunité de faire entre-temps un court métrage avec Giacomo. Pour apprendre à encore mieux nous connaître au lieu de passer notre temps à attendre…

La pandémie a eu d’autres conséquences sur votre travail ?

PS : En ce moment, nous nous sentons plutôt privilégiés. Cela ne nous a pas encore trop porté préjudice.

LM : Par contre, on sent déjà que les mois et les années à venir vont être compliqués. Quand on va parler aux distributeurs, on constate concrètement qu’ils ont déjà énormément de films sur les étagères et ne sont donc pas prêts à s’engager sur de nouveaux films. Et forcément, on a peur que les premières victimes de cet engorgement soient les projets les plus fragiles, si aucune médiation n’est trouvée.

Vendredi 12 mars, on vous retrouvera de nouveau nommés aux César avec Je serai parmi les amandiers de Marie Le Floc’h, qui met en scène un couple de réfugiés syriens en pleine rupture la veille d’un rendez-vous administratif décisif pour obtenir le droit de rester en France. Qu’est-ce qui vous a incité à produire ce film ?

PS : Nous l’avons coproduit avec les Belges d’Hélicotronc qui ont commencé à le développer avant qu’on ne les rejoigne. C’est la première fois qu’on travaille avec Marie. On a eu un coup de cœur pour le scénario comme pour elle. Je serai parmi les amandiers nous a immédiatement fait penser au cinéma d’Asghar Farhadi par sa manière de traiter des questions très intimes de couple au cœur de tout un contexte géopolitique.

LM : On a adoré sa manière de parler des réfugiés comme des êtres humains avec toutes leurs contradictions et non comme des symboles politiques. L’humanité que Marie met dans chaque plan est magnifique. On produira son long métrage, qui est en tout début d’écriture, et qui se passera lui aussi en Bretagne.

Vous avez créé Films Grand Huit en 2015. Quel regard portez-vous sur ces six années ?

PS : On a semé des petites graines et on est en train de voir des arbres pousser. C’est forcément excitant. Tout reste en chantier. Mais on a suffisamment de signaux qui nous indiquent qu’on est sur le bon chemin et nous incitent à continuer.