Comment en êtes-vous venue à vous spécialiser dans la coordination de tournages sous-marins et comment répartissez-vous votre temps entre vos différentes activités ?
Justine Rauby : J’ai un diplôme d’État de plongée sous-marine et je me suis spécialisée il y a plusieurs années dans la plongée en recycleur, un scaphandre qui recycle le gaz que l’on expire. J’ai grandi dans le milieu, car mes parents étaient eux-mêmes des plongeurs et, dès que j’ai obtenu mon diplôme, j’ai proposé à mon compagnon, qui exerce le même métier que moi, de monter un centre de plongée, Kraken Plongée. Il se trouve qu’il travaillait déjà dans l’audiovisuel sous-marin et que je suis allée sur un tournage avec lui, pour faire de la sécurité et du stunt… C’est ainsi que tout a commencé. J’ai tenu ensuite plusieurs rôles sous l’eau dans l’audiovisuel : formatrice, plongeuse de sécurité pour les actrices et les acteurs, stunt, assistante chef opérateur de prises de vues, jusqu’à réalisatrice, puisque j’ai tourné un premier film sous l’eau, un court métrage qui s’appelle Aquaverse, en plongée profonde il y a un an et demi. À force d’expérience et de spécialisation, je coordonne des tournages. Un tournage sous-marin demande beaucoup de préparation avec des règles et une législation spécifique à respecter.

Votre champ d’expertise est vaste…
Oui, il est possible de nous solliciter pour une multitude de raisons. Dans une semaine, par exemple, je vais travailler sur une publicité dans laquelle je vais avoir le rôle de coordinatrice sous-marine : je m’occupe de toute la partie administrative nécessaire au tournage sous-marin, je gère la logistique, le matériel de tournage et de plongée, la sécurité. Je joue aussi un rôle d’assistante chef opérateur de prises de vues sous l’eau.
Tournez-vous indifféremment en studio et en milieu naturel ?
Nous réalisons les deux. Nous avons par exemple travaillé dans le très grand studio de Lites, à Vilvorde, en banlieue de Bruxelles, pendant plusieurs mois. Le niveau du plancher monte et descend, et nous pouvons y immerger des décors. Nous tournons également parfois dans des piscines. Quand nous tournons en milieu naturel, c’est souvent pour un temps plus court, et avec une plus petite équipe. En studio, nous sommes intégrés au tournage dans sa globalité, et nous sommes au contact des autres corps de métier – machinistes, costumes, décors, etc. L’ambiance est différente.
Quelles sont les principaux défis des tournages sous-marins ?
La difficulté principale réside dans la communication avec la surface. Si nous tournons peu profond, nous pouvons installer des systèmes de « retour surface ». Dans le cas contraire, il faut que la personne qui réalise ait une totale confiance en son chef opérateur. Par ailleurs, les tournages sont compliqués par tous les facteurs limitants qu’implique la plongée : inconfort, froid, décompression, etc. Ensuite, il faut souligner que la législation mise en place par le décret hyperbare [de 2020, ndlr] est très lourde. Ce décret régit le travail sous-marin, mais est très complexe à respecter car c’est une loi qui a d’abord été conçue pour les scaphandriers qui travaillent dans le bâtiment ou le pétrole. Les plongeurs scientifiques, plongeurs médias, plongeurs cinéma, plongeurs archéologues, sont intégrés à un décret qui n’a pas été pensé pour eux. Et les productions ne sont pas toujours au courant des contraintes législatives qui pèsent sur ces tournages.

Quelles autres difficultés avez-vous relevé ?
Le temps est limité quand nous tournons sous l’eau. Si je prends l’exemple d’Aquaverse, fiction que j’ai réalisée en plongée profonde – je pense être la seule à l’avoir fait –, une journée de tournage en plongée profonde, c’est une demi-heure de captation à 90 mètres de fond. Pas plus ! Ensuite il faut compter trois heures de palier de décompression, puis la journée est finie. Le documentaire, c’est différent. Parce que même si nous allons chercher des choses précises, nous filmons ce que nous voyons. Nous n’avons pas d’acteurs à gérer.
Dans votre court métrage, Aquaverse, vous mettez en avant l’idée que le monde sous-marin est comme un monde parallèle au nôtre…
Oui, le monde sous-marin est un impensé. Quand nous pensons au monde sous-marin, nous pensons aux bords, aux petits fonds, aux herbiers. Mais à des centaines de mètres des côtes, il y a tout un écosystème. Il existe par exemple un récif coralligène sublime en Méditerranée. Or, si nous ne le montrons pas, il reste invisible pour la population qui ne peut donc pas y être sensibilisée
Quelle place l’écoresponsabilité prend-elle dans ces tournages ? Et quelles contraintes implique-t-elle ?
Les contraintes de ces tournages sont énormes parce que la plongée est un sport polluant. Les équipements aussi sont polluants car aucun d’eux n’est fabriqué en Europe, les palmes sont en plastique, etc. Mais il y a bien sûr des choses à mettre en place pour en limiter l’impact, qui pour la plupart relèvent du bon sens. Ne pas jeter l’ancre au milieu des herbiers, par exemple. Former des productions qui ne connaissent pas nécessairement ce monde-là peut s’avérer une tâche compliquée. Et comme je le disais, des lois existent que les productions ne connaissent pas et ne respectent pas toujours. Le monde sous-marin est un impensé, mais le film sous-marin l’est également.