Pleins feux sur le cinéma québécois à Angoulême

Pleins feux sur le cinéma québécois à Angoulême

22 août 2025
Cinéma
Les chambres rouges
"Les Chambres rouges" de Pascal Plante Nemesis films

La 18e édition du Festival du film francophone à Angoulême (FFA) qui démarre le 25 août, rend hommage au Québec à travers une programmation de films éclectique. Entretien croisé autour des choix opérés et plus largement sur l’histoire et l’état actuel du cinéma québécois avec Sylvain Garel, critique pour la revue France-Québec et programmateur du Festival du cinéma québécois des Grands Lacs qui introduira à chaque séance les films de cette rétrospective, ainsi que Dominique Besnehard, le codirecteur du festival d’Angoulême.


Pourquoi avoir choisi le Québec comme focus de l’édition 2025 du Festival du film francophone à Angoulême (FFA) ?

Dominique Besnehard : Nous avons pensé d’abord au Cambodge mais quand nous avons appris que 2026 sera l’année du Cambodge, qui accueillera le 20e sommet de la francophonie, nous avons décidé de décaler cette rétrospective d’une édition. À partir de là, le Québec s’est spontanément imposé à Marie-France Brière comme à moi. Avec l’élection de Donald Trump et ses menaces à répétition contre son voisin canadien, c’est un moyen de leur dire notre soutien. De plus, nous avons tous les deux une grande histoire avec le Québec. J’ai toujours été très intéressé par le cinéma québécois. Mon premier voyage hors de France comme directeur de casting fut au Québec au milieu des années 70. Claude Berri produisait La Première Fois, deuxième volet du Cinéma de papa où le jeune héros, Claude, tombait amoureux de deux Québécoises. Je travaillais comme deuxième assistant-réalisateur sur ce film et j’étais allé sur place pour trouver les deux interprètes. J’y suis resté un mois et je pense avoir vu à cette occasion toute la jeune génération des comédiennes québécoises de l’époque. Dès lors, je suis revenu régulièrement et j’y ai noué des amitiés fortes, comme avec Didier Farré de France Film, la société qui s’occupait d’acheter à l’époque tous les films français, ou la productrice de Denys Arcand, Denise Robert. Puis quand je suis devenu agent, je me suis occupé de plusieurs actrices québécoises, comme Louise Marleau et Denise Filiatrault, qui est venue tenter sa chance en France où elle a notamment tourné sous la direction de Claude Sautet dans Mado.

Comment avez-vous construit la sélection des neuf films qui constituent cette rétrospective du cinéma québécois et couvrent six décennies, des années 70 à nos jours ?

DB : En faisant des choix drastiques, car nous aurions pu dresser dix listes différentes ! Nous avons privilégié, outre leur qualité, les films et les cinéastes qui ont marqué ces différentes décennies. Des figures centrales comme Gilles Carle avec La Mort d’un bûcheron

Sylvain Garel : … Sa toute première collaboration d’une longue aventure commune avec Carole Laure qui fut l’un des tout premiers succès du cinéma québécois en France.

DB : Mais aussi Léa Pool, Jean-Marc Vallée, Xavier Dolan, Sébastien Pilote ou Monia Chokri. Nous retrouverons également des voix nouvelles comme Ariane Louis-Seize avec son Vampire humaniste cherche suicidaire consentant qui a été primé à Venise en 2023 et Pascal Plante avec Les Chambres rouges (2023), sur deux jeunes femmes obsédées par un tueur en série. Et puis nous tenions à donner une deuxième chance à Catimini de Nathalie Saint-Pierre, un film très fort sur l’inceste qui avait remporté le Valois d’or à Angoulême en 2012 et n’avait hélas pas trouvé de distributeur en France.

Avez-vous des regrets dans les films que vous n’avez pas pu retenir, faute de place ?

DB : Frontières (2023) de Guy Édoin, qui se situe au carrefour du drame, du suspense et du fantastique. Pascale Bussières y incarne une femme peinant à se relever de la mort de son père, témoin de phénomènes de plus en plus étranges dans la ferme familiale. Et puis en clin d’œil, j’aurais volontiers programmé Valérie (1969) de Denis Héroux avec Danielle Ouimet…

SG : … Le premier film érotique québécois ! Et aussi le premier succès du cinéma québécois au Québec. Il a attiré des millions de gens mais il a vraiment mal vieilli.

DB : C’est le Emmanuelle québécois !

SG : Dans le même registre érotique, Deux Femmes en or de Claude Fournier avait attiré 2 millions de spectateurs…

DB : … Chloé Robichaud, la réalisatrice de Sarah préfère la course (2013) vient d’en réaliser un remake.

SG : 2 millions, il faut se rendre compte du côté exceptionnel de ce chiffre : c’est la moitié de la population adulte francophone du Québec !

Puisque vous évoquez les grands succès d’hier, Sylvain Garel, comment se porte le cinéma québécois aujourd’hui ?

SG : C’est un cinéma extrêmement dynamique. Dans les années 2000, plus d’une cinquantaine de films de fiction ont été produits par an. Un chiffre plus que remarquable pour un pays qui est dix fois moins peuplé que la France ! Aujourd’hui, nous tournons à une quarantaine, mais cela reste encore supérieur à ce que produit en moyenne la France par habitant. Depuis le début du XXIe siècle, c’est aussi et surtout un cinéma de plus en plus diversifié en termes de genres de films produits et de plus en plus féminisé. Et ce, grâce à l’action concertée des trois institutions qui le financent : l’Office national du film, Téléfilm Canada et la SODEC, l’équivalent du CNC québécois. Elles ont décidé, il y a quatre ou cinq ans, de tout mettre en œuvre dans leurs politiques de soutien pour parvenir à une parité totale : autant de films réalisés chaque année par des femmes que des hommes. Cette féminisation accélérée se retrouve dans les thématiques traitées.

Quel est à vos yeux son talon d’Achille ?

SG : Sa diffusion en salles. Trop de films ne sortent au final qu’une ou deux semaines à la Cinémathèque québécoise, ou dans deux ou trois salles d’art et essai à Montréal, à Québec, à Trois-Rivières.

Pour quelle raison ?

SG : Le cinéma québécois repose sur les aides publiques qu’il reçoit. Mais dans tout ce système d’aide, il manque le dernier maillon : celui de l’exploitation. Par exemple, contrairement à la France, il n’existe pas de classification art et essai. Si l’État décidait de soutenir les salles de cinéma, il devrait les aider toutes, y compris les multiplexes. Bilan : sur les 800 films produits depuis 1941, seuls six ont été bénéficiaires. Et là encore, contrairement à la France où les aides sont votées dans des commissions à l’intérieur desquelles siègent des cinéastes, au Québec ce sont des fonctionnaires qui analysent les films et ont ce pouvoir décisionnaire. Ce qui crée forcément des tensions. Mais vu la population québécoise francophone, il faut bien rappeler que s’il n’y avait pas d’aides, il n’y aurait pas de cinéma québécois !

Le cinéma québécois réussit cependant à s’exporter et à gagner des prix à l’étranger, à l’image de Monia Chokri, récompensée du César du meilleur film étranger en 2024 pour Simple comme Sylvain. Comment est-elle perçue au Québec ?

SG : Son film a rencontré le succès évidemment, mais je me demande si elle n’est pas plus connue en France qu’au Québec. La voir battre le Oppenheimer de Christopher Nolan aux César a été une surprise pour tout le monde. Mais ce qui a d’abord et avant tout compté pour ce film, c’est sa sélection à Un Certain Regard. Car Cannes est un véritable Graal pour tout cinéaste québécois, toutes sections confondues. L’écho de sa sélection, et encore plus d’un prix, est immense.

DB : Ça a sûrement dû aussi être le cas pour un Xavier Dolan. Il est aussi apprécié au Québec qu’en France ?

SG : Oui et précisément depuis qu’il est revenu auréolé de plusieurs prix à Cannes où J’ai tué ma mère avait connu un succès considérable. Il avait fait des choses avant, tourné enfant dans des pubs, quelques films et téléfilms… Mais personne ne savait qui il était. Et d’un coup, à tout juste 20 ans, il revient de la Croisette avec un statut de star dès son premier long métrage. C’est vraiment un destin à part.

Dominique Besnehard, consacrer une rétrospective à Denys Arcand dans cet hommage au cinéma québécois était une évidence ?

DB : Son Âge des ténèbres (avec Diane Krüger, la présidente du jury) est le premier film que j’ai coproduit et nous avions été sélectionnés à Cannes, en clôture. J’ai donc un lien fort avec celui dont j’ai toujours aimé le cinéma et dont nous avions présenté à Angoulême en 2023 le dernier film en date, Testament, qui a énormément marché au Québec mais hélas pas en France où la presse a été dure, le qualifiant de « réac ».

SG : Les critiques ont été aussi très mauvaises au Québec mais n’ont pas empêché Testament de trouver son public.

Quelle place occupe Denys Arcand dans l’histoire du cinéma québécois ?

SG : Une place centrale avec une carrière de plus de soixante ans ! Denys Arcand a réalisé son premier court métrage (aujourd’hui disparu car la seule copie a été perdue), À l’est d’Eaton en 1959. Trois ans plus tard, il signe son premier long, Seul ou avec d’autres, qui entre dans l’histoire en devenant le premier film de fiction québécois sélectionné à Cannes, à la Semaine de la Critique. Dès lors, il ne cessera de marquer profondément le cinéma québécois avec des œuvres toujours en phase avec la société québécoise. Même si c’est moins vrai avec son dernier film où nous avons vu une rupture générationnelle avec la jeunesse. C’est aussi un vrai intellectuel. D’ailleurs, nous ne pouvons pas totalement comprendre son cinéma si nous ne savons pas que Denys Arcand est d’abord et avant tout un historien. Quand il fait Jésus de Montréal, il lit tout ce qui a été écrit sur le sujet avant de se lancer. Au fil des décennies, Denys Arcand a suivi tous les méandres de la société québécoise. Il a été indépendantiste, proche des maoïstes avant de rompre avec eux… À travers son œuvre, nous pouvons raconter l’histoire du Québec de 1960 à nos jours.

Vous parliez de Jésus de Montréal dont la présentation à Cannes avait fait scandale en 1989…

SG : Il y a parfois un consensus avec Le Déclin de l’Empire américain ou Les Invasions barbares. Mais ce furent des exceptions. La carrière de Jésus de Montréal à l’international a, par exemple, dépendu du rapport à Jésus des pays concernés. Boudé dans les pays latins, le film a cartonné dans les pays anglo-saxons et a même fini numéro 5 de l’année au box-office anglais. Un cas unique ! Mais effectivement ce n’est pas quelqu’un de consensuel. Tous ses premiers films ont été censurés, voire remontés comme On est au coton (1970) sur les conditions de travail difficiles dans l’industrie textile au Québec, interdit pendant sept ans par l’Office national du film.

Et sur quel cinéaste parieriez-vous pour le futur ?

SG : Pascal Plante que Dominique évoquait tout à l’heure. Voilà pourquoi je lui ai suggéré de sélectionner Les Chambres rouges. Il a l’étoffe d’un grand cinéaste. L’atmosphère visuelle, la mise en scène, la musique composée par son frère Dominique, le choix et la direction de ses deux actrices principales… Tout est bluffant !

Festival du cinéma francophone à Angoulême

Du 25 au 30 août 2025
Programme de l’hommage au cinéma québécois
  • Catimini, de Nathalie Saint-Pierre
  • Les Chambres rouges, de Pascal Plante
  • C.R.A.Z.Y., de Jean-Marc Vallée
  • La Femme de mon frère, de Monia Chokri
  • Incendies, de Denis Villeneuve
  • Juste la fin du monde, de Xavier Dolan
  • Maria Chapdelaine, de Sébastien Pilote
  • La Mort d’un bûcheron, de Gilles Carle
  • La Passion d’Augustine, de Léa Pool
  • Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, d’Ariane Louis-Seize

Programme du focus Denys Arcand

  • La Maudite galette (1972)
  • Gina (1975)
  • Le Déclin de l’Empire américain (1986)
  • Les Invasions barbares (2003)
  • L’Âge des ténèbres (2007)
  • La Chute de l’Empire américain (2018)
  • Testament (2023)
  • De l’art et la manière chez Denys Arcand, documentaire de Georges Dufaux