Pourquoi des cinémas vendent des copies de films au public

Pourquoi des cinémas vendent des copies de films au public

28 décembre 2018
Cinéma
120 battements par minute
120 battements par minute Céline Nieszawer - DR
Aller au cinéma, sortir une clé USB et, contre cinq euros, repartir avec une copie du film de son choix. C’est le principe de Vidéo en poche, une initiative lancée par les Cinémas Utopia en 2010. Une manière pour eux de répondre, à l’époque, aux problèmes de copyright liés à l’essor du téléchargement illégal.

Dix milliards d’euros : c’est ce que représentait en 2008, selon un rapport de la Chambre international du commerce, le manque à gagner lié au téléchargement illégal pour les professionnels du divertissement et des médias. Cette perte financière pour les ayants droit est l’une des raisons qui ont conduit au lancement de Vidéo en poche. Ce projet a été imaginé en 2009 « lors des débats sur la loi Hadopi qui révélaient une méconnaissance des enjeux et des points de vue », précise Rodolphe Village, le fondateur de Vidéo en poche. « Notre diagnostic à l’époque était qu’il était plus intéressant de faire un compromis entre ce que voulaient les usagers - et ce dont ils avaient besoin pour les nouveaux usages - et les besoins des ayants droit pour rémunérer leur travail », explique le gérant de la société Utopia Lab située à Tournefeuille.

Après un premier essai en 2009 à Bordeaux, où le public pouvait acheter une copie de Non au Mac Drive de Frédéric Chignac, Vidéo en poche voit le jour en 2010. Proposé à l’époque par Utopia dans ses salles - seul l’Utopia de Tournefeuille appartient encore aux fondateurs du réseau de cinémas aujourd’hui -, le dispositif permet de récupérer, grâce à sa clé USB personnelle, une copie d’un film présent dans le catalogue dédié. Le tout contre la somme de cinq euros par long métrage, ce qui « correspond au ticket moyen du cinéma Utopia de Tournefeuille ». « Le prix nous paraissait juste par rapport aux attentes du public, souligne Rodolphe Village. Il devait y avoir une part importante pour l’ayant droit afin qu’il ne se sente pas lésé. 70% du prix lui revient. Nous avons discuté avec des éditeurs vidéo et nous leur avons demandé ce qu’ils recevaient comme rémunération par acte. Nous avons donc essayé de faire un compromis entre tous ces éléments ».

Un catalogue mis à jour régulièrement

Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc, Ma Loute, Taxi Téhéran ou encore 120 battements par minute font partie des films inscrits au catalogue de Vidéo en poche. « Nous démarchons les distributeurs car c’est un petit dispositif, mais une fois qu’ils ont accepté de participer au projet, ils peuvent devenir demandeurs. Certains distributeurs ont été tout de suite d’accord. D’autres ont mis un ou deux ans avant de se lancer », détaille Rodolphe Village. Disponibles pour les utilisateurs de Vidéo en poche tant que « les ayants droit ne les retirent pas du catalogue », les films sont choisis par les responsables du dispositif. « Nous avons un travail de salles, donc le choix se fait simplement : ce sont des films que nous avons projetés et que nous avons aimés ».

Depuis le lancement de Vidéo en poche il y a huit ans, vingt-six mille copies ont été vendues. Quatorze salles font aujourd’hui partie de ce réseau, dont les cinémas Utopia d’Avignon, Bordeaux, Toulouse, Tournefeuille ou Montpellier ainsi que Le Rio à Clermont-Ferrand, Les Carmes à Orléans ou encore Ciné LUX à Cadillac. « Le nombre de salles ne grossira pas ou peu. Nous, on continue. Des films s‘ajoutent encore au catalogue car des distributeurs, notamment Memento Films, ont compris l’intérêt du dispositif et nous font confiance. Il y a une vingtaine de nouveautés par an, donc nous les distillons tout au long de l’année. »

Confronté désormais à l’essor des plateformes de vidéos en streaming par abonnement, le réseau Vidéo en poche arrive malgré tout à « se maintenir ». « L’usage n’est plus en hausse comme il l’a été. Mais nous avons toujours un public fidèle qui vient prendre des films ». Si les plus jeunes sont rares, le public de Vidéo en poche rassemble des personnes de 30 à 70 ans. « Comme elles ne viennent pas forcément tous les jours et que le prix est peu important, elles remplissent régulièrement leur clé avec des films. Les utilisateurs ne vont pas se contenter des deux titres dont ils avaient entendu parler, ils en choisissent d’autres qu’ils n’auraient pas forcément pris », ajoute Rodolphe Village.

L’importance du « lien de complicité »

 « Lors du premier test autour de cette idée, nous avons vu que les personnes qui amenaient leur support avaient cet esprit « clé sous le manteau », comme avec les films qu’on se passe de la main à la main. C’était très intéressant à observer. Quelque part, le cinéma est un lieu de « contrebande culturelle ». Les usagers apportent leur propre clé USB - nous n’en vendons pas -, et nous copions les titres sur leur support personnel. C’est presque le même usage qu’entre particuliers », explique-t-il.

Si Vidéo en poche reprend l’esprit des films échangés entre proches grâce aux supports de stockage amovibles, ce dispositif permet de transmettre des œuvres dans un cadre légal où les ayants droit sont donc rémunérés. C’était d’ailleurs l’un des principaux objectifs de ce réseau qui permet également de créer un « lien de complicité » entre le cinéma et l’usager. « Pour nous, la salle de cinéma est le lieu de l’intermédiation et du conseil, du rapport entre les gens qui est le moyen essentiel de passer de la culture. Venir physiquement sur place et avoir ce lien de complicité, y compris dans le geste de donner la clé USB, fait un peu partie de l’incarnation de cette intermédiation », précise-t-il.

« C’est une animation supplémentaire pour nous. Elle nourrit l’attrait pour les films », poursuit-il en ajoutant que Vidéo en poche n’est pas la seule initiative lancée pour faire du cinéma un vrai « lieu de vie ». « Au cinéma Tournefeuille, nous avons fait un bistrot. Nous avons également des livres en consultation sur des rayonnages à côté de la cheminée et nous proposons donc aussi des films à emporter. C’est un complément du travail de la médiation culturelle », conclut Rodolphe Village.