Quand le train inspire le cinéma français

Quand le train inspire le cinéma français

26 février 2021
Cinéma
La Bete humaine
"La Bete humaine" de Jean Renoir MM Hakim-Paris Film-DR
À l’occasion des 75 ans de La Bataille du rail de René Clément, retour sur cinq longs métrages qui ont mis le chemin de fer au cœur de leurs récits.

L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat des frères Lumière (1896)

Un train entre dans la gare de La Ciotat, attendu par des voyageurs en habits du dimanche qui s’apprêtent à y monter pendant que d’autres en descendent… Ce court métrage de 50  secondes a été projeté pour la première fois le 25  janvier  1896 à Lyon. On retrouve dans ce qui constitue l’un des premiers films de l’histoire du cinéma une riche collection des différents types de cadrages cinématographiques  : plan d’ensemble, gros plan, plan américain, plan rapproché… Le fruit tout à la fois d’une grande préparation et d’un réel sens de l’improvisation. En positionnant sa caméra non pas latéralement à 90° de la voie, mais en utilisant – une première au cinéma – la profondeur de champ, Louis Lumière crée cette impression que le train va littéralement sortir de l’écran, provoquant la panique de certains des premiers spectateurs, dont la légende veut qu’ils soient sortis de la salle par peur d’être écrasés ! Mais le jour du tournage, Louis Lumière a aussi su tirer parti des réactions de surprise des voyageurs face à son appareil à manivelle. En s’en approchant chacun à leur manière –  et donc à des distances différentes de l’objectif  –, ceux-ci ont permis de créer ces différentes valeurs de plan. En 1935, les frères Lumière présenteront une nouvelle version de leur film en relief stéréoscopique. Et en 1995, pour les 100 ans du cinéma, Patrice Leconte en signera un «  remake  » dans le cadre du film Lumière et Compagnie… où il filme un TGV traversant l’écran à vive allure.

La Bête humaine de Jean Renoir (1938)

Témoin d’un meurtre commis par le chef de gare du Havre, Jacques Lantier, mécanicien de locomotive, devient l’amant de la femme de l’assassin qui lui demande de la débarrasser de son époux. Mais Lantier souffre d’un terrible mal qui l’empêche de vivre ses passions amoureuses sereinement... C’est en 1890 qu’Émile Zola donnait naissance au dix-septième volume de sa série des Rougon-Macquart en fusionnant deux romans qu’il avait en tête, l’un sur le monde ferroviaire, l’autre sur le monde de la justice. Quarante-huit  ans plus tard, c’est une histoire similaire qui va conduire à son adaptation. Deux projets sur le monde ferroviaire sont en effet développés parallèlement en cette fin des années 30. Une adaptation du livre de Zola signée Roger Martin du Gard à laquelle est associé Marc Allégret (qui vient de terminer Entrée des artistes) et Train d’enfer de Jean Grémillon où Jean Gabin a été choisi pour jouer un conducteur de locomotive. C’est une femme, Denise Tual, qui va réunir ces deux projets grâce à son positionnement idéal  : monteuse de La Chienne de Renoir, elle est aussi à la tête de l’agence qui détient les droits de l’adaptation écrite par Martin du Gard. La Bête humaine va donc prendre le pas sur Train d’enfer tout en récupérant son acteur principal. Marc Allégret va laisser sa place. Marcel Carné, un temps envisagé, renonce et Jean Renoir accepte d’en prendre les commandes et de retrouver celui qu’il avait dirigé dans Les Bas-fonds et La Grande Illusion. Tout va alors très vite  : il réécrit en deux semaines le scénario de Martin du Gard qui avait déplacé l’action du roman de Zola en 1914 pour en faire un récit jouant sur la métaphore d’une locomotive folle s’emballant vers la guerre. Le tournage a lieu à un moment clé de l’histoire ferroviaire française  : l’année de la création de la SNCF qui a beaucoup aidé Renoir et même formé Gabin à conduire un train. En 1954, Fritz Lang en signera un remake : Désirs humains avec Glenn Ford.

La Bataille du rail de René Clément (1946)

Pendant la Seconde Guerre mondiale, un chef de gare et ses camarades du groupe Résistance-Fer aident les Juifs à fuir les zones occupées par les nazis et organisent des sabotages d’opérations prévues par les Allemands en faisant dérailler des trains… C’est à la sortie de la guerre que la Coopérative générale du cinéma français, groupe de résistants proches du PCF, souhaite produire un film hommage à l’action des résistants français. Un documentaire est d’abord envisagé avant que la SNCF ne s’associe au projet dans l’idée d’une fiction pour célébrer la France résistante, son courage, sa solidarité… et taire toute allusion à la collaboration. Auteur, en 1942, du documentaire Ceux du rail où il racontait le travail des cheminots à bord d’une locomotive entre Nice et Marseille, René Clément est choisi pour mettre en scène La Bataille du rail. C’est le premier film qu’il coécrit avec Jacqueline Audry, elle-même très active durant la Résistance. À l’exception de Charles Boyer qui en assure la narration, le film réunit volontairement des comédiens débutants ou peu connus, entourés par de vrais cheminots qui jouent les figurants. Cette œuvre patriotique remportera un aussi grand succès en salles qu’en festival où pour la première édition cannoise, il sera couronné des prix du jury international et de la mise en scène.

Le Train de Pierre Granier-Deferre (1973)

En mai 1940, Marcel, un réparateur de postes de radio d’un village du nord de la France, décide de fuir avec sa femme enceinte et leur petite fille. Dans le train bondé, séparé de sa femme, il fait la connaissance d’Anna, une jeune Allemande d’origine juive avec qui il va vivre une brève et intense passion… Après Le Chat et La Veuve Couderc, Pierre Granier-Deferre porte à l’écran pour la troisième fois un roman de Georges Simenon. Écrit en 1961, Le Train aborde l’exode, un drame que le cinéaste a lui-même vécu. Pierre Granier-Deferre injecte d’ailleurs dans son adaptation (coécrite par Pascal Jardin) des souvenirs personnels. Le film évolue en permanence entre le récit de cette tragédie historique (grâce à l’utilisation d’archives) et le désir de raconter la possibilité de trouver l’amour au milieu du chaos. On sent que cette partie-là touche particulièrement le cinéaste qui modifie la fin nihiliste imaginée par Simenon pour pointer la lâcheté des hommes. Sous la plume de l’écrivain, l’année suivant leur brève liaison, lorsqu’Anna, traquée par la Gestapo, va chercher de l’aide chez Marcel, celui-ci la lui refuse, par peur de bousculer son équilibre familial. Chez Granier-Deferre, le geste final de Marcel envers Anna se situe dans la logique strictement inverse. Le Train marque la troisième collaboration entre Romy Schneider et Jean-Louis Trintignant, après Le Combat dans l’île et L’Enfer.

Maine Océan de Jacques Rozier (1986)

À bord du train corail Maine Océan se croisent une charmante danseuse brésilienne, une avocate cafouilleuse et deux contrôleurs SNCF. Un laborieux contrôle des billets va provoquer la rencontre entre tous ces personnages… Habitué d’un cinéma en liberté, Jacques Rozier s’impose en apparence des contraintes pour son cinquième long  : un film dont l’action se déroule dans un train. Et dont il ne filme les scènes –  depuis le wagon de queue où il est installé  – que lorsque le train va dans la même direction que celle du film et que les lieux extérieurs correspondent à ceux de son récit, même s’ils ne sont pas visibles à l’écran. Car pour Rozier, tricher avec la réalité est impossible et ses tournages ne ressemblent à aucun autre. Souvent, il convoque acteurs et techniciens sans rien tourner, sinon des scènes non prévues que lui inspire la situation. La contrainte d’un lieu unique vole donc ici en éclats en laissant le réel surgir en permanence. Une liberté que le réalisateur défend jusqu’au bout. Ainsi, quand il retourne au montage à la demande de son producteur Paulo Branco afin d’ôter vingt minutes au film, Jacques Rozier revient avec une version amputée… d’une seule minute ! Version qui sera récompensée par le prix Jean-Vigo.