Rencontre avec Ronan Le Page, réalisateur de « Je Promets d’être sage »

Rencontre avec Ronan Le Page, réalisateur de « Je Promets d’être sage »

13 août 2019
Cinéma
Je promets d'être sage
Je promets d'être sage David Koskas - DR

Un metteur en scène en plein burn out devient gardien de musée et s’associe à l’une de ses collègues pour monter une escroquerie. Je promets d’être sage est le premier long métrage de Ronan Le Page qui signe ici une comédie rythmée, portée par le duo Léa Drucker et Pio Marmaï. Il revient pour le CNC sur la genèse de ce premier film singulier.


C’est votre premier long métrage, mais ce n’est pas votre premier projet…

Effectivement, j’avais écrit un premier scénario, très abouti, mais qui n’a pas vu le jour. La semaine où j’ai appris que ce film ne se ferait pas, je me suis longuement interrogé. Je portais ce premier long depuis longtemps et il m’avait demandé beaucoup d’énergie, beaucoup de travail. Quand le projet est mort, j’ai failli renoncer à ma passion et abandonner le cinéma. Et puis la semaine suivante, j’ai eu l’idée de ce film, née de cette frustration.

Le film est né dans une période difficile, pourtant c’est une comédie…

Oui, précisément parce que je voulais désamorcer la noirceur de tout ce que j’avais vécu. J’avais envie d’en rire, de l’exorciser sans doute. Et je me suis surtout rendu compte que cette tonalité me correspondait davantage.  

Il y a deux films dans Je promets d’être sage : d’abord la rencontre de deux personnages névrosés dans un musée, puis une histoire d’arnaque. Quelle est l’idée à l’origine de ce long métrage ?

Un ami m’avait parlé d’une gardienne de musée totalement caractérielle et insupportable. C’était une ancienne assistante sociale qui a connu une dégringolade et s’est retrouvée agent de sécurité par hasard. Elle ne supportait pas du tout ce changement de vie et entretenait des relations exécrables avec tous ses collègues. Elle était en pleine dépression. Comme je sortais moi-même d’une période difficile, je me suis un peu retrouvé dans ce portrait et c’est cela qui m’a inspiré Sibylle, l’héroïne. Elle était pour moi un bon personnage de comédie : une femme, pas à sa place, qui ne supporte pas de donner des indications aux visiteurs et qui aboie sur tout le monde… Franck, lui, a une âme d’artiste et décide de la mettre en sourdine. J’aimais bien son côté psychorigide qui prend son nouveau rôle très au sérieux et se documente énormément sur les œuvres. Leur rencontre était un moteur narratif très fort.

Il y a ces deux héros, mais il y a un troisième personnage, presque aussi important : le musée des Beaux-Arts de Dijon…

Je pense depuis longtemps que le musée est un espace de fiction génial. Quelques scènes marquantes du cinéma se déroulent dans des musées – dans Sueurs Froides de Hitchcock, dans Bande à part de Godard - mais c’est un endroit finalement peu exploité au niveau de la narration. Or, c’est un monde poétique et cinégénique fascinant ; un lieu idéal pour nourrir une fiction. J’ai eu la chance de tourner dans le musée des Beaux-Arts dont on imagine immédiatement la beauté des pièces et du lieu. Il permet de comprendre Franck qui cherche à se ressourcer face à ces chefs-d’œuvre. Mais d’un autre côté, ces sculptures et peintures sont très macabres, bizarres et fantastiques : elles entraient en résonnance avec le mal-être des personnages et dopaient l’aspect comédie du film.  

Comment s’est déroulé le casting ?

Pio Marmaï et Léa Drucker furent deux évidences. Pio m’avait bluffé dans Maestro de Léa Fazer : il a un côté agité, torturé, avec une forme de légèreté un peu masquée qui correspondait au Franck que j’avais en tête. L’idée d’un personnage excentrique, un peu nerveux, enfermé dans un musée était la promesse féconde d’un dérapage. Léa est venue un peu après. Elle a accumulé depuis quelques temps des rôles très marquants (Le Bureau des légendes, Jusqu’à la garde…). Elle avait les deux dimensions nécessaires au rôle : l’autorité et la grande fantaisie…

Ont-ils les mêmes méthodes de travail ?

Pas nécessairement, mais ils ont su nouer tout de suite une complicité qui a enrichi le film. J’ai une anecdote à ce sujet : Léa Drucker tenait à avoir une conversation sérieuse sur les personnages avec Pio. Il a écouté religieusement, n’a rien dit, et 10 minutes plus tard, il est revenu vers Léa pour lui dire : « Ecoute Léa, ton truc sur les personnages, ce sera une fois pas deux ». Léa a ri : elle avait compris qu’au fond, il ne voulait pas intellectualiser son jeu. En même temps, sa justesse et sa sensibilité n’ont cessé de m’étonner. Il proposait des choses différentes à chaque prise, c’est vraiment un très grand acteur…

A l’écriture, aviez-vous des références en tête ?

Oui, les films de Claude Miller, avec ces personnages au parcours âpre et dur mais avec une légèreté de ton qui m’impressionne toujours. Je pensais aussi aux films de Pierre Salvadori, tel que Dans la cour, qui va assez loin dans la comédie sociale. Au moment du tournage, je pensais à Jean-Paul Rappeneau pour ses personnages féminins très forts, ces héroïnes qui parlent vite, et sa rythmique de montage étourdissante… C’est amusant, parce que c’est très français et bien loin du cinéma qui m’habitait quand j’étais plus jeune. Au cours de mes études, j’ai travaillé sur François Truffaut et André Téchiné, un cinéma romanesque, un cinéma du désir. Quand je suis passé à la réalisation, j’ai basculé vers la comédie. C’est là que j’ai l’impression de prendre des risques et de parler avec ma propre voix. Si je m’inspirais de Téchiné, je pense que j’aurais l’impression de ne faire que de la redite par rapport à ses films.

Je promets d’être sage a bénéficié du soutien au scénario (aide à la réécriture) et de l’aide à la création de musique de film du CNC.