Robert Dhéry, un grand du rire oublié

Robert Dhéry, un grand du rire oublié

11 janvier 2021
Cinéma
Annie Ducaux et Michel Serrault dans La Belle Américaine de Robert Dhéry
Annie Ducaux et Michel Serrault dans La Belle Américaine de Robert Dhéry Le Film d'Art (Henri Diamant-Berger), Compagnie Franco-Coloniale Cinématographique (CFCC), Corflor, Panoramas-Films - LCJ Editions & Productions
La ressortie en coffret DVD et Blu-ray de La Belle Américaine est l’occasion de se remémorer la carrière de son acteur et réalisateur Robert Dhéry, créateur de la troupe des Branquignols et chroniqueur amusé de la France des Trente Glorieuses.

Robert Dhéry DR/ LCJ Editions et Productions

Quand on veut évoquer la façon dont la France des Trente Glorieuses a été dépeinte dans la culture populaire, les noms de Jacques Tati ou René Goscinny jaillissent spontanément. On a moins tendance à citer l’un des auteurs qui l’ont pourtant dépeinte avec le plus de précision et de drôlerie : Robert Dhéry. Malgré son immense popularité en tant qu’acteur et réalisateur dans les années 50 et 60, son importance semble aujourd’hui quelque peu mésestimée. La ressortie en vidéo de La Belle Américaine, l’un de ses plus gros succès (plus de 4 millions d’entrées en 1961) est l’occasion de redécouvrir la finesse de son trait, son goût pour l’humour absurde, ce mélange irrésistible de tendresse et de folie, ainsi que l’importance historique et sociologique d’une œuvre qui fait désormais office de précieux témoignage sur son temps. La Belle Américaine raconte l’histoire d’un ouvrier qui achète pour une bouchée de pain une magnifique et rutilante voiture américaine – voiture qui va permettre au personnage, incarné par Robert Dhéry, de voyager dans les différentes strates sociales de l’époque et de peindre, dans un mélange d’ironie et de populisme bon enfant, une France alors en plein boom économique, profitant des fruits de la croissance et confiante en l’avenir.

Autour du comédien-réalisateur, s’agite dans La Belle Américaine une formidable troupe d’acteurs : sa femme Colette Brosset, bien sûr, mais aussi Louis de Funès, Christian Marin, Jean Lefebvre, Jacques Legras, Jean Richard, Michel Serrault, Jean Carmet… C’est la donnée fondamentale de la carrière de Robert Dhéry : son côté chef de troupe, amoureux du talent des autres. Né Robert Fourrey en 1921, élevé à Héry, un village de l’Yonne (d’où il tirera son nom de scène, ses amis ayant l’habitude de dire : « c’est Robert d’Héry »), le futur acteur a la tentation de mener la vie d’artiste après avoir assisté à un spectacle du cirque Fratellini. À la faveur d’un séjour en Angleterre, il se familiarise avec le cinéma de Chaplin, Buster Keaton et Laurel et Hardy. Après avoir fait partie d’un cirque itinérant, appris l’art dramatique au cours Simon, interprété quelques petits rôles au cinéma (dont l’un dans Les Enfants du paradis) et incarné Filochard dans Les Aventures des Pieds-Nickelés (Marcel Aboulker, 1948), adaptation de la fameuse bande dessinée, il fonde après-guerre, avec Colette Brosset, la troupe des Branquignols, qui va très vite remporter de grands succès théâtraux. Les Branquignols, d’abord, puis Dugudu, Ah ! les belles bacchantes… (adapté au cinéma en 1954 par Jean Loubignac), Jupon vole, ou encore La Plume de ma tante, une pièce qui sera applaudie à Londres par la reine Élisabeth, puis aux États-Unis, où elle se verra décerner un Tony Award.

La Belle Américaine
La Belle Américaine Le Film d'Art (Henri Diamant-Berger), compagnie Franco-Coloniale Cinématographique (CFCC), Corflor, Panorama Films - LCJ Editions & Productions/DR

Le Film d'Art (Henri Diamant-Berger), Compagnie Franco-Coloniale Cinématographique (CFCC), Corflor, Panoramas-Films - LCJ Editions & ProductionsRobert Dhéry et ses compagnons tentent très vite l’aventure du grand écran avec Branquignol, en 1949, un film en forme de carte de visite pour leur humour complètement « branque », qui remporte un franc succès. Suivront entre autres, outre La Belle Américaine, Allez France ! en 1964 (sur les déambulations londoniennes d’une troupe de supporters français de rugby, réalisé avec la complicité de Pierre Tchernia) et Le Petit Baigneur, le plus grand succès de Dhéry (plus de 5,5 millions de spectateurs en 1968), qui lui permet de donner la réplique à un ancien Branquignol devenu entre-temps une superstar du rire, Louis de Funès. D’un film à l’autre, on retrouve cet humour potache et bon enfant, rehaussé d’un goût pour les digressions absurdes, qui place Dhéry en épigone de Jacques Tati, du « nonsense » à l’anglo-saxonne et des comiques américains modernes à la Jerry Lewis (la fameuse scène des tubes dans Le Petit Baigneur).

En 1974, Vos gueules les mouettes ! sera le chant du cygne du réalisateur : avec seulement un million de spectateurs, le film est une déception. Robert Dhéry tournera peu par la suite, contraint au repos à cause d’une maladie du cœur, apparaissant une dernière fois au cinéma en tant qu’acteur en 1987 dans La Passion Béatrice, de Bertrand Tavernier, dans un rôle de troubadour revenant des croisades. Il meurt en 2004 à l’âge de 83 ans. On notera que sa carrière de cinéaste, commencée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et conclue dans la première moitié des années 70, au moment du premier choc pétrolier, épouse totalement les bornes chronologiques des Trente Glorieuses. Derrière sa loufoquerie et ses airs ahuris, Robert Dhéry en aura été l’un des observateurs les plus minutieux.

La Belle Américaine, de Robert Dhéry, édition collector Blu-ray + DVD + livret, LCJ Éditions & Productions

La Belle Américaine
Réalisation : Robert Dhéry
Scénario : Alfred Adam, Robert Dhéry, Pierre Tchernia
Auteur de la musique : Gérard Calvi
Production : Le Film d'Art (Henri Diamant-Berger), Compagnie Franco-Coloniale Cinématographique (CFCC), Corflor, Panoramas-Films, LCJ Editions & Productions 
Distribution : LCJ Editions & Productions