Robert Kramer, cinéaste engagé et irréductible

Robert Kramer, cinéaste engagé et irréductible

05 novembre 2019
Cinéma
Walk the walk
Walk the walk Avventura Films Vega Films-DR
Du 6 au 24 novembre, la Cinémathèque montre l’œuvre de ce réalisateur hors normes, globe-trotter et inventeur de formes.

Quand il est question de la mythologie de la route américaine, on parle en général de la Route 66 – celle qui traverse le pays d’Est en Ouest, chantée par John Steinbeck et Chuck Berry. Mais Robert Kramer, lui, préférait la Route One, qui va du Nord au Sud – tout un symbole pour celui qui aura toujours regardé son pays (et le monde), de biais, à rebours des conventions, des diktats et des idées reçues. Dans son film-somme, Route One / USA (1989), Kramer parcourait donc les Etats-Unis sur ce chemin de traverse, caméra au poing, sans plan de route ni scénario, cartographiant le territoire à coups de rencontres fortuites, évoquant au gré des kilomètres la pauvreté, le racisme, la déforestation, la violence, la condition des immigrés... Le film, son plus grand succès (notamment grâce à sa diffusion en France sur la 7, la défunte chaîne culturelle), est resté emblématique de la méthode du cinéaste, de l’ampleur de sa vision, de sa quête esthétique autant que politique, qui l’a amené à explorer le monde en tous sens, plongeant au cœur du chaos pour mieux saisir les soubresauts du changement.

Le journalisme au point de départ

Né à New York en 1939 de parents juifs ashkénazes, admirateur dès son jeune âge des films de John Ford, Robert Kramer s’était d’abord passionné pour la littérature et le journalisme (il part en 1965 au Venezuela filmer les guerilleros des Forces Armées de Libération Nationale), avant de plonger dans la politique et le cinéma au cours des années soixante, au moment où la société américaine est en pleine ébullition. Au sein du collectif Newsreel, il tourne des documentaires et des reportages engagés, témoignant de l’agitation politique et culturelle qui secoue le pays, sur les campus et dans les rues. Ses premiers longs métrages, In the Country, En Marge, Ice, tournés entre 1967 et 1969, mêlant documentaire et fiction, dressent le portrait d’une génération d’activistes, de rebelles, de militants politiques, d’opposants à la guerre du Vietnam, en lutte mais déjà hantés par les spectres de l’échec et de la désillusion. En 1975, l’imposant Milestones, présenté au Festival de Cannes, sera le film-somme de cette génération, le portrait d’une gauche à la croisée des chemins.

 

Une vie d’engagements

Alors que certains des idéaux soixante-huitards meurent à petit feu, Robert Kramer, lui, refuse le surplace. Il parcourt la planète, part au Nord-Vietnam pour donner la parole à « l’ennemi » (People’s War, 1969), filme la révolution des Œillets au Portugal (Scènes de lutte de classe au Portugal, 1975), avant de s’établir en France, où il tournera et enseignera dans les années 80 et 90. Là, il s’essaye à la fiction pure (A toute allure, 1981, avec son actrice fétiche Laure Duthilleul), voire à la science-fiction (Diesel, 1985, avec Gérard Klein). Au Portugal, en 1987, il médite sur l’exil dans Doc’s Kingdom, puis court à Berlin au lendemain de la chute du Mur pour témoigner de la réunification de l’Allemagne (Berlin 10/90, 1990). Il cherche, rumine, fourmille de projets, multiplie les expériences, triture la forme cinématographique, s’interdisant le repos ou le luxe des certitudes. Au total, il aura signé une trentaine de films, courts ou longs, mêlant fictions, documentaires, reportages, essais.

« Par ses films, Robert Kramer aura cherché à témoigner et à comprendre, écrit Pauline de Raymond dans le programme de la Cinémathèque. Son cinéma aura beaucoup montré ceux qu’il chérissait et ce fut sans doute sa façon de résister ». Dans sa nécrologie du cinéaste, publiée dans Libération en 1999, Edouard Waintrop rapportait ces mots de Robert Kramer, expliquant son travail avec les étudiants en cinéma de l’école du Fresnoy, dans le Nord : « J'essaie de plonger dans leurs projets. Je suis là pour construire, défaire, refaire. J'essaie de garder ce qui est vivant, spontané, de les mettre en face de leur souffrance, de se demander si cela en vaut le coup. » La rétrospective de cette œuvre protéiforme et majeure devrait démontrer que tout ça – cette vie d’errances et de tâtonnements, de voyages et de questionnements – « valait le coup ».

Rétrospective Robert Kramer, Cinémathèque française, du 6 au 24 novembre.