Rodolphe Chabrier : « L’arrivée de l’intelligence artificielle nous facilite la vie »

Rodolphe Chabrier : « L’arrivée de l’intelligence artificielle nous facilite la vie »

17 juin 2019
Cinéma
Le Roi Lion
Le Roi Lion Disney

A l’heure où l’animation est de plus en plus hybride, mélangeant les styles ou les techniques (2D et 3D), et courant vers toujours plus d’hyperréalisme, Rodolphe Chabrier, le fondateur de McGuff, revient pour nous sur les différents régimes d’images et les différences qu’il reste entre film live et film d’animation.


Le Roi Lion de Jon Favreau qui sort en juillet semble poser la question suivante : où se situe la limite entre le live action et l’animation ?

Effectivement la limite entre ce qui est filmé avec des caméras et ce qui est fait par ordinateur se confond de plus en plus. Mais le grand public n’envisage pas les choses comme ça. Le spectateur, lui, ressent instinctivement ce qui est de l’ordre du possible et ce qui est de l’ordre de l’impossible. Et même ces notions-là peuvent bouger dans son esprit, selon son âge, son expérience… Vous parliez du Roi Lion : des animaux se promènent dans la savane, ça c’est possible. Mais des lions qui se mettent à parler, non. Au fond, les gens qui paient leur billet ne vont pas sortir du film en se demandant ce qu’ils ont vu ; ils auront juste choisi de croire en l’histoire ou pas. Suivant que le spectacle leur paraît bien fait ou non.

Si vous ne raisonnez plus en termes de live et d’animation, quelle est votre grille d’analyse ?

Pour nous la dichotomie se situe sur un plan artistique. On fait une nette différence entre ce qui est de l’ordre des arts graphiques, ce qui sera stylisé donc, et ce qui tend vers l’hyperréalisme. C’est dans ces termes qu’on réfléchit, pas en se demandant si on fait du live ou de l’animation.

Pourtant la réalisation d’une scène tournée en live et celle d’une séquence animée n’ont rien à voir en termes de structure…

A l’écran, on ne peut plus trop faire la différence. Mais en terme de conception c’est effectivement complètement différent. L’arrivée d’outils plus performants comme l’intelligence artificielle nous facilite la vie, mais quand on fait un film en animation, c’est des centaines et des centaines de gens qui travaillent sur un projet ; chez Illumination McGuff et chez McGuff, tout court, on est plus d’un millier par exemple pour fabriquer ces images ! Quand tu tournes en live, tu as ton équipe, ton acteur, ou ton animal puisqu’on parlait du Roi Lion, et tu appuies sur le bouton de la caméra…

Vous voyez encore la différence à l’écran ?

Honnêtement, c’est de plus en plus dur, même pour un professionnel. Après, on le perçoit un peu lorsque le film a été terminé à la dernière minute mais c’est infime… Les progrès sont vraiment bluffants, le syndrome de « uncanny valley » a quasiment disparu (le phénomène de la vallée de l’étrange est une théorie de la robotique qui prétend que lorsqu’un objet atteint un certain degré de ressemblance anthropomorphique ou d’hyperréalisme, apparaît une sensation d’angoisse et de malaise ndlr). C’est fascinant…

Est-ce qu’on ne risque pas d’être blasé ou d’éprouver une certaine forme de lassitude ? Puisque tout est possible désormais en termes d’effets spéciaux alors plus rien n’est spectaculaire…

Oui. J’avais commencé à ressentir ça au moment de Matrix personnellement : les effets spéciaux étaient splendides mais le numérique ouvrait un trop grand champ de possible. L’antidote à cette lassitude c’est la mise en scène. Comment je vais faire intervenir tel effet numérique dans le cadre ? Comment va-t-il se déplacer ? Comment vais-je en faire ressentir l’impact aux spectateurs ? Quel sera le raccord suivant ? En un sens c’est rassurant : c’est finalement la mise en scène qui reste au cœur de tout, même à notre époque où l’on peut presque tout faire.

Y’a-t-il encore des révolutions envisageables justement ?

Pour moi, la vraie révolution à venir c’est l’acteur par intelligence artificielle. Si on va toujours vers plus de photoréalisme et si les deep data peuvent agréger suffisamment d’informations sur les émotions, alors on aura bientôt la possibilité d’avoir des acteurs conçus par intelligence artificielle.

C’est une révolution qui balaie tout ! Est-ce que ça veut dire que la motion capture (la technique popularisée par Avatar et La Planète des singes par exemple) était un mirage ?

Pas du tout ! Ça veut simplement dire que d’ici quelques années, les réalisateurs auront en fait quatre outils à leur portée pour faire leur film jusqu’aux acteurs compris : l’animation, le live, la mo-cap et l’intelligence artificielle. C’est comme une palette de peintre qui aurait de nouvelles couleurs : ça ouvre encore plus de possibilités !