Sandrine Kiberlain : « Avec Une jeune fille qui va bien, j’ai voulu un film d’époque… sans époque »

Sandrine Kiberlain : « Avec Une jeune fille qui va bien, j’ai voulu un film d’époque… sans époque »

01 février 2022
Cinéma
Rebecca Marder dans « Une jeune fille qui va bien » de Sandrine Kiberlain.
Rebecca Marder dans « Une jeune fille qui va bien » de Sandrine Kiberlain. Jérôme Prébois - Ad Vitam
Pour son premier long métrage en tant que réalisatrice, Sandrine Kiberlain met en scène une jeune femme juive dans le Paris occupé de 1942. Elle nous explique pourquoi et comment elle a choisi de se libérer du carcan du film d’époque.

Une jeune fille qui va bien raconte l’entrée dans la vie d’une jeune femme de 19 ans : son premier grand amour, son envie d’embrasser le métier de comédienne… Bien que juive dans le Paris de 1942, elle a décidé que rien ne viendra abîmer sa quête du bonheur. Quand est née chez vous l’idée de ce film ?

Je crois que j’ai cette histoire en tête depuis l’enfance ! Elle correspond à un mélange de tout ce que je suis. Quand je me suis mise au travail, il a fallu épurer, mais aussi, et surtout, trouver le bon angle pour la raconter. J’ai alors eu cette idée qu’on vivrait l’histoire entièrement du point de vue d’Irène, l’héroïne, qui ne veut pas voir ce qui se passe autour d’elle et qui ne peut pas imaginer une seconde que ce monde qui s’ouvre devant elle ne soit pas que joie et insouciance… Pour me rassurer sur mes capacités de réalisatrice, j’ai réalisé un court métrage, Bonne Figure, en 2016. J’avais besoin de faire mes armes pour savoir si j’allais pouvoir assumer la fonction, être capable de donner aux comédiens autant que ce qu’on m’a donné en tant qu’actrice depuis des années et plus largement avoir la capacité de donner vie à cette histoire avec le parti pris que j’avais choisi.

Ce parti pris de faire un film d’époque… sans que rien, dans ses premières minutes, ne laisse penser que l’action se déroule en 1942. Pourquoi cette intemporalité était-elle essentielle à vos yeux ? 

Irène est pressée, enthousiaste et je voulais traduire à l’écran cette force de vie pour raconter le pire, comme une source d’aveuglement. On ne peut évidemment pas tricher quand on parle de cette période. Elle vous oblige. Mais faire un film d’époque sans époque allait me permettre de développer cette idée qu’une telle horreur pourrait tout autant se produire aujourd’hui ou demain.

Il y a aussi en vous l’idée de jouer avec le spectateur ?

Oui, en refusant de tout lui expliquer, de tout lui donner d’emblée, de fuir comme la peste toute démonstration. Il n’y a pas de carton précisant dans quelle année et quelle ville l’action se déroule. Pour que l’idée passe d’emblée que le récit va transcender l’époque. J’avais envie que, tout au long d’Une jeune fille qui va bien, le spectateur ne soit jamais en avance sur le récit mais le vive en découvrant ce qui arrive au moment où les événements, les rebondissements se produisent. Pour cela, il était essentiel qu’il fasse connaissance avec Irène et les membres de sa famille, avec le minimum de repères. Je voulais filmer l’avant-catastrophe qui peut en effet se produire à n’importe quelle époque, puis voir comment chaque personnage va réagir. Irène entend les informations, elle est dévastée mais elle se précipite à son rendez-vous amoureux car rien ne compte plus alors pour elle que ce moment ainsi que le concours du Conservatoire. Sa grand-mère, elle, veut se rebeller. Son frère qui manque de confiance en lui est, de son côté, à deux doigts de se laisser influencer. J’ai voulu que chaque séquence ait un enjeu et, sur le plateau, que chaque jour de tournage soit un film en soi. Comme dans la vie, il devait se passer des choses avec du presque rien. À commencer par la rencontre amoureuse. Il fallait absolument qu’elle soit marquante et crédible.

J’ai le souci constant du langage, le désir que chaque mot prenne une dimension particulière.


Cette idée de ne jamais s’enfermer dans une époque, c’est aussi un moyen de rapprocher ce personnage – que vous aviez en tête depuis tant d’années – de vous ?

Je ne pensais pas à moi en écrivant, mais à toutes les Irène du monde. Il y a évidemment de moi dans cette jeune fille puisque je me suis inspirée de ce que j’étais à cet âge-là, de ma famille aimante. Parce que je suis juive, mais d’une origine différente de la famille du film que je voulais française pour qu’elle se sente moins menacée. Parce que j’ai une pudeur qu’on retrouve dans le film avec le personnage du père que joue André Marcon : dans ma famille, on a été élevés sans se plaindre, sans se dire qu’on s’aime même si on le sent par tous les pores de la peau. Mais j’ai tenu cependant à éloigner au maximum ce récit de moi. J’ai une sœur, il n’y a pas de sœur dans le film. J’ai une mère, il n’y a pas de mère dans le film. Je n’ai pas de frère, il y a un frère dans le film. Je n’ai plus de père, il y a un père dans le film. C’était une manière de parler de moi en détournant certains éléments pour ne pas encombrer le récit. Après, comme ce film vient du cœur et que je l’ai en tête depuis des années, des choses de moi ont fini par transpirer ici et là. Les gens qui me connaissent les reconnaîtront. Un film finit toujours par vous dépasser.

Cette modernité que vous évoquez ne pouvait exister sans une actrice qui par son jeu, sa présence, allait l’incarner physiquement. Comment s’est fait le choix de Rebecca Marder ?

J’ai vraiment redouté de ne jamais trouver mon interprète. J’ai même été plusieurs fois aux portes du découragement. J’ai dû voir une trentaine d’actrices, toutes excellentes. Mais j’attendais ce qu’on attend quand on tombe amoureux. La fameuse évidence. Et puis un jour, Rebecca a ouvert la porte… Je la connaissais, je l’avais même dans un coin de ma tête à cette époque. Comme si je luttais contre l’évidence que j’évoquais. Chaque audition s’étalait sur environ deux heures et j’avais écrit des scènes tout spécialement pour ces essais, pour ne pas épuiser celles du film. Rebecca est arrivée dans la pièce, inconsciente de sa grâce et de sa beauté fulgurante, maladroite, irrésistible d’humour… Je ne me lassais pas de l’entendre et de la voir. Je ne voulais plus qu’elle quitte cette pièce. Et on a arrêté le casting instantanément. Une jeune fille qui va bien allait enfin pouvoir prendre vie.

UNE JEUNE FILLE QUI VA BIEN

De Sandrine Kiberlain
Scénario : Sandrine Kiberlain
Images : Guillaume Schiffman
Montage : François Gédigier
Production : Curiosa Films, E.D.I. Films. Distribution : Ad Vitam
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