Sébastien Lifshitz : « Cette exposition de photographies est un chant d’amour ! »

Sébastien Lifshitz : « Cette exposition de photographies est un chant d’amour ! »

11 octobre 2019
Cinéma
Bambi 1972
Bambi 1972 John Fitzgerald
En marge de la rétrospective de son œuvre au Centre Pompidou, du 4 octobre au 11 novembre, le réalisateur Sébastien Lifshitz propose L’Inventaire infini, une exposition de photographies amateurs tirées de sa collection personnelle. Entretien.

Cet évènement au Centre Pompidou est un peu un retour aux sources ?

En effet. Durant mes études d’Histoire de l’Art à l’école du Louvre, Bernard Blistène était mon professeur d’art contemporain. Il était également directeur d’exposition au Centre Pompidou. C’est lui qui m’a fait entrer à Beaubourg. En marge de mes études, je travaillais à la Galerie 1900 – 2000, à Paris, qui venait alors d’acquérir un énorme fonds du mouvement d’art contemporain Fluxus. Au même moment, Bernard Blistène envisageait justement de faire une rétrospective de ce mouvement. Je me suis alors retrouvé à lui présenter le fonds et dans la foulée, il m’a engagé comme assistant. Pour l’étudiant que j’étais, avoir accès à un endroit comme le Centre Pompidou était une chance inouïe. Y revenir aujourd’hui en tant que cinéaste en proposant une exposition de photographies, c’est assez émouvant.

Quelles sont les photographies que vous exposez ?

Cet accrochage est dédié à la photographie dite vernaculaire, un nom un peu barbare pour qualifier la photographie non artistique : images amateurs, photos de famille, médicales, publicitaires, industrielles… C’est un immense continent car elles sont partout autour de nous et chacun d’entre nous en produit avec son téléphone portable par exemple…  Or, c’est une partie de la photographie qui n’est pas considérée. Ces images ne sont pas « artistiques » et sont donc considérées comme impures. Elles constitueraient une sorte de sous-production sans intérêt. C’est évidemment faux. Prenez quelqu’un comme Walker Evans, son travail a été influencé par cette approche réaliste et intime. C’est à cette photographie que j’ai envie de rendre hommage aujourd’hui, comme un juste retour des choses. En tant que cinéaste, je n’ai pas été seulement influencé par les grands classiques du cinéma, de la peinture ou de la littérature, mais aussi et surtout par ces photos à priori insignifiantes que j’ai toujours collectionnées.

Sébastien Lifshitz au Centre Pompidou 2018 © Jean-Michel Sicot

D’où proviennent-elles ?

De ma propre collection. Ayant grandi à Paris, j’allais souvent au marché aux Puces pour y acheter des fripes avec ma sœur. Je devais avoir 10 ans et j’étais déjà obsédé par la photographie. Mon œil a été immédiatement attiré par ces cartons pourris, ces valises ouvertes qui regorgeaient de photos abandonnées. Personne ne faisait attention à elles. Je me suis mis à fouiller, à en acheter quelques-unes et très vite le volume a grossi. Je faisais ça sans arrière-pensée, sans préméditation mais j’ai compris peu à peu que ce geste n’était pas anodin. En accumulant ces images abandonnées, il y avait un désir très fort de les sauver de l’oubli. Ces images participent d’une mémoire. Tous ces anonymes aujourd’hui oubliés ne se volatilisent pas, ils laissent une empreinte. Je suis très sensible à ça. Un peu comme le personnage de François Truffaut dans La Chambre verte, qui s’est construit une chapelle dédiée aux morts. Ça parait un peu lugubre et morbide mais ce besoin de créer un lien entre les vivants et les morts est au contraire très beau.

Y a-t-il un fil conducteur qui permet de relier toutes ces photographies ?

Quand je trouve ces images, je n’ai pas d’informations attenantes, ce sont des images nues. Je peux donc y projeter absolument tout ce que je veux. Parfois, leur sens s’impose à moi. Certaines d’entre elles ont été ainsi à l’origine de certains de mes films. Par exemple, toutes les photos réunies sous l’appellation « amour et désir », avec ces couples homosexuels, ont été à la base des Invisibles. Je ne me considère pas comme un archiviste, il y a dans mon travail un geste de réappropriation de ces images. Un travail d’auteur si vous voulez. Je créais des ensembles, je reconstruis des histoires. Il s’agit peu ou prou du même travail lorsque je fais un documentaire ou un film de fiction : je pense à un récit à partir de plans, d’individus, d’histoires….  La grande différence avec ces photographies amateurs, c’est leur poids historique, sociologique et humain. Il y a une mémoire derrière chacune d’entre elles, tous ces gens qui figurent sur ces clichés ont un vécu. Cette exposition leur redonne vie. Je prolonge leur existence.

On sent chez vous un désir très fort de célébrer un corpus photographique méprisé…

Le passé est souvent raconté à travers les expériences ou les traces qu’ont laissées les hommes et les femmes illustres. Ce sont eux qui incarnent l’Histoire. C’est injuste. Qu’est-ce que ces gens, qui par définition avaient des vies hors normes, peuvent nous apprendre du quotidien du peuple ? Ces photos anonymes nous donnent des indications plus réalistes. Il y a une vérité documentaire incomparable. Cette intimité, vous ne la retrouvez nulle part ailleurs. Toutes ces petites choses à priori insignifiantes sont pourtant essentielles à la compréhension du monde. Cette exposition est un chant d’amour.

Aujourd’hui la production de ces images « quotidiennes » est frénétique et circule très vite via les réseaux sociaux. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?

L’image numérique est à la portée de tout le monde et permet toutes sortes d’expériences. C’est fantastique. En revanche, elles sont très fragiles car aujourd’hui tout est dématérialisé. Qui se soucie réellement de leur durée de vie ? Elles sont stockées sur un disque dur qui lui-même est périssable. J’entends souvent des amis se lamenter d’avoir perdu leurs photos intimes car leur ordinateur s’est cassé. Il faut vraiment se poser la question de l’archive, sinon il ne restera aucune trace de notre époque. C’est angoissant. Idem avec les films. La plupart sont tournés en numérique et vont vieillir très vite puis disparaître. Que fait-on ? J’ai la chance que le Centre Pompidou organise cette rétrospective de mon œuvre. Tous mes longs métrages ont été restaurés. Mais qu’en est-il pour les autres ?

L'Inventaire infini est organisé dans le cadre du Festival d'Automne qui accompagne depuis 1972 les artistes en produisant et diffusant leurs œuvres.