SHINING

SHINING

07 mars 2017

FIGURES
 

Le plus mémorable dans Shining reste sans doute la poursuite qui clôt le film. Ce motif n’est pas spécifique au genre fantastique. C’est aussi un topos privilégié du film noir et du western. À chaque genre son univers, à chaque cinéaste sa façon de le traiter. Analysons ici les choix de mise en scène de Kubrick pour la séquence finale dans le labyrinthe enneigé.

Kubrick met en place un dispositif qui empêche le spectateur d’évaluer objectivement l’avancée de la poursuite. Il choisit un espace vide et labyrinthique à l’intérieur duquel les personnages ne sont jamais situés l’un par rapport à l’autre. Un principe de montage alterné, passant sans cesse de la proie au prédateur, renforce la désorientation du spectateur. En fin de séquence seulement, un plan réunit dans le champ les deux personnages (travelling latéral qui relie Danny, caché derrière la
haie, et son père passant de l’autre côté sans le voir). La vision subjective du point de vue de Jack accentue encore cette tension dramatique : elle ne montre que les traces de pas de Danny, empêchant toute appréciation de la distance qui les sépare.


Jusqu’à la ruse de Danny, le spectateur ne sait pas si son père le talonne ou ne peut le voir. Toutefois, quelques indices permettent d’imaginer une progression dans la traque. Les plans subjectifs, en effet, sont plutôt attribués à Jack au début de la poursuite, et à Danny à la fin, suggérant ainsi une évolution du rapport de force. Parce qu’il maîtrise le champ visuel, c’est Danny qui devient peu à peu maître du labyrinthe.

 
Enfin, l’usage du steadicam amortit les soubresauts de la caméra et fait

que la poursuite n’est pas filmée de façon réaliste (comme dans un reportage, par exemple, caméra à l’épaule). La traque devient ici un processus abstrait qui établit le sentiment d’une fatalité.

Il est intéressant de comparer ce dispositif à celui d’autres films. On peut notamment chercher les différences et les similitudes avec le film de John Landis, Le Loup-Garou de Londres, réalisé un an après Shining, et qui met en scène une scène spectaculaire de traque dans le métro. Dans cette dernière, c’est parce que le monstre est invisible qu’il l’emporte finalement.

 

LES ACTEURS

 

Jack Nicholson (né en 1937) est déjà une grande star lorsque Kubrick le choisit pour Shining. Depuis le début de sa carrière, il s’est fait une spécialité de personnages introspectifs et excessifs qui passent du mutisme au déferlement de violence le plus outrancier. Ainsi de sa composition dans Vol au dessus d’un nid de coucou (Milos Forman) qui lui vaut un oscar en 1975. Le personnage de Jack, à qui il conserve tout son mystère – entre folie, possession et bouffonnerie – lui ouvrie la porte d’autres rôles fantastiques : pour Tim Burton, il incarne le Joker dans Batman (1988), ou le président des Etats-Unis dans Mars Attacks ! (1996), avec un égal cabotinage jouissif et maîtrisé.

Shelley Duvall (née en 1950) fut découverte par Robert Altman (Brewster Mc Cloud, 1970). Elle s’illustre également dans Annie Hall (1977) de Woody Allen avant d’incarner Wendy dans Shining. Elle confiera plus tard que le tournage en fut particulièrement éprouvant tant Kubrick l’aurait mise sous pression. L’étrangeté de son physique, l’impression de déphasage permanent qui ressort de sa composition, rendent le personnage de Wendy très indistinct, à la fois tragique et comique.

Scatman Crothers (1910-1986) s’est illustré à partir du milieu des années soixante dans des seconds rôles variés et soignés : il participe aussi bien à des films pour enfants (Les Aristochats, Wolfgang Reitherman, 1970) qu’à des drames (Vol au dessus d’un nid de coucou) ou des westens (Bronco Billy, Clint Eastwood, 1980). Il campe ici le vieux cuisinier Halloran qui initie Danny aux pouvoirs du « shining ». De par le spectre de son jeu, qui va de la bonhomie à la gravité, il instille dès l’orée du film le sentiment du fantastique et de « l’inquiétante étrangeté ».