La plus symbolique – Mon voisin Totoro (1988)
Le film de Hayao Miyazaki met en scène une forêt merveilleuse qui jouxte la maison où habitent deux fillettes avec leurs parents. En y pénétrant, comme Alice dans le trou du lapin, elles vont découvrir Totoro, l’esprit de la forêt qui revêt des tailles différentes - de la petite à la géante. Chez ce réalisateur japonais très engagé pour l’écologie, la forêt est partout et multiple, tour à tour bienveillante, menaçante ou mystérieuse (Nausicaä de la vallée du vent, Princesse Mononoké...). Dans Totoro, elle matérialise surtout la fascination de Miyazaki pour le règne végétal et symbolise un lieu sacré où l’homme peut se ressourcer. Sa protection est plus que nécessaire : vitale.
La plus expressionniste – Le Petit Poucet (2001)
Adaptation du célèbre conte de Charles Perrault, le deuxième film d’Olivier Dahan ambitionnait de respecter l’œuvre originelle (il est aussi sombre et cruel) avec un traitement formel à l’ancienne. Alimentée par le souvenir des illustrations de Gustave Doré ou du Britannique Arthur Rackham, nourrie par l'inconscient collectif, sa forêt est le reflet de nos traumatismes et de nos peurs d’antan. Un endroit qui fait grandir les enfants en les confrontant à leurs peurs. Hommage à l’expressionnisme, le Petit Poucet de Dahan est un théâtre d’ombres inquiétant dont la forêt est, avec ses arbres prêts à engloutir les visiteurs, l’incarnation ultime.
La plus malsaine – Calvaire (2005)
Premier long métrage de Fabrice Du Welz, Calvaire n’a pas laissé indemnes les spectateurs qui l’ont vu. Pur film d’épouvante, il s’inscrit dans la lignée des grandes œuvres sensorielles, oscillant entre le giallo italien (Bava, Argento) et l’horreur “réaliste” du cinéma américain des années 70 (on pense à Massacre à la tronçonneuse). Du Welz revisite le monde des contes et fait de Laurent Lucas la proie d’ogres joués par Jackie Berroyer et Philippe Nahon. Dans sa forêt, tout suinte la mort, le frisson et le sang. Son bois touffu dissout les repères ; l’harmonie entre l’homme et la nature a disparu ; et la forêt déverrouille les névroses des égarés, intéressant moins les agronomes que les psychanalystes. Elle est la métaphore d’un désordre intérieur. Âmes sensibles s’abstenir.
La plus étrange – The Lobster (2015)
Tout est bizarre dans The Lobster, du cinéaste grec Yórgos Lánthimos, portrait d’une société où les célibataires se retrouvent dans un hôtel avec l’obligation d’y trouver un(e) partenaire dans un délai de 45 jours sous peine d’être changé(e) en animal de leur choix ! Mais la Résistance s’organise. Réfugiés dans la forêt environnante, les rebelles sont régulièrement pourchassés par les célibataires qui gagnent un répit en cas de capture… Tout est désincarné dans ce film où le rire est constamment désintégré par la tragédie, et inversement. Dans ce contexte absurde, la forêt a quelque chose de rassurant et d’enveloppant, d’authentique, par rapport à la froideur de l’hôtel et des protagonistes qui semblent tous hypnotisés. On a dit cette forêt « étrange », mais elle serait plutôt « initiatique » : elle est d’abord un lieu de passage ; elle ménage un équilibre entre nature et culture, jusqu'à la victoire de l'ordre social. Passer à travers ce lieu c’est se libérer, retrouver son humanité à travers l’ensauvagement ; elle est au fond l’endroit qui nettoie d’une norme civilisatrice tyrannique. Cette forêt vivante attire les hommes, animaux dénaturés, parce qu'elle reste source de la vie, et lieu de régénération physique et spirituelle.
La plus lointaine – Dans la forêt (2017)
La forêt du titre se situe en Suède. Un père (Jérémie Elkaïm) y emmène ses deux fils dont le cadet a des visions cauchemardesques et prémonitoires. S’ensuit une balade bucolique qui tourne à l’effroi à mesure que le père révèle sa nature instable, renforcé par le calme apparent des éléments. Leur enfoncement dans une forêt primale, reflet de l’inconscient paternel tourmenté, est un voyage sans retour au cœur des ténèbres…Ces enfers sylvestres où la nuit est d'un « noir de poix » sont terrifiants. Les forces du Mal semblent y avoir installé leur repère et on croit à chaque détour que les ténèbres vont engloutir les trois voyageurs.
La plus maudite – Sortilège (2020)
Le tunisien Ala Eddine Slim s’est fait remarquer avec son premier film, The Last of Us (2016), portrait d’un migrant dont l’errance dans une nature hostile avait évidemment valeur de symbole. Sortilège s’inscrit complètement dans cette lignée, faisant d’un déserteur le protagoniste mutique et solitaire d’une fuite qui le mène aux portes d’une forêt énigmatique. La futaie semble être promesse de réconciliation, abri protecteur face aux vicissitudes du monde. Mais dans la deuxième partie de ce conte moderne aux accents kubrickiens (lents mouvements d’appareil hypnotiques, gros travail sur la lumière et le son), le héros rencontre une femme enceinte avec qui il entame une relation particulière. Entre occultisme et panthéisme, un film fascinant.
Sortilège, qui sort en salles mercredi 19 février, a reçu l’aide aux cinémas du monde (production) et l’aide sélective à la distribution (aide au programme) du CNC.