Zombi Child : Comment réaliser un film français de zombie en Haïti ?

Zombi Child : Comment réaliser un film français de zombie en Haïti ?

13 juin 2019
Cinéma
Zombi Child
Zombi Child AdVitam Distribution

Bertrand Bonello explore la culture vaudou haïtienne et signe un film de genre qui détonne dans le paysage cinématographique français sur une terre réputée hostile aux tournages. Récit d’un pari réussi.


Voilà quelques semaines déboulait à la Quinzaine des Réalisateurs Zombi Child de Bertrand Bonello. Un film de zombi (sans le e, pour en revenir aux origines du mot, issu de la culture haïtienne) qui commence en Haïti en 1962. La première image est celle d’un homme ramené d’entre les morts pour être envoyé de force dans l’enfer des plantations de canne à sucre. Un peu plus tard, on comprendra que ce zombi reviendra hanter une adolescente haïtienne et son entourage, 55 ans plus tard, à Paris.

Bonello commence à s’intéresser à Haïti au tout début des années 2000 quand Charles Najman, un de ses proches aujourd’hui disparu, y tourne Royal Bonbon. Petit à petit il se renseigne sur l’histoire et la culture de Haïti, mais sans penser en faire un long métrage. Jusqu’au début 2018, quand lui vient l’envie de « mettre en scène un film vite, avec peu de moyens, mais avec un sujet fort ». Ce sera donc Haïti et le sujet fort, la figure de Clairvius Narcisse, ancien esclave haïtien qui aurait été transformé en zombi après sa mort déclarée en 1962. L’homme raconte avoir été déterré puis exploité par ses ravisseurs pour travailler ensuite dans une plantation et une raffinerie. « C’est un des rares cas documentés. Lorsque j’en ai entendu parler il y a une quinzaine d’années, j’ai trouvé cela très beau ». Il décide d’en faire la figure centrale de son récit avec un minutieux travail de préparation en amont. « Le film est documenté avec précision : la poudre qui transforme un homme en zombi, la situation d’esclavage où il est maintenu dans les plantations ; le sel, la viande ou les cacahuètes qui, s’il en mange, le font sortir de son état de zombi et retourner chez lui, ou dans sa tombe. »

Inscrit dans l’imaginaire haïtien, Zombi child a peu à voir avec les films sanguinolents de George A. Romero, l’un des pères des morts-vivants dans le cinéma hollywoodien. Le zombi américain est en effet devenu à partir de la fin des années 60 une figure pop volontairement outrée, à mille lieues de ce que le cinéaste développe ici : « Il a simplement gardé du haïtien sa démarche, sa lenteur, mais pas sa fonction. Il est un vrai mort, ce qui n’est pas le cas du haïtien : lui est suspendu quelque part entre la vie et la mort ». Les films de Romero ont cependant accompagné son travail. Mais pour être le plus juste avec cette culture, il a surtout consulté le livre fondateur L’île magique : Les Mystères du Vaudou de William Seabrook autour du récit d’un des premiers chercheurs occidentaux à avoir assisté à des cérémonies vaudou sur place. Au cinéma, deux films trouvent grâce à ses yeux : Les morts-vivants de Victor Halperin avec Béla Lugosi et Vaudou de Jacques Tourneur.

Puis, une fois le scénario achevé, Bonello est allé poser sa caméra en Haïti. Un pays réputé impossible pour les tournages : on compte sur les doigts d’une main les cinéastes qui s’y sont aventurés (Najman, Raoul Peck, Wes Craven, Jonathan Demme…). « On m’avait dit qu’il n’y avait pas pays plus compliqué pour tourner à cause de la pauvreté qui y règne mais aussi de l’agitation politique et des tremblements de terre à répétition. Mais j’y tenais. Pour des raisons éthiques - en recréant une cérémonie vaudou ailleurs, ces scènes auraient été vidées de leur sens – et esthétiques. » Bonello se prépare avec sa productrice Judith Lou Lévy en y effectuant trois voyages. Pour trouver les lieux précis de tournage et surtout se faire accepter auprès des Haïtiens. « Ils tirent légitimement leur fierté d’avoir été la première république noire indépendante en 1804. Leur méfiance envers l’image de leur pays véhiculée est grande, justement autour des zombis et des vaudous. Une phrase la résume: quand vous arrivez avec une caméra, c’est comme si vous arriviez avec un fusil… »

Les réticences tombent peu à peu et sur place, le tournage ne vire jamais au cauchemar. « Comment avons-nous réussi ? Un mélange de chance, de pugnacité, d’organisation et le soutien de l’équipe haïtienne engagée à nos côtés. » A l’écran, ce réalisme, ce retour aux sources d’un pays et d’une culture confère une puissance troublante. Surtout, elle donne une densité au projet, car pour le cinéaste, ces rites haïtiens servent aussi à explorer les états d’âme d’une jeunesse contemporaine. Le cinéaste a en effet suivi deux mouvements parallèles… d’abord son « désir pour un élément haïtien. Puis l’élément français, le chagrin d’amour adolescent. L’énorme contraste entre ces deux éléments fabrique un frottement qui fait surgir d’autres choses. » Une belle manière de définir le cinéma de Bertrand Bonello…

Zombi Child, de Bertrand Bonello, en salles le 12 juin.