Les reporters, héros du grand écran

Les reporters, héros du grand écran

18 juin 2020
Cinéma
Profession : reporter de Michelangelo Antonioni
Profession : reporter de Michelangelo Antonioni Park Circus - Les Films Concordia - CC Champion - Cipi Cinématografica
A l’occasion du 45ème anniversaire de Profession : reporter de Michelangelo Antonioni, sorti en France le 18 juin 1975, retour sur cinq fictions et documentaires qui ont mis en avant la figure du reporter depuis les années 1930.

The Front page de Lewis Milestone (1931)

Au départ, il y a un immense succès de Broadway : The Front page de Ben Hecht et Charles MacArthur en 1928 qui raconte comment un journaliste évite une erreur judiciaire. Trois ans plus tard, Lewis Milestone, produit par Howard Hughes, s’en empare avec un film portant le même titre. Dix ans après, Howard Hawks, qui vient de triompher coup sur coup avec L’Impossible Monsieur Bébé et Seuls les anges ont des ailes, s’en empare lui aussi pour trousser une comédie de remariage. Pour cela, il propose à ses scénaristes une idée aussi simple que géniale : changer le sexe du journaliste qui devient une femme incarnée par Rosalind Russell. Une idée née lors d’un dîner arrosé où Hawks a proposé à ses convives de faire une lecture de la pièce d’Hecht et MacArthur en confiant le rôle du reporter à une femme, lui-même jouant son rédacteur en chef de mari. Ce personnage de reporter lui donne ainsi l’occasion de traiter des rapports hommes-femmes dans une screwball au rythme fou avec un débit verbal estimé à 240 mots par minute. Un record sur grand écran. Dans les années suivantes, deux autres cinéastes s’empareront de nouveau de The Front Page : Billy Wilder avec Spéciale première interprété en 1974 par Jack Lemmon et Susan Sarandon, et Ted Kotcheff avec Scoop qui réunira en 1988 Burt Reynolds, Christopher Reeve et Kathleen Turner.

 

Shock Corridor de Samuel Fuller (1963)

C’est en 1946 que Samuel Fuller écrit une première version de Shock Corridor sous le titre de The Lunatic mais le projet reste alors à l’état d’ébauche. Il prendra vie une vingtaine d’années plus tard, dans la foulée du succès à Broadway de Vol au-dessus d’un nid de coucou. Car cette histoire de reporter qui va basculer dans la folie au cœur d’un asile devient alors finançable. Samuel Fuller, qui sort d’un film de guerre, Les Maraudeurs attaquent, va donc se lancer dans un tournage ultra-serré – seulement 10 jours – réunissant des acteurs peu connus du grand public. Et si au fil du temps le film deviendra culte, il vaut à sa sortie de nombreux problèmes à Samuel Fuller qui prend l’Amérique à rebrousse-poil en abordant de front des sujets tabous comme les ravages de la guerre au Vietnam, le danger nucléaire et surtout la xénophobie avec ce personnage noir se confectionnant des cagoules du Ku Klux Klan dans des taies d'oreiller et hurlant les mêmes propos racistes dont il a été lui-même victime dans sa jeunesse. Magnifiquement éclairé par Stanley Cortez, le directeur de la photo de La Splendeur des Amberson et de La Nuit du chasseur, Shock Corridor puis Police spéciale vaudront au final à Samuel Fuller d’être banni d’Hollywood.

 

 

Profession : reporter de Michelangelo Antonioni (1975)

En 1972, à son retour de Chine où le régime maoïste l’a invité à réaliser Chung Kuo, la Chine, un documentaire sur son pays qui fâchera pourtant Mao en personne, Michelangelo Antonioni doit enchaîner avec Techniquement douce, le troisième film du contrat qui le lie à la MGM et à Carlo Ponti, après Blow-Up et Zabriskie Point. Il y est question d’un journaliste déçu par son métier qui part dans la jungle amazonienne à la recherche d'une existence plus libre. Mais Conti se retire et le projet tombe à l’eau. Au même moment, Mark Peploe, le frère de sa compagne Clare, lui fait passer un scénario qu’il vient de terminer, Fatal Exit, dont là encore un journaliste est le héros. Fatal Exit est un thriller - un reporter britannique se fait passer pour mort et prend l'identité de son voisin de chambre, lui décédé, sans savoir que cet homme était un espion au service d'un groupe terroriste... Mais Antonioni va se réapproprier ce matériau en le transformant en un récit métaphysique, qu’il ambitionnait de développer avec Techniquement douce, tout en se nourrissant du travail documentaire qu’il vient de faire. A la photo, Luciano Tovoli (Nous ne vieillirons pas ensemble) privilégie le ton cru du reportage, la lumière naturelle à la lumière artificielle. Et ce sera le film de toutes les premières. Le premier film que réalise Antonioni sans en avoir écrit seul le scénario. Le premier scénario de Mark Peploe porté à l’écran. Le premier – et seul – film que Jack Nicholson tournera hors des Etats-Unis. Présenté en compétition à Cannes, Profession : reporter est considéré par beaucoup comme le dernier sommet de la carrière de son auteur.

 

 

Reporters de Raymond Depardon (1981)

Jacques Chirac et Georges Marchais en pleine campagne présidentielle, la première de Sauve qui peut (la vie) de Godard à la Cinémathèque, le voyage du Président Valéry Giscard d’Estaing en Chine, la conférence de presse de Coluche se déclarant candidat à la Présidentielle, Alain Delon, Catherine Deneuve, Yves Mourousi, Richard Gere, Omar Bongo, Mireille Mathieu, Christina Onassis, Gene Kelly… Voilà les événements et les personnalités qui défilent, filmés à l’épaule et sans commentaire, dans ce documentaire où Raymond Depardon a suivi les reporters photographes de l’agence Gamma couvrant tous les fronts de l’actualité – économique, politique, sportive, culturelle… - entre le 1er et le 31 octobre 1980. Depardon est un familier de l’univers des médias. Il a signé en 1977 Numéros zéro, un documentaire au cœur de la rédaction du quotidien Le Matin de Paris. Et surtout il est lui- même le cofondateur de l’agence Gamma qu’il vient de quitter en 1979, juste avant de filmer ses reporters. Son cinéma-direct emballe la critique et gagne une sélection à « Perspectives du Cinéma Français » au Festival de Cannes 1981.

 

La Déchirure de Roland Joffé (1984)

L’Année de tous les dangers, Salvador, Under Fire… Dans le début des années 80, les reporters de guerre ont régulièrement les honneurs du grand écran. Cette fresque sur le Cambodge après l’invasion de Phnom Penh par les Khmers rouges raconte l’histoire vraie de Sydney Schanberg, Prix Pulitzer 76. Un destin hors du commun repéré par David Puttnam, le producteur de Midnight Express qui a eu envie de le porter à l’écran, en confiant ce travail à deux débutants : le scénariste Bruce Robinson (connu jusque là comme acteur, notamment dans L’Histoire d’Adèle H de François Truffaut) et le réalisateur Roland Joffé (issu de la télévision). Puttnam est aussi un fin stratège puisque souhaitant Sam Waterston (La Porte du Paradis) dans le rôle principal et ayant eu vent de l’intérêt de Dustin Hoffman pour le projet, il fit tout pour décourager la candidature de ce dernier en exagérant allègrement les risques qu’il pourrait courir lors du tournage. Outre son succès en salles, La Déchirure triomphera aux Oscars avec trois statuettes pour sa photographie, son montage et Haing S. Ngor en second rôle. Ce dernier recevait une récompense pour un rôle qui rejoignait sa propre vie. Car ce docteur guida de nombreux journalistes occidentaux au Cambodge pour faire face aux fins de mois difficiles. Il fit ensuite carrière à Hollywood, entre séries (Deux flics à Miami…) et films (Entre Ciel et Terre…) avant de connaître une fin tragique à 55 ans en 1996, tué en pleine rue de Los Angeles par le membre d’un gang.