Quand le cinéma français parle de… cinéma

Quand le cinéma français parle de… cinéma

14 mars 2019
La Nuit américaine
La Nuit américaine Les Films du Carrosse - DR - T.C.D

A l’occasion du Printemps du Cinéma qui se déroule du 17 au 19 mars, focus sur six fictions et un documentaire français qui ont raconté le septième art côté coulisses.


Le Schpountz de Marcel Pagnol (1938)

Le cinéma, usine à rêves… et à cauchemars. Tel pourrait être le sous-titre de ce long métrage inspiré à Pagnol par une anecdote survenue sur le tournage de son film Angèle. Son équipe y avait donné une leçon à un petit curieux venu observer le plateau en se faisant passer pour une personnalité importante : il lui avait fait miroiter une carrière d’acteur jusqu’à lui faire signer un vrai-faux contrat. Quatre ans plus tard, c’est Fernandel qui devient ce Schpountz  (terme inventé par le chef op’ de Pagnol, Willy Faktorovitch, à partir du mot allemand « spund » qui signifie «  homme simplet »). A travers cette fable cruelle, Pagnol réglait son compte avec le milieu du cinéma qui s’était déchaîné contre lui quand il s’était fait l’un des premiers défenseurs du parlant alors que la majorité des producteurs refusaient de voir le muet disparaître.

Le Mépris de Jean-Luc Godard (1963)

C’est un chef-d’œuvre intemporel. Paul et Camille sont mariés. Mais leur couple bat de l’aile. Paul est écrivain et doit travailler sur un scénario : une nouvelle version de l'Odyssée qui sera réalisée par Fritz Lang, en Italie. Pendant ce temps-là, un producteur fait des avances à Camille… Dissection lucide et terrible du petit monde du cinéma, Le Mépris est un film sur la fin de l’amour, du cinéma et de la civilisation, peuplé d’ombres et de mythes (Fritz Lang, B.B., les statues antiques…). Mais le regard malicieux de JLG ne désespère jamais et Godard reste au fond un optimiste. La magie de ses images, la beauté de la partition de Delerue et le visage magnifique de Bardot prouvent qu'il ne croit pas à la mort du septième art.

La Nuit américaine de François Truffaut (1973)

Quand Truffaut se lance dans ce projet, il sort de deux échecs consécutifs avec Les Deux anglaises et le continent et Une Belle fille comme moi. Pour rebondir, il imagine l’histoire du tournage aux studios de La Victorine du film Je vous présente Pamela dont il joue le metteur en scène et Jean-Pierre Léaud, son acteur principal. Cette mise en abyme portée par sa fascination bienveillante pour le septième art provoque la fureur de Jean-Luc Godard. Dans une lettre au vitriol, il accuse Truffaut d’encenser une manière de faire du cinéma à l’ancienne… qui reniait à ses yeux tout ce qu’ils avaient combattu avec la Nouvelle Vague. Truffaut lui répondra tout aussi vertement avant d’être couronné de l’Oscar du film étranger et du BAFTA du meilleur film.

Sois belle et tais-toi de Delphine Seyrig (1981)

Après avoir signé le « manifeste des 343 » en 1971 puis accueilli en 1972 à son domicile la première démonstration de la méthode d’IVG du psy Harvey Karman, la comédienne Delphine Seyrig poursuit derrière la caméra son combat pour la cause des femmes. Dans ce documentaire - sa première réalisation en solo -, elle donne la parole à 24 comédiennes françaises et internationales. Et interroge Jane Fonda, Juliet Berto, Ellen Burstyn, Marie Dubois, Shirley MacLaine et les autres sur leur place en tant qu’actrices dans un milieu dominé par les hommes. L’immense majorité de leurs réponses restent hélas d’actualité. Notamment sur la forte inégalité entre les temps de parole réservés aux femmes et aux hommes dans les films.

Irma Vep d’Olivier Assayas (1996)

Avec ce projet initialement prévu en trois parties (Claire Denis et Atom Egoyan devaient signer les deux autres), Assayas plonge dans le tournage chaotique à souhait d’un remake des Vampires – le chef d’œuvre muet de Louis Feuillade– avec Maggie Cheung (dans son propre rôle) choisie pour interpréter le personnage créé alors pour Musidora. L’occasion pour Assayas de rendre un hommage à tous les genres de cinéma qu’il convoque pour ce récit : du muet au film de kung-fu en passant par la Nouvelle Vague avec son choix de confier le rôle du réalisateur de ce remake à Jean-Pierre Léaud. Sa Nuit américaine à lui.

The Artist de Michel Hazanavicius (2011)

C’est le portrait d’un acteur, un artist bondissant adulé des foules qui fait des pirouettes comme Errol Flynn et porte la moustache de Fairbanks. Nous sommes à la fin des années 20, à Hollywood. C’est le triomphe du cinéma muet. Mais quand le son arrive, George Valentin va être dépassé… Michel Hazanavicius signe là un grand rêve de cinéphile, une déclaration d’amour au cinéma classique qui raconte aussi (un peu comme Chantons sous la pluie) un bouleversement technologique et artistique. Pour capter la vibration de l’époque, Hazanavicius a déployé des trésors d’invention lors du tournage. Comme diffuser de la musique sur le plateau pour donner le rythme de la scène. Quant au chef-op Guillaume Schiffman, il a recréé des optiques munis de lentilles spéciales rappelant celles de l’époque. La technique utilisée pour le tournage était en soit une mise en abyme du film. The Artist est un hommage total au cinéma de l’époque et on ne s’étonnera pas qu’il ait reçu 105 récompenses dont cinq Oscars, six César et un prix d’interprétation à Cannes.

Maestro de Léa Fazer (2014)

Toute ressemblance avec le tournage d’un film d’Eric Rohmer est ici tout sauf fortuite. C’est en effet après son expérience sous sa direction dans Les Amours d’Astrée et de Céladon que le comédien Jocelyn Quivrin avait eu l’idée de ce scénario pour raconter le « choc humain » vécu sur ce plateau. Ce projet aurait même dû être sa première réalisation avant qu’il ne perde la vie dans un accident de voiture. Sa co-scénariste Léa Fazer a souhaité lui rendre hommage en le portant elle-même à l’écran. Son Maestro s’amuse du cloisonnement entre des auteurs regardant de haut tout ce qui est divertissant et des comédiens habitués à un cinéma plus populaire raillant les dialogues ultra-littéraires qu’ils ont à jouer. Et c’est Michael Lonsdale qui incarne ce personnage de metteur en scène fortement inspiré de Rohmer, disparu en janvier 2010, peu après Jocelyn Quivrin.