Benoit Felici (Archi-faux/Archi-vrai) : « La réalité virtuelle invite à la flânerie »

Benoit Felici (Archi-faux/Archi-vrai) : « La réalité virtuelle invite à la flânerie »

19 septembre 2018
Archi-faux
Archi-faux Arte, Artline Films

Diffusé sur Arte le 19 septembre à 22h30, le documentaire « Archi-faux, vraies villes et faux monuments » est accompagné d'une expérience en réalité virtuelle baptisée « Archi-vrai ». Son réalisateur, Benoit Felici, revient sur la création de ce film disponible sur l'appli ARTE360-VR depuis le 14 septembre.


Comment en êtes-vous venu au documentaire ?

Je suis franco-italien et j'ai fait mes études d'audiovisuel et cinéma documentaire en Italie. Mon premier film s'appelait Unfinished Italy (Italie inachevée). Il s'intéressait aux constructions publiques, lancées lors du boom économique, qui n'ont jamais été terminées. C'est une image bizarre du pays, comme si le temps s'était congelé.

Dans Archi-faux/Archi-vrai, vous vous intéressez une nouvelle fois à l'architecture en mettant en lumière des villes européennes recréées de toutes pièces notamment en Chine. D'où vient cet intérêt pour ce domaine ?

Ce n'est pas un hasard si l'architecture m'intéresse. Mon frère, ma sœur, ma compagne, ma belle-sœur : autour de moi, tout le monde est architecte, ce qui a peut-être eu une influence ! Mais j'avais avant tout envie de poursuivre la réflexion de mon premier film, de voir comment certains lieux et zones d'habitation peuvent être transformés par les gens qui vivent dans ces quartiers qui sont des containers d'histoires. Je voyais ces copies architecturales comme des décors de théâtre dans lesquels se déroulent en même temps des histoires du quotidien.

D'où est partie l'idée d'explorer les copies chinoises de Paris et d'autres villes européennes ?

J'ai commencé à filmer en Autriche, où le maire d'un village a reçu un jour, de la part d'un promoteur immobilier chinois, une invitation à venir inaugurer sa ville copiée à l'identique là-bas. Cette histoire, qui n'est finalement pas dans le film, m'a interpelé et j'ai tiré ce fil petit à petit. Je me suis aperçu qu'il y a des répliques architecturales partout, sur tous les continents. On trouve le monde entier en Chine. Tout ça m'évoquait le changement d'échelle qu'on vit depuis quelques décennies, avec les changements de notre rapport aux distances.

Avez-vous construit l'expérience VR en même temps que le documentaire ?

J'ai fait le film en 2D dans un premier temps et c'est venu au fur et à mesure avec Arte qui m'a proposé de développer un projet web. L'idée de tenter quelque chose en réalité virtuelle s'est imposée de manière assez naturelle. Ça m'a tout de suite parlé car ces lieux sont un peu virtuels dans le sens où ils renvoient à une image qui est ailleurs. L'expérience immersive, c'est être ici, assis sur une chaise à Paris, et en même temps être projeté dans un espace virtuel en Chine.

Cette technologie était-elle un challenge pour vous ?

On a travaillé avec deux caméras collées l'une à l'autre filmant chacune à 180 degrés. On a filmé en 8k, ce qui est novateur, et avec un dispositif optique spécial. Ce n'est pas facile de tourner un documentaire en VR, c'est d'ailleurs le plus gros challenge au-delà de la technique. Avec un documentaire, on filme en  général avec une équipe de 3, 4 personnes et un matériel léger. En VR, on était 14 personnes. C'est comme faire un documentaire en étant un éléphant dans un magasin de porcelaine. Nous avons par exemple tourné dans un restaurant chinois où nous avons fait fuir à peu près tout le monde avec notre dispositif prenant la moitié de l'établissement ! C'était un challenge assez folklorique.

Comment vous êtes-vous adapté à ce changement de support ?

Je n'ai pas trouvé l'écriture documentaire plus difficile pour la VR. Mais la technique, oui. J'ai écrit le film mais je l'ai tourné avec Mathias Chelebourg, un jeune réalisateur spécialisé en VR. Il m'a apporté son expérience. Il a fait en sorte que je puisse faire du documentaire sans avoir à me préoccuper des dizaines de contraintes techniques de la réalité virtuelle, avec des rapports de distance compliqués : il n'y a pas la notion de caméra à l'épaule, on ne peut pas faire un plan serré sur quelque chose...  Ce sont des contraintes qui obligent à faire une narration différente : on est dans une flânerie où on se déplace dans ces lieux.

Qu'apporte pour vous la réalité virtuelle pour le spectateur ?

Je trouve le rapport au réel intéressant. Lorsqu'on est en immersion, on est transporté dans une réalité qui n'est pas la nôtre et qui est amplifiée par le fait qu'on est coupé du monde avec le casque. On a tendance à se laisser raconter une histoire et à se glisser dedans. C'est le rapport entre la véracité des images qu'on voit et la distance avec le sujet qui est fascinante. Mais pour moi, tous les sujets de documentaires ne peuvent pas s'adapter en VR, il faut vraiment que le dispositif technique soit justifié comme un choix artistique. Il ne faut pas faire de la réalité virtuelle pour faire de la réalité virtuelle. Dans un film en 2D, pourquoi utiliser un drone quand on n'en a pas besoin ? C'est la même chose.

La réalité virtuelle se développe de plus en plus mais sans encore connaître un essor considérable. Pour vous, c'est l'aspect technique ou financier qui est un frein à son développement ?

Un peu tout. Il y a des difficultés techniques, mais ça va évoluer avec le temps. Le public a également parfois du mal à accepter la VR. Certaines personnes ont des nausées même si c'est moins fréquent aujourd'hui. Il faut un certain temps pour s'habituer. Après 45 minutes, une heure avec le casque, on fatigue alors qu'on peut rester des heures dans une salle de cinéma. Mais la technique va évoluer, ça ne m'inquiète pas. Le rapport financier joue également un rôle car c'est une technologie qui a un coût. Pour Archi-vrai, le film en VR, on doit être au-dessus de 200 000 euros. Mais on a eu le soutien d'Arte et du CNC pour le financer.