Blanca Li, présidente du Dicréam : "Offrons aux artistes la possibilité d’explorer de nouvelles formes de création"

Blanca Li, présidente du Dicréam : "Offrons aux artistes la possibilité d’explorer de nouvelles formes de création"

01 décembre 2020
Création numérique
"ROBOT !" de Blanca Li Magali Bragard
Danse, cinéma, installations multimédia, art cinétique, réalité virtuelle… Blanca Li est une artiste qui aime faire dialoguer les arts sous toutes leurs formes. Nommée présidente du Dispositif d’aide pour la création artistique multimédia et numérique (DICRéAM) du CNC en juin 2020, elle nous raconte son expérience.

Blanca Li Nico Bustos
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’accepter de présider le DICRéAM ?

Blanca Li : Je suis, depuis longtemps, attirée par les projets qui échappent aux définitions. J’aime faire des choses qui n’ont jamais été faites, et raconter des histoires avec les moyens d’aujourd’hui. Depuis que j’ai commencé à faire mes propres créations, j’ai toujours aimé utiliser les technologies pour créer, qu’il s’agisse des premiers ordinateurs portables, des premières caméras vidéo... Je me souviens même avoir expérimenté un programme qui permettait au début des années 1990 de créer une fiction chorégraphique et filmée… J’ai testé ces nouveaux outils pour inventer des nouvelles formes d’expression artistique. J’aime être à la croisée des arts, développer des projets hybrides comme Le Bal de Paris par exemple qui mêle à la fois la danse, le spectacle vivant, la musique, le cinéma, la VR. Reconnaître et soutenir des projets singuliers, des nouvelles formes de création, voilà ce que permet le DICRéAM. C’est un espace d’ouverture d’esprit, une porte ouverte sur un autre monde, qui offre aux artistes la possibilité d’explorer un ailleurs. Cela me parle forcément.

Comment s’est déroulée la première commission que vous avez présidée ?

En raison de la pandémie, elle s’est déroulée à distance, par vidéo. Nous nous sommes réunis avec les autres membres de la commission par écran interposé pour discuter des projets présentés. C’était un moment d’échanges très intéressant, chaque membre ayant une expertise particulière. Et heureusement car la lecture de certains dossiers n’est pas toujours évidente en raison des nombreux éléments techniques décrits (par exemple, quel moteur, quel développement, quelle application seront utilisés…) !
Certains membres sont des techniciens, qui connaissent toutes ces technologies et peuvent réagir sur la faisabilité des projets. D’autres dirigent des festivals ou des lieux dédiés à ces nouvelles formes d’expression numérique. Ils incarnent une sorte de mémoire car ils savent ce qui a déjà été fait par le passé, et cernent bien les enjeux des projets. Et puis il y a des artistes, qui apportent un autre regard. Chaque point de vue est différent en fonction des « origines » professionnelles de chacun, et c’est ce qui rend la discussion si intéressante. Il peut y avoir une forme de frustration car beaucoup de projets sont de qualité et on aimerait tous les soutenir. Mais la qualité d’écoute entre tous les membres est telle que finalement, on est rapidement d’accord sur les décisions à prendre.

Comment envisagez-vous votre rôle de présidente du DICRéAM ?

J’imagine qu’en cas de tension ou dans des moments de désaccord, mon rôle est de remettre de l’entente entre les membres de la commission et de pouvoir trancher sur les décisions à prendre. Mais jusqu’à présent, je n’ai pas eu besoin d’intervenir dans ce sens.

Qu’attendez-vous des œuvres présentées au DICRéAM ?

Les projets qui retiennent plus facilement mon attention sont ceux où il y a une intention purement artistique. A la lecture du projet, on doit pouvoir ressentir la condition de l’artiste qui a véritablement besoin de créer. Le projet doit être dessiné avec une telle force, une telle passion que l’on sait immédiatement que cela aboutira à quelque chose de beau.

J’aime aussi les projets qui inventent une nouvelle manière de faire quelque chose de trivial, comme par exemple une nouvelle façon de lire un livre, de faire des rencontres, d’écouter de la musique… Je trouve ça fantastique d’être capable de réinventer le quotidien !

Les projets musicaux aussi me touchent beaucoup. Il y a tellement d’outils et de nouveaux instruments qui existent aujourd’hui avec lesquels on peut réinventer la musique contemporaine, l’électro, le classique… c’est fascinant. Prenez le spectacle vivant : on peut jouer désormais avec la lumière, le décor, provoquer de nouvelles interactions entre les artistes sur scène et les éléments virtuels qui se passent également sur scène. Ces nouvelles manières de créer semblent infinies.
Et je suis aussi très sensible aux projets qui se rapportent aux installations multimédia, pour avoir vécu moi-même plein de belles expériences avec ce type d’œuvre. A chaque fois, c’est à la fois comme découvrir une sculpture tout en offrant une expérience avec soi-même. Au moyen de quelques éléments à peine, une lumière connectée avec je ne sais quoi, et on est embarqué !
Parmi les projets présentés, il y avait par exemple des installations créées pour des sites spécifiques, c’est-à-dire que les artistes ont proposé de raconter l’histoire d’un endroit par le biais des installations. Ils ont restitué ainsi, par le biais des sons, des sensations, l’architecture et la mémoire du lieu. J’ai trouvé ça très beau.

N’y a-t-il pas un risque que la technologie soit tellement présente dans certains projets que l’on oublie le propos artistique ?

Ce genre de projet ne m’intéresse pas. La technologie doit être au service de l’art ou d’un contenu suffisamment intéressant pour que la technologie ait un sens, sinon, je ne vois pas l’intérêt. C’est un problème que j’ai rencontré notamment avec ma création Robots. Le fait d’utiliser les arts numériques pour ne montrer que des robots qui bougent n’avait aucun sens. J’ai dû traverser cette problématique pour essayer de transmettre des émotions en me servant des machines, sans me laisser dépasser par la complexité de leur fonctionnement. Je les ai alors considérés comme des danseurs, en les intégrant aux chorégraphies sur scène avec nous.

La technologie est un moyen de créer quelque chose d’artistique, pas une finalité.

Quel conseil donneriez-vous à des futurs candidats au DICRéAM ?

Travaillez votre dossier ! C’est par ce biais que la commission est tout de suite en contact avec les candidats. Lorsqu’on découvre un projet, on doit savoir tout de suite comment la personne a réfléchi. Le seul moyen pour que la commission comprenne ce que les artistes ont en tête, c’est l’écriture. C’est d’ailleurs toute la difficulté de l’exercice, car souvent, pour les artistes, l’intention est tellement évidente qu’il est compliqué de la traduire par les mots. Il arrive sans doute que nous passions à côté de certains projets parce que le dossier est incomplet ou trop compliqué. Parfois, les œuvres présentées sont si complexes qu’elles nous demandent un réel effort pour les comprendre. Je pense que la meilleure façon de préparer son dossier est de le faire lire à ses amis, à ses proches, pour voir s’ils comprennent le propos. S’il y a trop d’informations, on se perd, s’il n’y en a pas assez, on ne comprend pas. Il faut canaliser tout ça, être ordonné, ajouter si possible des vidéos, des références, tout ce qui peut aider à mieux imaginer et imager le projet. Et si vous faites rêver un copain avec ce qui est écrit, alors c’est bon signe !

Blanca Li, en quelques mots

Chorégraphe, réalisatrice, danseuse et comédienne, Blanca Li invente et réalise une multitude de projets, que ce soit pour sa compagnie, une mise en scène d’opéra, un long métrage ou une installation muséographique. Née à Grenade, en Espagne, elle devient gymnaste de GRS dans l’équipe nationale puis s’envole à l’âge de dix-sept ans pour New York étudier la danse à l’école de Martha Graham, tout en fréquentant les écoles d’Alvin Ailey, de Paul Sanasardo ou encore le Clark Center.
Installée en France depuis 1992, Blanca Li y fonde sa compagnie. La fusion entre les disciplines et les genres est fréquente dans ses créations, qu’il s’agisse du spectacle chorégraphique hip-hop Macadam Macadam, du one-woman show Zap ! Zap ! Zap ! (1999), du spectacle contemporain ROBOT ! (2013), explorant la relation entre humains et machine, ou encore d’Elektrik (2018), spectacle de danse électro inspiré de l’univers graphique des danseurs urbains. 
Sa nouvelle création, Le Bal de Paris, est un spectacle immersif original intégrant spectateurs et danseurs pour un bal qui se déroulera dans un univers en réalité virtuelle.

 

"ROBOT !" de Blanca Li Magali Bragard