« Continuum », un coucher de soleil sur Mars à découvrir au Centre Pompidou

« Continuum », un coucher de soleil sur Mars à découvrir au Centre Pompidou

17 mai 2019
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Continuum à découvrir au Centre Pompidou
Continuum à découvrir au Centre Pompidou Félicie d’Estienne d’Orves, Adagp Paris 2019 / photo © Hervé Veronese Centre Georges Pompidou
Installation immersive présentée samedi 18 mai au Centre Pompidou à Paris, « Continuum » fait découvrir au public un coucher de soleil sur Mars au son de Koumé, la partie finale de Trilogie de la mort d’Eliane Radigue. Rencontre avec Félicie d’Estienne d’Orves, l’artiste à l’origine de ce projet inspirant.

Comment est née cette œuvre et votre envie de rendre hommage à la compositrice Eliane Radigue ?
J’ai découvert son travail dans les années 2000 grâce à des musiciens avec lesquels je collaborais. J’écoute beaucoup sa musique, méditative, très inspirante pour travailler car elle aide à la concentration. Lorsque j’ai eu l’opportunité de créer une pièce audiovisuelle pour le Centre Pompidou, j’ai commencé à réfléchir à la possibilité de faire une installation autour de la musique d’Eliane Radigue. J’ai dessiné et pensé ce projet pour ce morceau, Koumé.

Pourquoi avoir choisi ce dernier et non l’une des deux autres sections de cette Trilogie de la mort, Kyema et Kailasha ?
Kyema est un hommage au Livre des morts tibétain (Bardo Thödol ndlr). La pièce Kailasha a été composée après le décès de son fils. Koumé est le morceau de la renaissance, de la transcendance, de l’évolution. Je l’ai choisi au départ pour des raisons musicales, et non conceptuelles, en pensant aux possibilités sonores de la pièce même si les compositions d’Eliane se ressemblent beaucoup et sont très subtilement différentes. J’avais déjà commencé à travailler sur l’idée de coucher de soleil avant de choisir la musique. J’en ai discuté avec elle en lui présentant le projet : elle m’a proposé une autre pièce ou d’en composer une spécifique. Mais au fil de notre échange, nous nous sommes rendu compte que Koumé était le bon choix. Conceptuellement, il correspond de manière évidente à l’idée du projet, évoquant notamment les illusions autour de la vie et de la mort.

Partagez-vous cette idée de transcendance exprimée par Eliane Radigue au travers de Koumé ?
Oui, je crois en une continuité de la vie après la mort. Il y a pour moi une illusion du réel et de notre conception de l’au-delà. Je n’ai pas volontairement choisi cette trilogie pour parler de cette thématique mais pour des raisons musicales. J’avais envie de mettre en suspension ce temps de dilatation du coucher de soleil où toutes les lumières vibrent. J’ai également vécu un deuil violent cette année ainsi que la naissance d’un enfant : d’un point de vue personnel, je me suis retrouvée plongée dans les mêmes questions existentielles qu’Eliane. 

Le coucher de soleil est souvent un moment contemplatif très apaisant. On retrouve ce même aspect dans la musique de la compositrice…
Complètement, sa musique est d’ailleurs aussi complexe qu’un coucher de soleil : on ne distingue pas les changements alors qu’il y a une évolution permanente et progressive des sons. J’ai gardé cette idée de continuum (continuité dans le temps ou l’espace ndlr) dès le titre : elle correspond pleinement à un coucher de soleil. Ce projet parle beaucoup de l’illusion, de la méditation : il y a une illusion de fin, d’horizon, et en même temps un relâchement et une contemplation qui viennent de la lumière et de la musique. Je veux que le public soit dans la suspension et le relâchement par rapport au temps, ce qui permet d’accéder à une forme de détente.
Continuum a été réalisé à partir d’images prises par les sondes de la NASA. Comment avez-vous travaillé à partir de ce matériel ? Ce projet s’est construit sur plusieurs années. J’ai commencé à travailler sur cette idée de coucher de soleil avant de trouver ces images de Mars, que je trouvais très belles et qui sont rares, sur lesquelles on distingue un halo bleuté assez étonnant. J’avais envie de découvrir pourquoi ce halo était de cette couleur et comment je pouvais construire un travail de progression alors qu’il existe peu d’images des différents états du coucher de soleil martien. Je me suis rendue dans un premier temps à l’université de Caltech à Pasadena, située près du laboratoire de la NASA où sont fabriquées les sondes envoyées sur Mars. J’y ai rencontré un spécialiste de climatologie martienne qui m’a ensuite mise en contact avec un scientifique du Texas spécialisé dans le traitement des clichés venant des sondes (ont collaboré à ce projet les Dr Dan McLeese - JPL/Caltech, Dr William Rapin - Caltech et Dr Mark Lemmon - A&M University ndlr). Nous avons assemblé ensemble des images pour tenter de voir à quoi pouvait vraiment ressembler ce coucher de soleil. Personne ne s’était posé la question de la progression de ce dernier : le mettre en scène dans le temps n’était pas forcément un besoin scientifique. J’ai également travaillé à Paris avec le laboratoire de climatologie martienne de Jussieu, dirigé par le Docteur François Forget, pour créer ce simulateur de coucher de soleil.

Qu’entendez-vous par « simulateur » ?
L’installation n’est pas une vidéo figée mais une programmation en temps réel utilisant les informations sur l’atmosphère de Mars, que nous avons rentrées, pour tenter de reconstituer un coucher de soleil sur cette planète tout en sachant que, comme sur Terre, il n’est jamais le même. Deux démarches parallèles sont au cœur de ce projet : l’une précise et pointilleuse d’un point de vue scientifique et l’autre plus artistique.

L’astrophysique est au cœur de votre travail depuis 2014. Pourquoi ?
Lorsqu’on travaille la lumière, on s’intéresse souvent à la perception du réel et de ses limites. Je ne suis pas férue d’objets célestes mais je m’interroge sur les limites de l’espace physique dans lequel on vit, sur les autres dimensions qui peuvent exister, sur les distances de l’espace-temps… Essayer de comprendre ces problématiques m’amène vers des terrains liés à l’astrophysique. Ici par exemple, le coucher de soleil est à la fois une beauté qui bouge constamment et une évidence partagée par tout le monde : on a l’impression de le connaître par cœur. Ces photos de Mars sont comme les premières images des cratères de la Lune par Galilée, elles font basculer notre esprit et notre conception du réel.

En savoir plus sur Continuum, installation à découvrir ce samedi 18 mai à 20h30 dans la Grande Salle du Centre Pompidou à Paris.