Découvrez "Krisis", court métrage inspiré du jeu vidéo et de la VR

Découvrez "Krisis", court métrage inspiré du jeu vidéo et de la VR

30 octobre 2020
Création numérique
Krisis de Élisabeth Caravella
"Krisis" de Élisabeth Caravella
Rencontre avec Élisabeth Caravella, la réalisatrice de Krisis, un court métrage qui tire son inspiration du jeu vidéo, plus particulièrement des FPS (First Person Shooter) et de la réalité virtuelle.

Pouvez-vous nous présenter ce court métrage que vous avez réalisé en 2019 ?

Krisis met en scène une jeune femme qui tente de trouver le sommeil grâce à un jeu de réalité virtuelle, dans lequel simulateur de méditation et jeu de guerre semblent avoir étrangement fusionné. Le personnage est enfermé à la fois dans un jeu vidéo et dans son appartement. C’est une sorte d’« Alice au pays de la réalité virtuelle », un monde semi-éveillé qui, de manière ubuesque, se réactualise sans arrêt pour atteindre la pleine conscience.

Vous êtes une artiste complète, à la fois scénariste, réalisatrice, voix off de vos créations, ingénieure du son, monteuse et compositrice...

Je travaille généralement seule pour l’image, mais je m’entoure quand j’aime le travail de quelqu’un que ce soit pour le son, la programmation ou encore la motion capture. Mon processus de création s’approche davantage de celui d’une plasticienne dans son atelier que de celui d’une réalisatrice sur son plateau. Je n’ai pas fait d’école de cinéma, j’ai étudié l’art numérique et contemporain à l’EESI de Poitiers (L’École Européenne Supérieure de l’Image), le volume et l’installation aux Arts Décoratifs de Paris, et pour finir deux ans de création au Fresnoy (le Studio national des arts contemporains). Je me laisse porter par ma technique, par les nouveaux logiciels que j’apprends au fur et à mesure et bien plus encore, par tout ce que je ne sais pas faire. Cela m’offre une grande liberté créative, même si cela demande plus de travail et de sacrifices personnels. Je change d’idée, je teste beaucoup de choses, parfois pendant des semaines ou des mois, c’est une autre façon d’écrire. Quel que soit son niveau technique, je pense qu’être une artiste complète, c’est avant tout réussir à écouter pleinement son intuition, que l’on soit seule devant son écran d’ordinateur ou derrière une caméra avec de nombreux techniciens, car c’est aussi un talent de savoir bien s’entourer.

Le jeu vidéo et l’informatique sont au cœur de vos créations : Howto (2014) prenait la forme d’un tutoriel d’apprentissage de logiciel et Krisis a été filmé grâce à un moteur de jeu vidéo et un casque de réalité virtuelle.

Ma première expérience de VR (Virtual Reality) a eu lieu dans une simple salle de cinéma, mais elle m’a marquée. J’ai été troublée par la sensation que l’on ressent à l’instant où l’on pose le casque devant ses yeux et lorsqu’on l’enlève. Cela se rapproche de cet état second, quand on est absorbé par ses pensées et que l’on en sort. L’idée d’utiliser un casque VR pour faire un film me donnait l’occasion de parler de cet état de rêverie virtuelle, voire de déréalisation, tout en questionnant une technologie qui faisait une arrivée en grande pompe dans notre société.

Comment crée-t-on un film comme Krisis ?

S’apparentant à une « machinima », dont le concept est de se servir d’un jeu vidéo pour réaliser un film, les plans de Krisis ont été « tournés » via un casque VR dans un jeu spécialement conçu pour le film. Ce projet, non conventionnel sur le papier, mêlant art numérique, jeu vidéo et cinéma, a été soutenu notamment par le Dicréam du CNC, encourageant des formes émergentes et hybrides qui laissent, tout comme Krisis, une place importante à un processus de création expérimental. La grande différence entre le jeu vidéo et le cinéma – et probablement avec toutes les autres formes d’art que nous avons connues auparavant – c’est l’interactivité : dans un jeu vidéo, on est spectateur et acteur. Cette part d’inconnu qu’offre l’interaction, je ne voulais pas la simuler dans Krisis, mais l’éprouver. Pour cela, je me suis associée au développeur Jonas Mølgaard afin qu’il réalise un template de First Person Shooter VR avec le moteur de jeu Unreal Engine. Ce modèle m’a permis d’avoir une complète autonomie afin de créer tous les décors dont j’avais besoin pour les scènes du film.

Comment s’est déroulé le tournage ?

Le tournage en lui-même était difficile, la réalité virtuelle est assez physique, elle isole du monde réel, contraint la vision à une profondeur de champ infini et dérange l’oreille interne. Il est compliqué encore aujourd’hui de jouer plus de trente minutes par partie. Il n’était pas possible, au moment où j’ai réalisé le film, d’enregistrer mes scènes au format vidéo, la qualité n’était pas suffisante et les sauts d’images trop nombreux. J’ai donc opté pour l’enregistrement en data, que ce soit les animations de mon personnage, la caméra, les bots ou encore les décors. Ces données ont été extraites du moteur de jeu pour être post-traitées dans un logiciel de modélisation type 3ds Max puis rendues image par image. Ces étapes de travail n’étaient pas prévues au départ, mais cela a permis d’avoir un peu plus de liberté en postproduction et d’adoucir les mouvements de caméra afin d’éviter au possible l’effet que l’on nomme motion sickness, ce mal de mer caractéristique que l’on peut ressentir en VR et qui peut être tenace pour certaines personnes, même en vidéo. 

Qu’est-ce qui vous plaît tant dans ces nouvelles technologies ?

Le Web est truffé de détournements artistiques et cinématographiques : montages vidéo, gifs animés, mèmes, photomontages, applications, jeux vidéo... Adolescente, j’avais trouvé le moyen de modifier le contenu du jeu Les Sims sorti en 2000 sur PC, afin de réaliser des romans-photos puis de petites vidéos. J’ai appris à programmer un site pour partager ce que je faisais et, de fil en aiguille, je me suis intéressée au photomontage, à la 3D, à l’animation, etc. Réaliser un film à partir d’un jeu était donc assez naturel pour moi.

Le détournement des outils technologiques est devenu la pierre angulaire de mon travail. Il me permet d’inventer des projets qui fusionnent ma culture cybernétique et ma culture cinématographique.

Krisis s’inspire donc autant de cinéma que de jeux vidéo ?

J’aime beaucoup les films en found footage, comme The Blair Witch Project. Ce sont des projets à petits budgets pour la plupart et qui rivalisent d’ingéniosité pour nous faire croire qu’il ne s’agit pas de fiction, mais de la réalité. Tout est assumé dans ce sens : il n’y a pas de travelling, pas de fondu au noir, pas de musique, une chronologie linéaire et pour finir la caméra fait entièrement partie de la narration. De la même façon, la forme générale de Krisis est celle d’une vidéo de partie de jeu qui aurait été publiée sur Internet comme des millions d’autres. Que ce soit sur Twitch, YouTube ou une autre plateforme, c’est le genre de vidéos le plus partagé au monde. Être spectateur du jeu d’un autre semble tout aussi pertinent que d’y jouer vraiment. 

Krisis est aussi très influencé par les jeux de tir à la première personne, les FPS…

Krisis s’inspire des FPS, mais bien plus encore des premières expériences VR indépendantes qui sont représentatives de cette période telle l’immensité de l’espace de Blue Marble, le simulateur de salle de cinéma VR ou encore la forêt angoissante de Alone in the Rift. L’univers que j’ai inventé pour Krisis réutilise de nombreux codes du FPS sans véritablement s’inspirer directement d’un jeu existant en particulier, il est une sorte de cliché du genre : les commandos futuristes de Halo, les hangars désaffectés des maps de Counter Strike ou encore les paysages de nature de Call of Duty. Tout comme les found footage, cette vision subjective des FPS et de la VR m’offrait un potentiel cinématographique à explorer. 

En 2019, vous évoquiez également la peinture classique comme source d’inspiration, pouvez-vous développer ?

La photographie s’est inspirée de la peinture à ses débuts, le cinéma du théâtre et le jeu vidéo du cinéma, jusqu’à ce que ces médiums prennent leur indépendance artistique. Ce sont des mondes interconnectés qui se nourrissent les uns les autres. L’esthétique de certains jeux blockbusters est inspirée du cinéma et de l’histoire de l’art. Tout comme la peinture classique de son temps, l’image de synthèse s’impose de nos jours comme un outil puissant de simulation du réel. Cette course au réalisme et à l’immersion m’intrigue et m’inspire. À l’instar de la réalité virtuelle, la peinture classique a tenté, à son époque, de nous offrir l’immersion grâce à la perspective. Les Ménines de Vélasquez en est le parfait exemple, et c’est pourquoi j’ai tenu à l’intégrer dans une scène du film comme un clin d’œil. Je souhaitais au départ faire davantage de ponts entre peinture classique et jeux vidéo, mais ce sera probablement pour un futur projet à part entière.