Depuis le 7 mai, un étrange spectacle se joue au Palais Garnier. Casques VR sur la tête, une douzaine de personnes se succède par groupe toutes les 45 minutes dans la Rotonde des expositions. À l’occasion de ses 150 ans, l’institution accueille jusqu’au 31 août La Magie Opéra, une expérience en VR produite par la société Backlight avec la participation de Vive Arts. Bénéficiaire du Fonds d’aide à la création immersive (aide à la pré-production) du CNC, elle propose aux visiteurs de revivre trois opéras légendaires – Rusalka d’Antonín Dvořák, Tosca de Giacomo Puccini et Carmen de Georges Bizet – dans les pas de Céleste, aspirante cantatrice dont le destin va basculer à la faveur de ses rencontres avec trois personnages féminins inspirants de l’opéra. Le public va déambuler avec elle à travers les lieux les plus emblématiques ou secrets du Palais. « Imaginer ce type d’expérience au sein d’un établissement comme l’Opéra National de Paris permet de démocratiser l’accès à nos technologies et participe en parallèle à dépoussiérer, rajeunir l’image des institutions. Une stratégie gagnante-gagnante des deux côtés », explique Frédéric Lecompte, cofondateur de Backlight.
Une production éclair
L’aventure commence dans le grand escalier de l’Opéra. Les visiteurs entourent Céleste, en proie aux doutes quant à son avenir. Chacun d’entre eux est représenté par un avatar de danseur. La jeune femme leur confie son désir de devenir cantatrice. Elle leur raconte également la crainte de s’oublier si elle endosse le rôle d’une autre. « Suivez-moi », chuchote-t-elle. Pendant 25 minutes – la durée de l’expérience –, les participants emboîtent le pas à l’aspirante chanteuse dans une succession de décors, des profondeurs marines à la bibliothèque d’un château en passant par la grande scène du Palais. « Nous avons voulu montrer des lieux que le public ne peut pas forcément voir. Nous avons écrit tous les dialogues sur ce principe », souligne Jonathan Astruc, réalisateur de La Magie Opéra. À chaque décor, un air d’opéra se glisse aux oreilles des visiteurs : le « Chant à la Lune » issu de Rusalka d’Antonin Dvořák où Rusalka, créature sous-marine, déclare sa flamme au Prince ; le « Vissi d’arte » tiré de Tosca de Giacomo Puccini dans lequel Tosca, la rebelle, se confronte au baron Scarpia ; et enfin « L’Amour est un oiseau rebelle » extrait de Carmen de Georges Bizet qui voit Carmen, la femme indépendante – interprétée par Céleste elle-même – laisser libre cours à sa passion, le tout devant un public conquis.

La société Backlight s’est appuyée sur la programmation de la saison 2025-2026 de l’Opéra Garnier afin de choisir les airs qui composent cette expérience. « J’ai souhaité que les trois œuvres en question racontent l’enfance, l’adolescence et l’accomplissement, précise Jonathan Astruc. C’est pourquoi nous avons choisi Rusalka, la petite sirène. Ensuite Tosca qui représente la rébellion, donc l’adolescence. Et Carmen qui fait fi du regard des autres pour être pleinement elle-même ». Frédéric Lecompte indique que le travail avec les équipes du Palais Garnier s’est révélé fructueux. « Le délai de production a été très serré, mais le fait que nous soyons en grande autonomie nous a permis de livrer le projet à l’heure ». Une production éclair qui a duré quatre mois, de janvier à avril 2025, après une période d’écriture d’un an mais aussi quelques difficultés. « En décembre 2024, nous avons compris que nous réunirions difficilement des soutiens privés. Nous nous sommes posé la question d’arrêter le projet, mais nous avons vraiment voulu qu’il se concrétise », témoigne le producteur. Nous avons donc décidé de le réécrire et de retirer 10 à 15 minutes d’expérience, soit deux scènes complètes ».
« Une immersion optimale »
Bras éloignés du corps, chacun avance doucement pour éviter de se cogner aux objets environnants – virtuels – ou à ses voisins – bien réels. Ici une algue et des poissons, là des murs en pierre, plus loin encore des livres en apesanteur. Les équipes ont utilisé des technologies spécifiques pour animer les personnages, les décors et l’environnement de l’expérience. « Notamment pour les tissus, remarque Jonathan Astruc qui confie « aimer chercher la fidélité graphique au maximum. Par exemple, quand Céleste tourne sur elle-même, sa robe doit être fluide et non rigide. En plus de la capture de mouvements [enregistrer les gestes d’un acteur pour animer un personnage de manière réaliste, ndlr], nous avons aussi utilisé la capture faciale [technique similaire pour les mouvements de la bouche et les expressions du visage, ndlr] ».
La Magie Opéra est diffusée dans les casques des visiteurs via un PC VR qui permet un rendu optimal. « C’est un ordinateur placé à côté de la salle où se déroule l’expérience, qui streame le contenu généré sur les casques de réalité virtuelle. Cette installation est un peu plus chère et plus complexe à opérer, mais le résultat est sans commune mesure », explique Frédéric Lecompte. « Nous avons pu pousser la puissance graphique au maximum. Nous n’avons pas voulu être limités par la technologie malgré les courts délais », poursuit Jonathan Astruc. Cette technologie de diffusion permet de proposer l’expérience en français, anglais et mandarin au sein du même groupe de visiteurs. « La recette du succès comprend une bonne histoire à raconter, un rendu visuel de qualité et une immersion sans coupure, souligne Frédéric Lecompte. Dès l’instant où les participants mettent le casque, tout ce qu’ils voient leur paraît crédible physiquement et temporellement. Nous arrivons ainsi à offrir une immersion optimale ».

Entre chaque scène, il faut marcher quelques dizaines de mètres pour atteindre la suivante. À la fin de l’aventure, les spectateurs pensent avoir traversé l’ensemble de l’Opéra. Pourtant « l’expérience se joue sur une surface de huit mètres de côté, rappelle Frédéric Lecompte. Nous arrivons à donner l’illusion d’un déplacement complètement libre pour le spectateur tout en restant confinés dans de petites surfaces. Si nous effectuons notre travail correctement, le public oublie la technologie. L’histoire racontée chamboule son rapport à l’espace et au temps ». Si tout est fait pour maintenir l’illusion d’une épopée à travers le Palais Garnier, les éléments de décor permettent de poser des limites. Pas question donc d’aller explorer au-delà des frontières géographiques de l’expérience. Jonathan Astruc précise : « Chez Backlight, nous essayons toujours d’installer un obstacle organique et intra-diégétique pour que les bordures de la scène soient naturelles. De la même manière, nous travaillons beaucoup sur les transitions entre les niveaux, que nous créons comme des plans séquences ».
Le 31 août 2025 ne signe pas la fin de La Magie Opéra. L’expérience va en effet continuer sa route. « Nous sommes en train d’étudier la possibilité de l’installer de façon pérenne à Paris. Nous négocions également avec HTC qui va la distribuer en Asie, et nous discutons avec d’autres partenaires pour tourner en Asie du sud-est et en Amérique du Nord », explique Frédéric Lecompte. Avec à la clé peut-être aussi des sélections dans des festivals immersifs. De quoi ravir les amateurs d’opéra et faire voyager Céleste à l’autre bout du globe, dans sa quête d’émancipation.
La Magie Opéra
Expérience en réalité virtuelle de 25 minutes
Réalisation : Jonathan Astruc d’après un concept original de BackLight
Production déléguée : Backlight (Frédéric Lecompte, Jonathan Tamene)
Coproduction : Opéra national de Paris et VIVE Arts
Scénario : Karen Hunt et Éric Barbedor
Soutien du CNC : Fonds d’aide à la création immersive (aide à la pré-production)