Le Cube Garges, pôle d’innovation culturelle dédié au renouveau créatif

Le Cube Garges, pôle d’innovation culturelle dédié au renouveau créatif

02 juin 2023
Création numérique
Le Cube Garges
Le Cube Garges Sergio Grazia

Conversation avec Nils Aziosmanoff, créateur et directeur général du Cube Garges, pôle d’innovation culturelle interdisciplinaire et numérique qui a ouvert ses portes en début d’année à Garges-lès-Gonesse.


Avant de s’installer à Garges-lès-Gonesse, le Cube existait depuis 2001 à Issy-les-Moulineaux. De quelle manière l’ambition du Cube a-t-elle évolué au fil du temps ?

Nils Aziosmanoff : L’ADN du Cube n’a pas changé. L’objectif reste toujours de s’intéresser à l’émergence des nouvelles formes de création, à la démocratisation des pratiques créatives, et de mener une réflexion interdisciplinaire sur les évolutions de la société à l’ère de la révolution numérique. Mais nous avons évolué au cours des vingt-deux dernières années, en testant, en expérimentant… À l’origine, nous étions dans un lieu de 700 m², un peu contraints, mais ça a paradoxalement été une opportunité parce que ça nous a poussés à faire beaucoup de choses à l’extérieur, à aller regarder ce qui se faisait par exemple en Asie ou au Canada… Des pays où la culture était plus en avance. Ça nous a permis d’aller chercher les bonnes pratiques ailleurs.

Anticiper l’évolution de la création numérique
Le Cube
Le hall du Cube Garges Sergio Grazia

Comment définissiez-vous la mission du Cube à l’origine ?

Nous avions dénommé le Cube « centre de création numérique ». Aujourd’hui, ça paraît d’une banalité confondante, mais je peux vous assurer qu’il y a vingt-deux ans, ça déclenchait des résistances ! Le Cube nous a permis de catalyser toutes celles et ceux qui s’intéressaient à ces questions-là – ils étaient nombreux, mais sous le radar des institutions. Cette catalyse était attendue par toute une communauté professionnelle. Nous voulions anticiper l’évolution des créations, analyser en quoi la création numérique se distinguait de la création traditionnelle. Ça nous a amenés à nous intéresser à la fois aux arts traditionnels qui évoluaient avec le numérique, et à des formes complètement nouvelles qui n’auraient pas existé sans l’apport spécifique du numérique. Aujourd’hui, ces problématiques paraissent évidentes, avec la question des intelligences artificielles capables de créer par elles-mêmes, mais également tout le faisceau des œuvres comportementales, génératives, interactives, expérientielles, émotionnelles, etc. Ça a été un travail de fond, pluridisciplinaire, qui consistait à comprendre l’évolution des formes. Il s’agissait aussi de démocratiser les pratiques créatives.

Faire entrer les jeunes dans les nouveaux imaginaires numériques

En quoi le Cube Garges diffère-t-il du précédent ?

Nous définissons aujourd’hui le Cube Garges comme un pôle d’innovation culturelle. C’est assez ambitieux, ça peut paraître prétentieux, de la même manière que dire « centre de création numérique » pouvait paraître prétentieux il y a vingt-deux ans ! Mais nous avons tenu à avoir un positionnement fort, et ce dans un contexte très différent. Le contexte, désormais, c’est un lieu de 8000 m², l’un des plus beaux centres culturels d’Île-de-France, dans le sens où, indépendamment de sa qualité architecturale, il assemble six grands équipements, et permet de déployer au quotidien toute l’interdisciplinarité dont on rêvait il y a vingt ans. Ces équipements, ce sont un théâtre de 600 places, un cinéma de 200 places, un auditorium de 250 places, un hall d’exposition de 1000 m², une médiathèque intercommunale de 2000 m² et une fabrique créative qui elle-même intègre 30 salles – des salles de conservatoire de musique, un studio d’enregistrement, des salles de répétitions de danse, un magnifique FabLab, un espace Micro-Folie… L’autre élément de contexte, c’est la ville de Garges, que j’aime appeler la ville-monde du futur. Parce que c’est une ville multiculturelle où l’on parle 70 langues, l’une des plus jeunes villes de France (50 % de sa population a moins de 35 ans), donc connectée nativement, et qui en même temps fait face à des défis majeurs. C’est l’une des villes en plus grande précarité du Nord parisien, qui affronte beaucoup de problématiques sociales et économiques. Notre mission avec cet outil fabuleux qu’est le Cube, c’est d’accompagner la transformation territoriale et de faire de la culture un levier de transformation pas seulement sur le plan artistique, mais aussi sur le plan social, éducatif, écologique et économique.

Le véritable enjeu aujourd’hui, ce n’est pas de créer avec l’IA, mais de créer de nouvelles manières de créer

Comment faites-vous ce lien entre économie et culture ?

En travaillant l’hybridation entre art numérique et industries créatives. Ce qui se fait très naturellement au Québec, par exemple, mais moins chez nous. Nous tenons à dire qu’on peut faire entrer les jeunes dans les nouveaux imaginaires numériques par cette porte d’entrée « royale » que sont les arts numériques – on y entre par l’émotion, les sens, l’expérience… Et je peux vous assurer que ça marche, que des aspirations générationnelles s’expriment ! Partant de là, nous voulons accompagner les jeunes vers les nouveaux métiers des industries culturelles et créatives, dont l’ONU dit que c’est l’un des secteurs économiques en plus forte croissance pour les vingt ans à venir. Voilà comment on peut créer ces passerelles entre art et économie. Ensuite, il y a la dimension sociale, sur laquelle nous travaillons beaucoup depuis vingt ans ; la dimension éducative, également, qui nous a amenés à proposer des formations pour tous les publics, jeunes, scolaires, étudiants, seniors, famille, entreprises ; et enfin la dimension environnementale, qui nous conduit à avoir une culture responsable d’un point de vue écologique.

Vous parlez de nouveaux imaginaires. Quels sont les défis des imaginaires du futur ?

Avec l’intelligence artificielle, nous vivons un véritable changement de paradigme, une rupture anthropologique. Le véritable enjeu aujourd’hui pour la création, ce n’est pas de créer avec l’IA, mais de créer de nouvelles manières de créer. On observe depuis plus de vingt ans déjà que les artistes ne créent plus l’œuvre finale : ils créent le système qui crée l’œuvre. Nous sommes préparés à ces évolutions-là. Mais il y a un vrai saut quantique à opérer, et qui vient selon moi résonner très fortement avec la nécessité d’arriver à monter en conscience sur tous les problèmes environnementaux. Peut-être que ces nouveaux outils vont challenger notre créativité et nous aider à entrer dans l’ère de la complexité. Ça, c’est pour la dimension philosophique. De façon très pratique, on constate que les artistes ont aujourd’hui des outils d’une puissance énorme, qui change leur manière de travailler. Ils vont co-évoluer avec les technologies et l’IA. L’IA devient une aide à la création, à la décision. L’artiste devient un artiste « curator », qui a énormément de possibilités face à lui et peut choisir et assembler en conséquence.