Le Vortex  : vulgarisateurs en coloc

Le Vortex  : vulgarisateurs en coloc

28 avril 2021
Création numérique
Vortex Saison 4
Vortex Saison 4 DR
La chaîne YouTube aux 250 000 abonnés réunit des vulgarisateurs scientifiques dans une ambiance de colocation décontractée. Le cocréateur et producteur du Vortex, Ronan Letoqueux, alias RealMyop, a analysé la mécanique de cette machine bien huilée.

Pouvez-vous nous présenter la chaîne YouTube du Vortex et sa mission scientifique ?

Le Vortex est une émission de vulgarisation scientifique créée en 2019 et qui a pour projet de faire collaborer des vulgarisateurs déjà établis sur YouTube [Linguisticae, Angle droit, Science de comptoir, Nota Bene, NDLR]. Ils se mettent en scène dans une colocation fictive et collaborent pour apporter des éclairages différents sur un sujet donné. Il y a toujours eu une lacune sur ce que j’appelle la vulgarisation adulte. Le seul créneau qui existait jusqu’à présent était le documentaire, qui est généralement regardé par des personnes de 50 ans de moyenne d’âge. Il n’y avait rien pour les 18-45  ans qui ont envie d’informations plus poussées sur les sciences et de programmes plus matures.

Au-delà de l’aspect éducatif, il y a aussi un côté fictionnel important. Les vulgarisateurs jouent la comédie au service d’une histoire qui se dévoile au fil des épisodes.

Le projet a aussi une vocation similaire à celle d’une résidence artistique, où les gens peuvent se rencontrer, échanger, et envisager des collaborations futures.

Comment sont sélectionnés les membres de cette colocation fictive qui se renouvelle au fil des saisons ?

Les vidéastes sont choisis sur leur compétence et la professionnalisation des chaînes, et tout cela dans une mixité parfaite. Certains youtubeurs sélectionnés ont de petites chaînes mais l’important est qu’ils essaient d’en faire leur activité principale. Pour certains, les vidéos du Vortex sont leur première vidéo correctement rémunérée. Et il y a aussi des doyens qui ont accepté de venir pour s’amuser et promouvoir la chaîne.

 

Le format des vidéos a beaucoup évolué, doublant en longueur par rapport à la saison 1 et se concentrant plus sur l’aspect fictionnel. Quelles sont les raisons de cette évolution ?

On s’est aperçu que la durée des vidéos de vulgarisation avait tendance à s’allonger. En discutant avec les auteurs, nous avons choisi d’étirer les formats pour arriver à des vidéos plus fouillées, moins superficielles. On adorait faire de la fiction et il était important pour nous que le Vortex ait une identité. On a choisi de se rapprocher de la sitcom car cela pouvait coller à notre budget et à la relative inexpérience des youtubeurs en matière de jeu d’acteur. Il fallait que la chaîne soit plus qu’une simple réunion de vulgarisateurs. On a aussi essayé de libérer les auteurs pour qu’ils puissent sortir de leur discipline principale. Le tournage reflète d’ailleurs l’allongement de la durée des vidéos. On est passé d’une semaine à deux semaines par saison. On commence en général à 8h jusqu’à 19h, sans compter les plans de nuit. Il faut également se rappeler que nous sommes une toute petite équipe : un ingénieur du son, un cadreur, un stagiaire et moi pour couvrir l’aspect technique.

Comment s’est déroulée la collaboration avec Arte qui finance plus de la moitié du budget des saisons ?

Je pense qu’Arte a été très précautionneuse au début parce que le Vortex était une expérimentation pour elle. Maintenant, on est face à une chaîne bien plus compréhensive, qui nous écoute plus car nous avons fait nos preuves. Il y a même des auteurs qui sont surpris de la liberté de ton qu’on leur laisse. Là où on est le plus attentif, c’est dans la vérification des données scientifiques. Ce qui ne veut pas dire que l’on ne se trompe pas parfois. Mais l’avantage que nous donne YouTube est de pouvoir répondre au public et de corriger nos erreurs a posteriori.

Contrairement aux publications littéraires de vulgarisation ou aux programmes télévisés, YouTube permet une forte interactivité avec le public. Comment gérez-vous ce flux de commentaires ?

Je dirais que l’on est des dictateurs éclairés. Dans le sens où c’est notre émission, mais où nous lisons tous les commentaires. Il nous arrive parfois de prendre des décisions en fonction de la réponse du public mais c’est rare. On sait par exemple qu’il y a une partie du public qui n’aime pas du tout la fiction mais on ne peut pas plaire à tout le monde. Si on l’abandonnait, on perdrait notre identité et avec cela la possibilité d’élargir notre public. On pense que la fiction permet d’homogénéiser le nombre de vues par épisode. On a remarqué que les épisodes totalisent un nombre de vues similaires, peu importe si le présentateur a 40 000 abonnés ou un million.

Nous sommes dans une période où la défiance face à la science semble croître, entre les anti-vaccins et les flat earthers. Quelle est la responsabilité du vulgarisateur scientifique face à ce phénomène  ?

Son rôle principal est de montrer une autre facette de la science mais aussi de la personnalité du scientifique. C’est pour ça qu’on a essayé de créer une émission populaire. C’était le même problème avec la médecine du début du XXe siècle où les patients n’étaient pas considérés.

Il faut que l’on désacralise la figure du scientifique qui transmet son savoir de façon verticale pour quelque chose de plus horizontal. Un genre d’enseignement à l’anglo-saxonne. Nous avons modifié cette image en mettant en scène des vulgarisateurs jeunes et plus proches du milieu social des spectateurs.

Je pense que le Vortex est devenu un élément majeur du tissu de la vulgarisation en France.

La chaîne Le Vortex est soutenue par CNC Talent.