« L’Intox c’est nous », plongée dans le monde de la désinformation

« L’Intox c’est nous », plongée dans le monde de la désinformation

07 juin 2019
Création numérique
L'Intox c'est nous
L'Intox c'est nous Darjeeling avec la participation de France Télévisions
Websérie documentaire disponible sur France tv slash et YouTube, L’Intox c’est nous met en lumière, en 6 épisodes, les « mécanismes des différents rouages qui permettent la désinformation » ainsi que les éléments expliquant pourquoi cette dernière « circule aujourd’hui plus vite qu’auparavant et dans des proportions inégalées ». Rencontre avec son réalisateur, le comédien, auteur, concepteur multimédia et journaliste Julien Goetz.

Comment est né ce projet documentaire ?

Marc Lustigman, cofondateur de la société de production Darjeeling, est à l’initiative de cette série. Il était en contact avec les journalistes de Désintox chargés du fact-checking à Libération (ce service a lancé en 2017 Checknews.fr, un site permettant aux internautes de poser leurs questions sur l’actualité ou sur d’autres domaines, et d’avoir une réponse rédigée et vérifiée par les journalistes ndlr) et avait envie de traiter la question de la désinformation. Il m’a contacté pour travailler à la réalisation et collaborer, sur l’écriture, avec Sarah Bosquet, Cédric Mathiot et Pauline Moullot de Libération. A l’époque, L’Intox c’est nous ne devait pas être une série linéaire mais interactive : nous avons travaillé sur un jeu pour smartphones. Mais l’orientation a changé parallèlement à certains changements effectués dans les équipes de France Télévisions. Le projet est devenu une série linéaire pour le web. Nous étions alors en pleine époque présidentielle : les journalistes de Libération étaient de fait un peu moins présents. J’ai donc repris la conceptualisation de la série, entrée en production en septembre 2018, et j’ai réalisé des recherches pour compléter celles effectuées au début du projet par Sarah, Pauline et Cédric.

Contrairement aux services des médias qui décryptent les faits précis, vous avez choisi une approche plus globale de la désinformation. Pourquoi ?

Lorsqu’on m’a proposé de travailler sur ce sujet, je savais dès le départ que je n’avais pas envie de vérifier juste les informations qui circulent, ce qui est très bien fait ailleurs. De plus en plus de médias s’en occupent d’ailleurs, mais ce travail nécessite une présence quotidienne ou hebdomadaire. L’approche documentaire m’intéressait davantage : je voulais comprendre les mécanismes sous-jacents inhérents à la circulation de l’intox de manière générale. Lors de nos recherches, nous nous sommes rendu compte que cette problématique était avant tout celle de la circulation de l’information qui est neutre lorsqu’elle est sur un réseau. Lorsque les réseaux sociaux ou les moteurs de recherche la transmettent, ils ne cherchent pas à savoir si elle est vraie ou fausse. Il s’agit uniquement pour eux d’une série d’octets, de données. Les êtres humains, eux, lui mettent un sens. Nous avons l’impression qu’il y a de plus en plus d’infox, mais c’est une sensation à nuancer : ce n’est pas parce que nous les voyons davantage qu’il y en a plus. Dès qu’il y a de l’information, il y a de l’infox. C’était déjà le cas à l’époque des Guerres mondiales, comme moyen de propagande : ce n’est pas quelque chose de nouveau. Mais aujourd’hui, des outils numériques créent un écosystème où l’information circule d’une manière particulière. C’est ce que je voulais étudier.

C’est un sujet ambitieux. N’était-il pas difficile à traiter dans un format aussi court de 6 épisodes de 7 à 8 minutes ?

Ce fut un gros challenge d’autant plus que je ne voulais pas abandonner cette complexité du sujet. Il y a eu des choix difficiles au montage pour rentrer dans le format imposé par le budget. J’ai souhaité, à un moment, réaliser des épisodes plus longs, ce qui était trop compliqué pour des questions de production. Mais ça fonctionne bien ainsi : un format plus long aurait peut-être été plus indigeste. Le format choisi ici est une autre manière de parler du sujet, loin des documentaires plus longs qui existent déjà. Il a fallu faire des sacrifices, se demander ce qui était essentiel pour notre problématique et le garder en ligne de mire pour écarter des choses certes passionnantes, mais qui s’éloignaient du scope de notre sujet.

Pourquoi avez-vous choisi d’insérer des séquences d’animation dans cette websérie documentaire ?

Ce choix s’est fait très tôt, dès que le projet est devenu une série linéaire. L’animation était une manière de sortir du prisme de la question autour de la circulation de l’information dans les réseaux numériques. J’avais envie de raconter une histoire et l’animation a pour moi un côté conte. Elle permet de prendre un contre-pied dans la réalisation pour rendre ce sujet technophile, assez froid, plus vivant, organique, humain et palpable. Elle est associée dans la réalisation aux interviews et aux éléments d’illustration tels que des extraits de vidéos YouTube et des gifs qui contrebalancent la parole sérieuse et dense, parfois complexe à digérer, des experts. C’est une manière de désamorcer les choses et d’être, en même temps, conforme à mon expérience d’internet, avec d’un côté des choses qui me fascinent et qui me transportent dans des abîmes de réflexion, et d’un autre côté des éléments d’une simplicité et d’une créativité potache.

Le sixième et dernier épisode donne quelques clés pour prendre du recul face à la désinformation. Etait-ce important pour vous de terminer de cette façon ?

Je n’ai pas de réponses toutes faites pour faire en sorte que ces infos-là circulent moins ou plus du tout. Tant qu’il y aura de l’information, il y aura de la désinformation, c’est inhérent. Même dans notre vie de tous les jours, dans notre cercle d’amis, nous ne disons pas toute la vérité et nous la transformons parfois. C’est très humain. J’ai appris, lors du cheminement réalisé pour ce documentaire, que des outils font circuler différemment l’information : il faut juste apprendre à s’en servir et s’en méfier par certains aspects. Mais il faut surtout se méfier de nous : les outils sont là et chacun fait ce qu’il veut avec. Il faut apprendre à garder le contrôle individuellement et collectivement.