Maud Bettina-Marie : « La famille me permet de partir de l’intime pour parler au plus grand nombre »

Maud Bettina-Marie : « La famille me permet de partir de l’intime pour parler au plus grand nombre »

23 décembre 2021
Création numérique
"Olive" de Jean-Baptiste Delannoy avec Maud Bettina-Marie Khojandi Productions
Avec Family, Maud Bettina-Marie signe une collection de cinq courts métrages explorant la famille dans tous ses états sur le ton de la comédie dramatique, soutenue par le fonds CNC Talent et sélectionnée au dernier festival de La Rochelle. Rencontre.

Comment est né le projet Family ?
Quand j’ai créé ma chaîne YouTube en mars 2017, j’ai eu très vite envie de raconter des histoires qui soient à la fois touchantes et drôles. Ça m’a conduit à développer des vidéos sur le thème de la famille : Merci maman autour d’une conversation entre une mère et sa fille pour la fête des Mères et Paparfait au moment de la fête des Pères. Ces deux films ont totalisé près de trois millions de vues, j’ai reçu énormément de messages. Aussi, quand le CNC Talent – le Fonds d’aide aux créateurs vidéo sur Internet – a été créé, j’ai eu envie de participer à l’appel d’offres pour aller plus loin sur ce sujet. C’est l’un des thèmes que je préfère car il est intemporel, universel et d’une richesse infinie. On peut partir de l’intime pour parler au plus grand nombre.

Est-ce que vous saviez dès le départ que ce programme réunirait cinq courts métrages ?
J’avais beaucoup plus d’histoires en tête, neuf au total, mais vu notre ambition en termes de réalisation, mon producteur Keyvan Khojandi m’a suggéré de me limiter à cinq. J’ai donc choisi les thèmes qui me parlaient le plus, en sachant qu’il pourrait aisément y avoir une saison 2.

Le premier court, Olive, raconte l’épreuve de la fausse couche…
J’ai eu envie d’aborder ce sujet peu traité au cinéma car j’ai vécu moi-même cette épreuve traumatisante. Je voulais parler de la famille qu’on se construit, mais je ne l’ai pas fait dans un geste thérapeutique exutoire. Cette thérapie, ce chemin, je les avais empruntés avant. Sinon, je n’aurais jamais pu écrire ce film sans plonger dans le pathos.

Dernière Valse vous permet d’aborder la thématique du deuil avec la mort d’une grand-mère…
Là encore, comme dans la plupart de mes films, je pars de choses que j’ai pu vivre même si je n’ai pas eu de grands-parents danseurs comme dans Dernière Valse. Je souhaitais explorer ce désir qu’on a de vouloir garder les mêmes rituels avec ceux qui restent après la disparition d’une personne qui nous est chère. Je voulais ainsi raconter la difficulté pour cette jeune femme que j’incarne de dire au revoir à une partie de son enfance et comment on peut malgré tout construire quelque chose de nouveau.

Nouveau Départ et Supprime maman peuvent être vus comme deux films qui se répondent sur le rapport complexe mère-fille, parfois teinté de maladresse dans le premier cas, carrément toxique dans le second…
C’est vrai ! Même si à l’origine, dans Nouveau Départ, c’est un père qui faisait face à cette jeune femme qui s’apprêtait à partir loin de l’endroit où elle a grandi et vécu. C’est le réalisateur Jean-Baptiste Delannoy qui m’a suggéré de remplacer ce personnage par une femme pour sortir des archétypes de mères qui peuplent la plupart des films : soit trop aimantes, soit exécrables. On montre juste une mère qui ne sait pas exprimer ses sentiments alors que le diktat social voudrait qu’elle soit naturellement démonstrative avec sa fille.

Dans Et y’aura papa ?, vous racontez l’impact qu’a eu chez une enfant la séparation de ses parents, alors que son père a quitté sa mère pour un autre homme. Cette fois, par le prisme de l’animation…
C’était un rêve d’aborder l’animation et cela correspondait à notre envie commune avec Jean-Baptiste Delannoy de se frotter à différents genres. Je trouvais intéressant ici de passer par l’animation pour raconter un traumatisme d’enfance et ainsi faire dialoguer de manière originale mon héroïne avec celle qu’elle a été à différents âges de sa vie, à 4, 8 et 12 ans, sous le regard de celle qu’elle est devenue adulte.

Jean-Baptiste Delannoy signe la réalisation des cinq courts métrages de cette collection. Pourquoi l’avoir choisi ?
C’est mon frère. J’aimais l’idée d’être en famille pour raconter des histoires de familles. Et pour chaque film, notre méthode de travail a été la même. Je lui envoie une version avancée mais pas définitive de chaque scénario pour qu’il puisse en amont apporter ses idées. Déplacer le lieu de certaines scènes par exemple pour qu’elles fonctionnent mieux. Je voulais vraiment une touche cinématographique pour tous ces films avec, dans mon esprit, une forme aussi importante que le fond. Et je savais que Jean-Baptiste saurait l’apporter.

Vous saviez aussi dès le départ que chaque court métrage allait durer une dizaine de minutes ?
Oui. Quand j’écris, je ne me mets jamais de limites, dans l’idée de laisser la production établir ensuite ses contraintes. Mais sur ce projet-là, la durée faisait en quelque sortie partie du deal de départ, pour qu’il puisse voir le jour. Et c’est un exercice que j’aime beaucoup. Si une histoire tient en huit minutes, je n’éprouve aucun besoin de l’étaler. J’ai évidemment envie de passer au format long. Mais dans le cadre de ces courts, l’exercice est différent et c’est passionnant justement de raconter des choses qui peuvent avoir de nombreuses ramifications dans un temps restreint. Ça titille votre imagination.

Qu’est-ce qui a le plus changé dans votre travail entre ces courts et vos vidéos sur votre chaîne YouTube ?
Le ton. Sur ma chaîne, la notion d’amusement prime. Mais, pour autant, dans les situations tragiques, tristes ou tendues que je peux raconter dans Family, je tiens à ne jamais m’enfermer dans la noirceur, à distiller de l’amour, à tendre vers des happy ends. Je suis incapable d’écrire quelque chose qui se terminerait mal ou, en tout cas, qui n’entrouvre pas une porte d’espoir.

Vous êtes aussi l’héroïne de ces cinq courts métrages que vous avez écrits. Y en a-t-il un que vous avez préféré jouer ?
Certainement pas Supprime maman car je suis tombée malade juste avant et j’ai tourné aphone. J’ai ensuite dû tout postsynchroniser ! (Rires.) Mon préféré reste Dernière Valse parce que j’ai eu le bonheur de jouer avec Rufus. Face à de tels acteurs, aussi généreux, on n’a qu’à être disponible, prendre et se laisser porter.

Y a-t-il un de ces courts que vous aimeriez développer en format long ?
Olive, pour creuser ce sujet et ainsi développer l’impact d’une fausse couche chez les autres membres de la famille, à l’intérieur du couple… J’aimerais traiter encore plus précisément de cet état dépressif invisible, impalpable, aussi abstrait pour l’héroïne que pour son entourage et la société en général. Avec le défi de garder cette écriture non linéaire, pour que le spectateur soit dans la tête de cette jeune femme, pour qu’il soit perdu au départ, tout comme elle, et qu’il reconstitue les pièces du puzzle au fur et à mesure. C’est un des projets sur lesquels je travaille actuellement.