Quand la réalité virtuelle et augmentée s’en va-t-en guerre

Quand la réalité virtuelle et augmentée s’en va-t-en guerre

06 septembre 2018
Ennemi
Ennemi France Télévisions, Caméra Lucida, ONF, Emissive le DPT

Si la réalité virtuelle et augmentée fait le bonheur des amateurs de jeux vidéo, elle peut également être utilisée dans un cadre autre que le divertissement. Exemple avec ces quatre projets qui ont choisi de faire vivre en immersion les affres de la guerre.


Le poids des images ne suffit plus parfois pour sensibiliser le public au quotidien des pays en guerre. Pour changer les choses et marquer les esprits, des associations, étudiants, reporters et même le réalisateur Alejandro González Iñárritu avec Carne y Arena - qui fait vivre le quotidien des migrants traversant la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis -, ont choisi de provoquer la réflexion grâce à la réalité virtuelle. Des expériences immersives qui permettent « d’expérimenter le récit d’un autre », souligne la présentation d’Ennemi.

« C'est à travers les récits que nous comprenons le monde, mais grâce aux expériences que nous nous en souviendrons », peut-on également lire dans ce texte. Placé au centre du récit, le spectateur devient acteur de l’histoire. Isolé sensoriellement, et sans élément perturbateur, dans ce monde virtuel, il ne peut être que capté par l’écran, ce qui décuple la charge émotionnelle. La frontière entre l’image et la réalité s’estompe et l’expérience devient souvenir qui marque durablement, bien plus qu’une photo.

Les expériences de réalité virtuelle sur la guerre permettent ainsi, l’espace de quelques dizaines de minutes, de se mettre physiquement et émotionnellement à la place des personnes victimes de ces conflits. Retour sur 4 créations immersives qui ont choisi cette technologie pour sensibiliser le public.

Les combattants prennent la parole

Photographe de guerre depuis 15 ans, Karim Ben Khelifa a immortalisé de nombreux conflits à travers son objectif avant d’imaginer Ennemi, un projet documentaire en réalité virtuelle et augmentée soutenu par le CNC. Coproduite par la direction des Nouvelles Ecritures de France Télévisions, Caméra Lucida, l’ONF, Emissive, le DPT (avec le soutien du MIT), cette création donne la parole à ceux qui font la guerre. Deux expériences interactives sont proposées avec Ennemi : une application en réalité augmentée, accessible via tablettes et mobiles ainsi qu’une installation utilisant des casques de réalité virtuelle. Karim Ben Khelifa dévoile ainsi une série de portraits d’ennemis historiques. Des combattants qui répondent tous aux mêmes questions dont « Qui est votre ennemi ?, Pourquoi ?, Avez-vous déjà tué un de vos ennemis ?, Que représente la paix pour vous ? » Le photoreporter fait par exemple dialoguer un soldat israélien et un lanceur de pierres palestinien, des opposants de République démocratique du Congo et des ennemis du Salvador. Trois années de production et une équipe de 120 chercheurs, experts et designers ont été nécessaires pour faire cette expérience immersive journalistique.

Faire vivre Hiroshima de l’intérieur

Seconde Guerre mondiale, 6 août 1945, 8h15. Le bombardier américain Enola Gay lâche, au-dessus de la ville japonaise d’Hiroshima, Little Boy. Une bombe de quatre tonnes et demie à l’uranium qui provoque la mort directe de plus de 70 000 personnes. Un premier bilan humain qui grimpe au fil des années, de nombreuses personnes succombant aux effets des radiations. Selon les historiens, plus de 140 000 personnes ont ainsi été tuées au total. Encore marqués par ce drame, des étudiants de la Fukuyama Technical High School, située près d’Hiroshima, ont travaillé deux ans sur une application de réalité virtuelle faisant découvrir la ville avant, pendant et après le largage de Little Boy. Une vidéo d’une durée de 5 minutes pour laquelle ils ont utilisé des archives de l’époque. «Les étudiants de l’école espèrent que leur travail conduira les personnes, vivant dans des nations disposant de l’arme nucléaire, à ressentir l’horreur de ces bombes et à réfléchir à ce problème de manière plus profonde », écrit ainsi Hiroshima Peace Media Center au sujet de ce projet encore en corus de réalisation.

Au cœur de l’Insurrection de Varsovie

1er août 1944. Alors que la Pologne est occupée par l’armée nazie, 50 000 insurgés prennent les armes à Varsovie en suivant les directives du gouvernement en exil à Londres. Pendant près de 63 jours, ils se battent contre l’occupant. De violents combats qui font plus de 200 000 victimes majoritairement civiles. Cette insurrection, qui s’est conclue par une victoire des Allemands, a conduit à la déportation de milliers de personnes et à la destruction de la ville à 85%. Une page noire de l’histoire polonaise qu’un cinéaste, Tomasz Dobosz, a décidé de faire revivre en réalité virtuelle. Dans ce film de 15 minutes, le spectateur, via un casque, devient un insurgé au milieu de Varsovie en ruines. Un court métrage tourné pendant deux ans grâce à 24 caméras. Premier film réalisé dans le pays avec cette technologie, il s’inspire de l’histoire vraie d’un insurgé dont le portefeuille, renfermant une lettre de sa fille, a arrêté une balle tirée en plein cœur par un Allemand. Cette œuvre a été présentée pour la première fois cette année, la veille de l’anniversaire de cette insurrection.

Le quotidien d’un enfant en temps de guerre

Que vivent les habitants des zones de conflits ? C’est la question à laquelle répond Enter the room, une application en réalité augmentée, utilisant le système ARKit d’Apple, lancée en mars 2018 par le Comité International de la Croix-Rouge (CICR). Disponible gratuitement, cette création développée par Nedd, une agence d’innovation digitale, permet au public de s’immerger dans la chambre d’un enfant vivant sur un terrain de guerre. A travers son écran, l’utilisateur peut ainsi découvrir le changement vécu au fur et à mesure du conflit. D’abord pleine de vie, la chambre se transforme peu à peu en une pièce plus sombre dans laquelle résonnent les coups de feu, les cris, les bruits d’explosions et de bombardements. L’histoire, imaginée pour ce projet s’étend sur quatre ans. «Si la réalité augmentée s’est déjà fait connaître par Pokemon Go et Snapchat, c’est la première fois qu’elle est utilisée pour montrer les conséquences des conflits urbains », souligne Charlotte Lindsey-Curtet, la directrice de la communication et de la gestion de l’information au CICR.