Timothée Hochet, la peur par le son

Timothée Hochet, la peur par le son

09 août 2018
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Timothée Hochet
Timothée Hochet Timothée Hochet

Après un apprentissage en autodidacte en réalisant des vidéos pour sa chaîne YouTube, puis sur le tas en travaillant pour le Studio Bagel, le jeune créateur a surpris en proposant Calls, une angoissante série 100% sonore, diffusée par Canal+. Portrait.


A l'époque des flux d'images quasi-ininterrompus, Timothée Hochet a fait le choix du son. Dix épisodes, une tension de tous les instants, et pas une seule seconde de vidéo : sa série Calls, pourtant diffusée par Canal+ en janvier dernier, crée suspense et angoisse à partir de faux enregistrements sonores issus de sources diverses (appels à Police Secours, boîte noire d'un avion…). Ceux-ci permettent de reconstituer des événements tragiques et parfois mystérieux, reliés de manière plus ou moins directe à une Apocalypse imminente…

Y voir une réaction, un contrepied volontaire, à l'avalanche d'images caractérisant ce début de XXIè siècle serait faire fausse route. Timothée Hochet, créateur et co-scénariste de la série, est un enfant de l'ère internet. Aujourd'hui âgé de 24 ans, le jeune homme est passé par le centre d'apprentissage de la création numérique en autodidacte : pas de formation spécifique malgré un lycée avec option audiovisuelle à Valence mais, dès l'adolescence, des courts métrages filmés avec les copains, puis une chaîne YouTube. La mode des vidéos humoristiques bat alors son plein. Il en réalise avec les moyens (limités) du bord, se crée une petite communauté, mais se lasse vite.

Ses réalisations suivantes, désormais plus sérieuses et orientées vers la fiction, lui font perdre une grosse partie de ses abonnés mais suscitent l'intérêt d'autres vidéastes. « Monté » sur Paris en 2014, il décroche un premier stage au Studio Bagel, puis poursuit la collaboration avec la société de production / collectif d'humoristes (Jérôme Niel, Monsieur Poulpe, Mister V, Natoo…). Pendant près d'un an et demi, il enchaîne figuration et making ofs, commence à « connaître les bonnes personnes », fait des erreurs, recommence, découvre les exigences de chaque poste de métier, observe. Bref : il apprend, sans jamais regretter son choix. « Je suis très content de ne pas avoir suivi de formation. Si j'avais fait une école, j'en sortirais tout juste aujourd'hui. Je n'aurais pas fait ce stage au Bagel… J'ai aussi le sentiment que beaucoup de gens sortent des écoles en étant formatés et proposent un cinéma académique, osent moins. Je n'aurais sans doute pas pensé à faire Calls, car j'aurais trouvé cela étrange, une série sans images. »

L'horreur renouvelée

« Fasciné » par le cinéma d'horreur depuis l'adolescence et sa découverte de films comme Le Projet Blair Witch ou Shining, Timothée Hochet a voulu, avec Calls, « renouveler un peu le genre », en toute modestie. Partant sur le registre du found footage (voir glossaire), il décide de réaliser une fiction dans laquelle le spectateur ne verra jamais le « monstre ». « C'est ce qui me dérange souvent, dans le genre horrifique : on nous vend pendant la moitié du film une créature puis, quand elle apparaît enfin, je suis déçu car elle n'est pas à la hauteur de mes attentes. L'imagination crée quelque chose de plus terrifiant que ce qui va être montré finalement, en fonction des peurs et du passé de chacun… ».

La découverte sur YouTube d'archives du 911, le numéro d'appels d'urgence de la police américaine, donne au jeune créateur l'idée de ces enregistrements sonores. « C'était terrifiant, plein d'angoisse, de silences, de souffles… ». En 7 mois, Timothée Hochet et son ami Norman Tonnelier écrivent et réalisent un premier court métrage. Lorenzo Benedetti, le patron de Studio Bagel, propose d'en faire une série et convainc Canal+ (actionnaire majoritaire de Studio Bagel). Le groupe audiovisuel les laisse écrire librement, avec une seule exigence : que chacun des dix épisodes soit porté par un comédien connu. Le contrat sera honorablement rempli : après avoir fait la tournée des agences, Timothée Hochet et la production parviennent à convaincre, entre autres, Sara Forestier, Mathieu Kassovitz, Marina Foïs, Charlotte Le Bon, Jérémie Renier, Camille Cottin, Gaspard Ulliel, Vincent Rottiers ou encore Jérémie Elkaïm, de venir prêter leurs voix.

Bien qu'il ait demandé un gros travail en post-production, le choix de l'audio est un vent de liberté : liberté de faire se dérouler des épisodes où on le souhaite (espace, fonds marins…), sans se soucier du budget ; liberté de ne pas trop décrire, de laisser les spectateurs interpréter eux-mêmes ce qu'ils entendent, sans leur fournir toutes les réponses ni les clés 
Timothée Hochet
 

Calls est parvenu à intriguer le public, et a notamment remporté le Prix Special Formats lors du MipFormats 2018, à Cannes. Encore mieux : Apple a également été séduit par le concept et vient d'acheter les droits d'adaptation de la série et a commandé dix nouveaux épisodes, en anglais. Timothée Hochet, impliqué sur l'écriture de cette version américaine, travaille par ailleurs sur la seconde saison de la série, et part à la conquête de son rêve de cinéma en planchant sur l'écriture d'un court et d'un long métrages… eux aussi, cela va sans dire, « de genre ».

Cinq films qui ont marqué Timothée Hochet

  • Magnolia, de Paul Thomas Anderson
  • Deux sœurs, de Kim Jee-Woon
  • Mr. Nobody, de Jaco van Dormael
  • Rosemary’s baby, de Roman Polanski
  • Black Swan, de Darren Aronofsky

Glossaire

Found Footage : genre cinématographique, surtout utilisé dans  les films d'horreur, dans lequel tout ou une partie du film est présenté comme un montage d'images récupérées, souvent laissées par des protagonistes portés disparus ou morts. Parmi les plus connus : Cannibal Holocaust, Le Projet Blair Witch, REC, Cloverfield ou encore Paranormal Activity.