VR : Andrès Jarach et Gordon s’inspirent du peintre Bruegel

VR : Andrès Jarach et Gordon s’inspirent du peintre Bruegel

29 avril 2019
Création numérique
1, 2, 3 Bruegel
1, 2, 3 Bruegel Camera Lucida

Expérience interactive de la collection Arte Trips, 1, 2, 3 Bruegel – Condamnés à jouer fait découvrir de manière inattendue et ludique le tableau Jeux d’enfants de Pieter Bruegel l’Ancien. Rencontre avec ses créateurs Andrès Jarach et Gordon qui en ont fait un jeu de cache-cache.


Comment est née votre participation à la collection Arte Trips ?

Andrès Jarach : Tout vient de Chloé Jarry (Camera Lucida Productions), la productrice d’1, 2, 3 Bruegel. Arte, qui avait eu cette idée de visiter un tableau avec la réalité virtuelle, a lancé un appel d’offres et Chloé nous a dit que le tableau Jeux d’enfants de Bruegel l’intriguait beaucoup. Nous nous sommes donc emparés de cette œuvre. Nous réfléchissions déjà, pour un autre projet, au fait que la réalité virtuelle ne servait pas juste à explorer un endroit où on ne peut pas être physiquement, mais qu’elle permettait aussi d’inventer une nouvelle relation à l’espace. Voilà comment cette expérience est née.

Gordon : Notre première démarche a été de nous dire que le tableau s’appelle Jeux d’enfants. Tout le monde aime jouer, même les adultes. Dans le métro, dans la rue, au bureau, partout, tout le monde joue. L’idée était donc de jouer avec ces enfants. Nous nous sommes demandés quel serait le premier jeu que nous ferions avec eux et on a tout de suite pensé à cache-cache. L’expérience commence ainsi : on est face au tableau et un enfant nous invite à jouer avec lui. On se cache les yeux et tout à coup, tous les enfants disparaissent.

Andrès Jarach : Pour une fois, la forme qu’allait prendre l’expérience correspondait aussi au thème du tableau. Il s’agit d’une ville uniquement peuplée d’enfants : nous voulions que le joueur devienne lui-même un enfant. Le jeu est donc assez simple et un peu régressif. Nous avons beaucoup étudié le monde du jeu et il se trouve que le cache-cache est le premier jeu qu’on pratique avec les enfants ou les bébés.

Avez-vous envisagé de vous plonger dans un autre tableau que celui proposé par votre productrice ?

Andrès Jarach : Non : nous avons choisi de rester très pragmatiques. Nous qui aimons jouer, nous nous sommes demandés ce qu’on pouvait faire avec ce tableau. Personnellement, je ne connaissais pas cette œuvre. Nous avons donc étudié ce tableau pour découvrir qu’il représente, de manière allégorique pour certains historiens de l’art, la guerre. Puis, nous avons étudié les jeux d’enfants, et nous nous sommes très vite mis à fabriquer quelque chose qui nous ressemble, c’est-à-dire une expérience ludique en VR. Nous n’avions pas envie d’une création sombre. Il fallait s’amuser.

Gordon : Ce que dit Andrès est important. Nous aimons avoir un point de vue décalé sur les propositions qui nous sont faites et nous avons trouvé cette manière de faire, de décaler le propos et de se l’approprier. Allier cette décontraction à un aspect plus documentaire fut le plus compliqué. L’expérience doit amener le spectateur à connaître ce tableau comme aucun autre, sans qu’il ne soit jamais noyé par la matière savante.

Comment avez-vous fait, justement, pour allier ces deux aspects, « la décontraction et le documentaire » ?

Andrès Jarach : L’expérience documentaire du jeu passe par « l’expérimentation » du tableau, le fait d’avoir touché les éléments, de les avoir enlevés et remis en place. Au fond,  il s’agit d’une connaissance empirique des détails de l’œuvre. Il y a peu de discours dans le jeu, c’est davantage un rapport à la peinture, quelque chose qui est de l’ordre de la sensation, de l’expérience. Plus qu’un cours d’histoire de l’art.

Gordon : Tous les éléments qui sont en-dehors du tableau et tout ce qui allait constituer notre monde ne sont pas des éléments de Pieter Bruegel. Il était important de préserver son œuvre et de ne pas transformer ses personnages. Nous les avons juste « découpés » du tableau et avons rajouté une petite épaisseur pour restaurer ce qu’il y avait derrière. Pour transformer le tableau en maquette, nous avons utilisé ce qu’on appelle une anamorphose, comme si on projetait le tableau sur des éléments en volume avec un vidéoprojecteur.

Andrès : L’idée de la maquette venait aussi de l’envie de travailler l’espace autrement. Le fait qu’on soit des géants par rapport au tableau créait une autre relation avec lui. Nous ne voulions pas faire des personnages gigantesques alors qu’ils sont tous petits, avec des expressions peu définies, dans le tableau. Nous voulions garder le rapport d’échelle.

 

Comment avez-vous travaillé en duo ? Chacun avait son domaine de prédilection ?

Andrès Jarach : Je viens plus du documentaire et Gordon des arts visuels. Forcément, une division s’opère naturellement, mais on ne se pose pas la question de la répartition des tâches. Nous aimons travailler ensemble : parfois l’un a un début d’idée et l’autre la rend viable. Nous nous sommes beaucoup amusés à faire cette expérience. Lorsque certaines choses ne marchaient pas, nous nous trouvions des solutions ensemble, comme pour le décor autour de la maquette du tableau. Nous étions partis sur une mauvaise piste en pensant qu’il devait être en accord avec l’époque de Bruegel. Gordon a imaginé que le décor rappelle simplement l’enfance, afin que ça reste un jeu.

Gordon : C’est un jeu simple en bois, comme un jeu de construction enfantin avec des sonorités qui vont avec et tout un univers qui rappelle l’enfance et nous éloigne de celui du musée. Il permet également aux enfants de s’approprier ces espaces. Grâce à l’imaginaire, ces endroits qui paraissent parfois froids et austères peuvent devenir magiques.

Andrès Jarach : La partie son a été très importante pour nous, c’est ce qui rendait crédible cet espace et la maquette. Il fallait qu’on sente la musique sans qu’elle ne soit trop présente. Il y a eu ensuite les enregistrements avec les voix des enfants.

Vous étiez graphiste et directeur artistique Gordon, et vous, Andrès, réalisateur de documentaires. D’où vient votre intérêt pour la réalité virtuelle et les projets immersifs ?

Gordon : Chloé Jarry nous a fait nous rencontrer…

Andrès Jarach : Et nous aimons beaucoup, tous les deux, explorer de nouvelles formes narratives et visuelles. Nous avons développé, séparément, des projets interactifs et nous avons nourri une vraie curiosité pour ce style de créations. Nous travaillons actuellement sur un autre projet en réalité augmentée et un deuxième en réalité virtuelle. Nous explorons, sans savoir si ça va marcher ou ce que ça donnera.  

Gordon : Notre premier projet VR ensemble était Replay memories. Il était moins ludique mais c’était une expérience fascinante qui parlait des archives et de la mémoire.