Accidental Queens, des jeux vidéo inclusifs pour changer les choses

Accidental Queens, des jeux vidéo inclusifs pour changer les choses

06 novembre 2019
Jeu vidéo
Diane Landais et Miryam Houali d'Accidental Queens
Diane Landais et Miryam Houali d'Accidental Queens Accidental Queens / DR
Cofondé en 2017 par Diane Landais, Miryam Houali et Elizabeth Maler, le studio indépendant s’est fait remarquer grâce à A Normal Lost Phone dans lequel le joueur doit fouiller dans le téléphone d’un inconnu pour retrouver son propriétaire. Après cette première création développée à partir d’un jeu imaginé dans une Game Jam (un événement pendant lequel les développeurs ont 24 à 48h pour concevoir un projet), Accidental Queens a sorti deux autres titres : Another Lost Phone : Laura’s Story mettant en lumière les relations abusives ou encore le harcèlement ainsi qu’Alt-Frequencies sur les mécanismes de transmission de l’information à travers le prisme de la radio. Rencontre avec Diane Landais et Miryam Houali à la tête de ce studio qui dénote dans l’univers du jeu vidéo.

Est-ce facile de se faire une place dans l’industrie vidéoludique très masculine lorsqu’on est un studio créé uniquement par des femmes ?

Miryam Houali : Ce n’est pas plus difficile en étant une femme qu’un homme : le milieu indépendant est dur pour tout le monde. Nous avons choisi de mettre le féminin à l’honneur dans le nom du studio, même s’il y a des hommes dans chacun de nos projets, car il y avait une majorité de femmes dans l'équipe initiale et c'est suffisamment différent et inhabituel pour attirer l’attention.

Diane Landais : Cette question, qu’on nous pose souvent, est pour moi une fausse question : le fait d’être une femme ne fait pas apparaître magiquement devant soi un mur empêchant d’avancer. Le vrai problème vient des opportunités : nous avons réussi à quitter nos emplois respectifs et à monter un studio ensemble pour des raisons indépendantes de notre genre. Mais ce n’est pas donné à tout le monde : il faut une situation stable pour pouvoir se permettre de se mettre en danger en créant un studio indépendant. C’est lié avant tout à la manière dont notre société fonctionne.

 

« J’aimerais que “féministe” ne soit plus un sujet. (…) Dès qu’on parle des femmes, on est considéré comme féministe, ce qui montre bien qu’il y a un problème... », nous confiait récemment la vidéaste Aude Gogny-Goubert. Est-ce une réflexion que vous partagez, vous qui abordez ces thèmes dans vos jeux ?

M.H. : Présenté ainsi, « féministe » sonne un peu péjoratif. De notre côté, nous n’avons jamais eu de problème pour dire que notre démarche était féministe. Je pense qu’aborder des sujets de société n’a pas du tout été un frein et a été apprécié.

D.L. : Sur les pages de nos jeux, nous ne précisons pas en gros et en gras qu’il s’agit d’une création féministe. Même si ce n’est pas un secret, nous abordons rarement le sujet profond de nos jeux dans les premières présentations. Nous ne le vendons pas pour le message qu’il contient. Notre objectif est de toucher des personnes qui ne sont pas familières de ces thèmes-là.

M.H. : Si certains joueurs, pas intéressés par les questions LGBT, avaient su le sujet d’A Normal Lost Phone avant de l’acheter, ils ne l’auraient peut-être pas fait.

D.L. : Entendre parler de nous dans des articles nous décrivant comme « féministes » peut être un frein pour certains joueurs, mais tant pis pour eux. Dans notre quotidien professionnel, ça n’a jamais été problématique.

A Normal Lost Phone Accidental Queens

Dans vos jeux, vous abordez aussi bien des thèmes LGBT que des sujets de société, ce qui est rare dans le jeu vidéo. Pourquoi une telle ligne éditoriale ?

M.H. : Aborder ce genre de sujets est de moins en moins rare. Comme n’importe quel média artistique et culturel, l’industrie vidéoludique traite tous les sujets même s’il a fallu du temps pour que de tels thèmes plus sérieux soient développés dans le jeu vidéo sans être des « serious games » (des jeux aux ambitions pédagogiques, politiques ou de communication ndlr). Ces sujets sont importants pour nous, ils nous tiennent à cœur et ne sont pas une suggestion tirée d’une étude de marché. Pour Alt-Frequencies par exemple, le thème (la transmission d’informations ndlr) a été inspiré par l’actualité dans laquelle nous nous trouvons.

D.L. : L’idée n’est pas de prendre une mécanique et un sujet juste parce qu’ils sont sympas : ils doivent bien fonctionner ensemble. Le format choisi pour A Normal Lost Phone a permis de parler de la thématique LGBT d’une manière nouvelle et intéressante. Si nous avions fait du cinéma, nous aurions également réalisé des films sur des sujets importants. Ici, nous utilisons le format que nous connaissons et maitrisons : le jeu vidéo.

Avez-vous choisi d’aborder ces thématiques par souci de pédagogie ou pour représenter la société dans toute sa diversité ?

M.H. : Nous voulions en premier lieu être inclusives et représenter la société telle qu’elle est, en essayant d’éviter les préjugés qu’on retrouve dans certaines œuvres représentant uniquement des hommes ou des personnes blanches. Il y a également une volonté militante et pédagogique d’expliquer, sans moraliser, comment vivent d’autres personnes et ce qu’elles traversent…

D.L. : Même si nous faisions des jeux aux formats plus conventionnels ou sans dimension militante, nous essayerions malgré tout d'être inclusives. Le jeu vidéo est un domaine culturel, les créateurs ont donc cette responsabilité de transmettre des choses qui ne sont pas néfastes ou incorrectes.

Tout comme les séries qui tentent désormais d’éviter les stéréotypes de genre et de proposer plus de diversité ?

M.H. : Oui, nous suivons juste l’évolution de la société dans laquelle nous vivons. Nous avons envie de voir les choses changer à grande échelle et nous faisons ce que nous pouvons pour les changer à notre niveau. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de façons de jouer et de personnes qui jouent. Il est donc normal que les types de jeux et les thèmes abordés se diversifient.

Dans vos deux premiers jeux, il fallait mener une enquête en fouillant dans un téléphone portable. Alt-Frequencies est pour sa part une enquête grâce à un poste de radio. A première vue, on constate une simplicité au niveau du graphisme mais qui s’avère plus complexe avec l’ajout de nombreux détails…

M.H. : Tous nos choix, qu’ils soient graphiques, artistiques ou sonores, sont faits pour servir le gameplay et le propos. Nous voulons effectivement des mécaniques de jeu innovantes qui font passer des idées et des messages importants, et la partie artistique est là pour supporter ça. L’interface du téléphone dans A Normal Lost Phone et Another Lost Phone : Laura’s Story est inspirée de vraies applications qui ont été stylisées pour donner une ambiance et nous permettre de créer nos énigmes.

D.L. : La volonté d’utiliser une interface du quotidien a été le point de départ de nos trois jeux : un téléphone ou une radio parle à tout le monde. Ces créations ont assis ce qu’est Accidental Queens : il ne s’agit pas seulement de jeux audio, textuels, dans un téléphone ou sur des thèmes féministes : c’est tout ça à la fois.