Votre parcours est atypique puisque vous ne venez pas de l’industrie du jeu vidéo…
Effectivement. Que ce soit pour The Moon Pirates ou pour moi-même, il s’agit de nos tout débuts. C’est notre passion pour le jeu vidéo qui nous a amenés sur cette voie. Les événements ont fait que ça a été directement le saut dans le grand bain. Je ne trouvais pas de travail dans ma branche, j’ai commencé à utiliser Unity, à apprendre le dessin pixel… et, de fil en aiguille, on en est arrivés à la sortie du jeu.
Quelle était la première idée, ou intuition, qui a mené à Don’t Forget Me ?
La toute première idée était de faire un jeu à choix moraux assez difficile, en brouillant au maximum la limite entre le bien et le mal. D’essayer d’aller au-delà de cette notion. De cette idée a découlé une première mise en scène : le personnage de Fran était de la police, spécialiste des négociations, et «?rentrait?» dans la puce des preneurs d’otages pour réussir les négociations. On a finalement préféré partir sur quelque chose de plus neutre et «?civil?», afin de mieux engager le joueur. C’est comme ça qu’on s’est dirigés vers la clinique mémorielle. Mais dès le début, il y avait aussi l’envie de parler de sujets assez sensibles et parfois impossibles à traiter sans la fiction. Par exemple le droit à l’oubli.
Au départ, Don’t Forget Me devait être financé par Kickstarter. Finalement, le jeu semble être devenu bien plus gros que prévu. Vous avez vite compris que son potentiel était plus grand que ce que vous imaginiez ?
On s’en est rendu compte la première fois où l’on a présenté le jeu à l’extérieur et qu’on a réalisé l’engouement qu’il provoquait. Il était difficile de nous faire une idée précise de ce que nous avions fait, au vu de notre inexpérience dans le milieu. On nous a fait comprendre que le jeu était bon, et nous avons revu l’échelle à la hausse au fur et à mesure que le projet grandissait. Mais, même aujourd’hui, il est difficile pour nous d’estimer le potentiel de Don’t Forget Me, à cause de sa naissance assez atypique.
C’est un titre qui mélange habilement enquête textuelle et fouille. Comment avez-vous défini ce gameplay ?
L’idée du gameplay est venue assez simplement. On parle de souvenirs et du fait de «?fouiller dans les souvenirs des gens?» : on a donc pris cette expression au sens littéral du terme, ce qui a donné cette jouabilité proche du point & click. Pour le gameplay textuel, le but était d’imaginer comment les souvenirs «?fonctionnent?» et comment, si nous étions les créateurs de la puce, nous les classerions.
Pourquoi le cyberpunk vous semblait-il être la bonne porte d’entrée pour évoquer les thématiques du souvenir et du transhumanisme ?
Le cyberpunk et tous les clichés qu’il embarque sont une bonne porte d’entrée pour engager le joueur. Celui-ci est déjà en terrain connu avant d’avoir commencé le jeu, ce qui nous permet de mieux aborder notre sujet. Mais on a quand même décidé d’évoquer une grosse part du «?passé?» à travers la musique ou certains environnements, pour montrer que plusieurs questions autour du transhumanisme existent depuis longtemps. Et puis, Elon Musk nous a prouvé que le «?futur?» de Don't Forget Me est plus proche de nous qu’on le pense?!
Le jeu s’inspire beaucoup d’œuvres de science-fiction comme Ghost in the Shell, Blade Runner, Black Mirror... Comment intégrer leur influence indéniable sur le genre tout en s’en émancipant suffisamment ?
On a embrassé cette influence en clamant haut et fort que ces œuvres étaient à la base de notre ligne de création. Et derrière, nous avons raconté ce que nous voulions, à notre manière. Nous avons étudié leur style, comment elles fonctionnaient et nous avons glissé nos propres règles à la place. Malgré tout, leurs ombres planent au-dessus de Don't Forget Me, en mal comme en bien.
Don't Forget Me est aussi un véritable hommage au jeu The Red Strings Club. Qu’est-ce qui vous fascinait dans ce titre et pourquoi avoir choisi le pixel art, qu’il utilisait déjà ?
On avait adoré le fait que The Red Strings Club raconte ce qui lui plaise. Il avait une proposition qui pousse à la réflexion, car il n’y avait pas de bien ou de mal dans la problématique abordée. Juste le point de vue de nombreux personnages, qui avaient chacun leurs propres avis et intentions. Leurs propres visions d’un futur nouveau et meilleur pour l’humanité. Nous avions envie, nous aussi, de raconter nos propres histoires, d’amener des réflexions sur des sujets précis, en nous passant des notions de bien et de mal. Mais avec notre manière de raconter les choses. Nous trouvions The Red Strings Club très verbeux. Nous avons décidé d’avoir une approche plus parlée que littéraire dans nos dialogues. Le pixel art s’est imposé pour deux raisons : quand je ne trouvais pas de travail, je me suis juste amusé à faire du pixel art et c’est comme ça que tout s’est lancé.
Qu’est-ce qui vous a poussé à ajouter une fonction Twitch, qui permet aux streamers de faire participer leur communauté au gameplay en faisant des propositions ?
Le streaming est devenu un acteur majeur dans la vente d’un jeu. Nous sommes un studio méconnu qui sort un jeu narratif, donc nous savions que ça allait intéresser peu de streamers à première vue. Avoir une dimension sociale pour que le streamer puisse interagir avec ses spectateurs et lui permettre de mieux animer ce genre de jeu nous semblait essentiel.
Avez-vous déjà en tête le prochain jeu de The Moon Pirates ?
Pas qu’un seul, nous avons plusieurs idées?! Elles sont assez éloignées des jalons posés par Don't Forget Me, car nous souhaitons explorer et expérimenter d’autres choses.
Don’t Forget Me est disponible sur Windows et Mac et a bénéficié du Fonds d’aide au jeu vidéo du CNC.