Discours de Dominique Boutonnat à l'occasion de la Cérémonie des vœux 2020 du CNC

Discours de Dominique Boutonnat à l'occasion de la Cérémonie des vœux 2020 du CNC

31 janvier 2020
Professionnels
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Cérémonie des vœux 2020 du CNC CNC
Discours de Dominique Boutonnat, président du CNC, prononcé le 30 janvier 2020 à Paris à l'occasion de la cérémonie des vœux du CNC.

Bonsoir à tous,

Chers amis,

C’est la première fois que je m’exprime devant vous depuis mon arrivée ! Même si l’exercice ne m’est pas très familier, je suis très heureux de vous retrouver ce soir, dans ce beau théâtre, pour vous souhaiter une très bonne année 2020

En six mois, j’ai rencontré beaucoup d’entre vous - professionnels des organisations représentatives, entrepreneurs, créateurs, auteurs, diffuseurs, mais aussi parlementaires - certains que je connaissais déjà, d’autres pas encore, à Paris, comme en région… et j’ai beaucoup appris.

Alors, ce soir, je ne vais pas parler de tous les sujets, ni faire un discours programmatique.

Je voudrais juste partager trois choses avec vous :

1/ quel est le constat que nous faisons en commun sur le secteur ? 
2/ quels sont les grands chantiers qui vont nous mobiliser cette année ?
3/ troisièmement, les défis que nous avons identifiés et que nous allons relever ensemble, grâce notamment à la revue des dispositifs du CNC.

 

  1. Constat partagé

 

Un double constat :

  • Nous vivons une période de changements, de rupture majeure, comme on n’en a pas vécu depuis le début des années 1980, une mutation du paysage cinéma et audiovisuel, qui peut susciter à la fois des craintes mais aussi qui représente de nouvelles opportunités.
  • Face à cela, nous sommes tous d’accord pour dire qu’il est essentiel de réformer notre système. C’est le destin collectif du secteur qui se joue.
     
  1. C’est pour cela que 2020 se doit d’être une année charnière. Elle sera donc une année chargée pour nous tous.


Elle sera rythmée par trois grands chantiers. Projet de loi, négociations, revue des aides.

C’est l’occasion de vous dire à quel point je suis impressionné depuis mon arrivée par le nombre de professionnels, de tous les métiers, qui s’investissent, consacrent beaucoup de temps au collectif, que cela soit dans leur participation aux organisations professionnelles ou aux commissions du CNC.

 

  1. Premier chantier : la loi audiovisuelle et tout ce qui en découle :
  • Je ne vais pas rentrer dans le détail, vous le connaissez.
  • D’abord elle sera discutée à compter de fin mars.
  • Ensuite, quel est son contenu ? Elle va intégrer les nouveaux diffuseurs, les plateformes, Netflix, Amazon et demain Apple +, Disney, tout en consolidant les principes fondamentaux de notre modèle.

Alors ces principes quels sont-ils ?

  • des obligations d’investissement dans la production de la part des diffuseurs, à la fois dans le cinéma et dans l’audiovisuel ;
  • une protection de la production indépendante ;
  • le respect des auteurs et des créateurs ;
  • le renforcement de la lutte contre le piratage.

En méthode, comment ? Une large part aux accords professionnels entre les producteurs, les diffuseurs et les auteurs que vous êtes, pour définir, avec souplesse, la place des nouveaux entrants.

 

Le CNC sera à vos côtés pendant ce cycle de négociations, qui commence dès maintenant. Le Ministre a désigné des facilitateurs pour cette négociation, Pierre Sellal et Florence Philbert.

 

 

  1. Deuxième chantier : la chronologie des médias

 

  • Evidemment cela aura un impact sur la chronologie des médias pour le cinéma, et ce sera notre deuxième grand chantier.
  • On ne peut pas en même temps travailler sur un projet de loi de cette envergure, négocier avec de nouveaux diffuseurs des obligations d’investissements sans ouvrir à nouveau le débat sur la chronologie des médias. Cela concerne aussi les diffuseurs traditionnels. Là aussi, nous avancerons ensemble.

 

  1. Troisième chantier : c’est la revue générale de tous les dispositifs du CNC, on en a déjà parlé il y a quelques semaines

 

Un préalable tout d’abord : je sais qu’elle suscite des interrogations auxquelles je veux tout de suite répondre : il ne s’agit pas d’un exercice budgétaire, c’est une revue stratégique.

L’équilibre financier, on l’a atteint, en grande partie grâce au travail initié par Frédérique Bredin l’année dernière. Et d’ailleurs, je souhaite lui rendre hommage ce soir :

  • en 2018, avec un plan de transformation des soutiens de 35 M€ sur le secteur audiovisuel ;
  • poursuivi sur le cinéma cette année pour 15 M€ ;
  • et nous nous sommes battus, avec le ministre Franck Riester, pour éviter un plafonnement des ressources du Centre.

On entame maintenant un vrai exercice stratégique. Pour cet exercice, trois questions auxquelles nous devons répondre :

1/ Pourquoi aujourd’hui ?
2/ Quels objectifs poursuit-on ?
3/ Et de quelle manière on va procéder ?

  1. Alors pourquoi aujourd’hui ?
     
    1. Je l’ai dit, parce qu’on vit une mutation et même une rupture majeure.
       
    2. Et que c’est l’année où l’on réforme l’ensemble de notre système de régulation, je viens de vous en parler.
       
    3. Vous savez, aujourd’hui, on a environ 150 dispositifs, qui bien sûr, ont tous été faits pour de bonnes raisons, mais on a un problème de lisibilité et de clarification de notre action.

       
  2. Quels sont nos objectifs ?
     
    1. On ne part pas de zéro. Les fondamentaux sur lesquels le CNC s’est développé restent les mêmes.
      1. En 1946 : soutien industriel à la filière, qui avait beaucoup souffert de la guerre.
      2. En 1959, André Malraux apporte la dimension artistique et de soutien à la diversité des œuvres
      3. Ces deux axes, économique et culturel, que l’on oppose souvent, convergent en réalité vers une même ambition inchangée : faire émerger, vivre et offrir au public le plus large une création diverse, tout en ayant une industrie forte, avec des filières d’excellence, des talents dans toutes les branches, au service de la création de ces œuvres, des festivals de renommée internationale, comme le Festival de Cannes ou d’Annecy.

         
    1. Et je vois trois grands défis majeurs auxquels ils sont confrontés :

1. l’indépendance ;
2. l’internationalisation et l’attractivité ;

3. le problème de l’accès à nos œuvres et la reconquête des jeunes.

Il y en a bien sûr d’autres qui dépassent le cinéma et l’audiovisuel, et traversent toute la société : l’éducation, l’égalité femme/homme, la diversité, le développement durable... mais nous devons nous concentrer sur les trois que je viens d’évoquer.

  1. Le 1er, c’est l’indépendance. Qu’est-ce qu’on veut dire par l’indépendance ? c’est la capacité de créer, d’initier des projets, de les produire, en liberté.
  • L’indépendance des auteurs, d’abord, sans quoi il n’existerait pas de création libre et audacieuse. C’est notre rôle, notre devoir même de préserver ce trésor qu’est le droit d’auteur à la française, le droit moral des auteurs. Comme c’est notre rôle de faire émerger les talents dont notre industrie a besoin, de susciter des espaces où les créateurs de tous les arts se croisent, expérimentent, inventent les histoires de demain dans un nouveau langage.

    La France a toujours accueilli les artistes, les créateurs étrangers, comme au début du XXème siècle, les peintres de tous les pays. C’est possible, et encore plus dans le monde d’aujourd’hui d’attirer les talents étrangers de la création cinématographique et audiovisuelle.

     
  •  L’indépendance de la production, ensuite. Cela passe par :

     
  • les obligations d’investissement réservées aux producteurs indépendants, prévues par le projet de loi ;

     
  • l’autonomie économique des entreprises, sans laquelle rien n’est possible. Comment ? en renforçant leurs capitaux propres pour améliorer leur capacité de développement et d’innovation ! Vous le savez, le fonds public d’investissement de 225 M€, annoncé par le Président de la République, et le renforcement des interventions de l’IFCIC sous forme de prêts participatifs pour 25 M€ sont pleinement opérationnels depuis un mois. Et le CNC assure le suivi et le pilotage de ces évolutions, notamment à travers des formations et des réunions de présentation et la mise en place d’une Conférence des financeurs dont la première sera organisée fin mars ou début avril.
  1. Le 2ème défi majeur qui doit nous mobiliser : développer l’internationalisation de nos œuvres et l’attractivité de notre territoire.
  • Qu’est-ce qui se joue là ? La place de la France et de l’Europe dans le monde, ses valeurs de démocratie, sa culture, sa liberté de créer. Nous sommes le pays qui a inventé le cinéma, un pays où l’art est respecté, les artistes protégés. Il y a une aura dans le monde quand on parle des œuvres françaises qui rime avec liberté, créativité, diversité. C’est cela le soft power français !

     
  • La France est déjà dotée d’outils enviés par de nombreux autres pays :

     
    • 58 accords de coproduction ;
    • et un soutien universel avec l’Aide aux cinémas du monde.
    • Mais de jour en jour, la concurrence s’exacerbe et nous devons questionner notre capacité à nous exporter et renforcer l’efficacité de nos dispositifs. Il faut retrouver le goût du risque, l’envie de se projeter sur de nouveaux continents.
    • C’est tous unis que nous devons avancer. C’est le sens de la création de cette Maison France, Maison de l’Export qu’a annoncée le ministre de la Culture, et qui rassemblera nos forces. Je sais que certains ont des réticences, je souhaite qu’on en parle et mette tout sur le tapis avant d’opérer ce rapprochement entre UniFrance et TVFI.

Mais cette stratégie internationale, nous devons y penser aussi dès l’origine des projets : en soutenant la phase d’écriture, en consolidant les résidences d’écriture, et en inscrivant dès le jeune âge l’écriture créative comme une pratique essentielle. Les rapports qu’on vient de me remettre sur le sujet sont très intéressants.

L’attractivité de notre pays est également une priorité. Je reviens tout juste d’Inde où les producteurs s’intéressent beaucoup à nos lieux de tournage, à notre patrimoine historique et culturel, à nos industries techniques, mais aussi bien entendu au dispositif du crédit d’impôt ! Nos savoir-faire en effets spéciaux numériques justement, mais aussi en animation ou en jeu vidéo, sont au meilleur niveau mondial. Mais on a quelques trous dans la raquette. Notamment la taille de nos studios de tournages. Nous venons justement de lancer un Plan studios pour y répondre et offrir en France des plateaux de tournage à la pointe des nouvelles technologies, respectueux du développement durable, répondant à nos ambitions.

Je me rendrai en Californie, début mars, pour rencontrer les dirigeants des majors et des grandes plateformes. Je souhaite mettre sur pied, avec les opérateurs concernés, une présence permanente à Los Angeles d’où viennent les trois-quarts des tournages étrangers en France. On verra cela aussi ensemble, avec les producteurs, pour qu’ils soient des interlocuteurs privilégiés des productions internationales et les intégrer à ce projet. 

  1. Notre 3ème défi concerne l’accès des jeunes à nos œuvres
     
  • Nous avons atteint en 2919, 213 M d’entrées en salles. C’est formidable. C’est le deuxième plus haut niveau depuis 50 ans. Avec nos 6000 écrans, nous avons un maillage territorial unique en Europe. C’est vraiment le résultat d’une politique volontariste des pouvoirs publics, à la fois de l’Etat, à travers le CNC, et des collectivités territoriales.
  • Et les films français ont réalisé une part de marché à 35%. On a vu beaucoup de films exigeants, aux sujets forts, de société, réaliser plus d’1, voire 2 millions d’entrées : Les Misérables, Au nom de la terre, Hors normes, La Vie scolaire, ou encore La Belle époque, Le Chant du loup… C’est formidable.

Mais si on regarde dans le détail, on constate que :

  • Il y a dix ans, les moins de 25 ans représentaient 38% des entrées en salles. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 28%. C’est une tendance lourde. Là où ils voyaient en moyenne 8 films par an, ils n’en voient plus que 4. Et encore, ce sont à 90% des Marvel, Pixar, Star Wars, Disney ou Warner.
     
  • Même constat pour nos séries françaises alors qu’elles réalisent à la télévision des succès d’audience très importants, comme à l’international :  les moins de 25 ans, même les moins de 35 ans préfèrent Netflix, les séries américaines, YouTube, les jeux vidéo et les réseaux sociaux. Et là, sur ce continent numérique où sont les jeunes, on n’est pas du tout assez présent.

C’est donc un sujet culturel majeur : une culture est en danger quand sa jeunesse s’en détourne, ou n’y a pas accès. Mais il faut se questionner, se demander POURQUOI et surtout REAGIR. Il y a au moins trois moyens de répondre à cela :

  • Aller chercher les jeunes partout, sur tous les territoires, en les formant à la diversité des œuvres, en redonnant l’envie de la salle, par des initiatives locales, les médiateurs dans les salles, avec l’éducation à l’image…
  • il faut aussi amener nos œuvres là où ils sont, sur les plateformes. C’est tout l’enjeu de la réforme de la chronologie des médias ;
  • enfin, il faut aussi faire des films qui les touchent, qui s’adressent à eux. Il y a plein de moyens possibles, mais déjà en ce qui concerne le CNC, on pourrait davantage ouvrir la composition de nos commissions à la diversité de la société française dans son ensemble, ses générations, ses cultures, ses imaginaires…

Les diffuseurs français sont eux-mêmes en train d’accomplir ces mutations, pour mieux rencontrer le jeune public. Aidons-les le plus possible ! Je pense à la plateforme Salto de France Télévisions, TF1 et M6, ou aux nouveaux accords conclus par Canal avec des plateformes. On doit tous être dans ce même élan collectif.

 

En France, nous avons la littérature, le théâtre, la peinture, la gastronomie, l’opéra… et depuis 125 ans, nous avons le cinéma, en 1895 ! Le 28 décembre, nous fêterons même la naissance de la salle de cinéma ! Être français, c’est aussi être cinéphile, cela fait partie de notre histoire, de notre art de vivre, de notre culture. Pour l’occasion, nous allons restaurer des films Méliès et 300 films Lumière dont ceux tournés en 75mm.

Tous ces défis doivent nous guider à l’heure de notre grande revue des aides.
 

  1. Comment allons-nous procéder ? Quelle méthode ?

 

Vous serez impliqués dans cette revue, et je sais qu’ensemble, nous avons une capacité d’action extraordinaire.

 

Quel est notre calendrier ?


Le premier semestre sera consacré à une cartographie aide par aide de l’ensemble des régimes d’aides gérés par le CNC. Ce chantier va débuter dès février, piloté par une mission transverse qui impliquera toutes les directions du CNC.   

Vous y serez bien entendu associés. On organisera aussi des petits groupes de travail. Nous ferons des points réguliers avec les professionnels des différentes branches dans une sorte de Commission Chavane élargie. Je vous donne dès aujourd’hui Rendez-vous la 2ème quinzaine de mars, où nous présenterons une cartographie des dispositifs et commencerons à discuter ensemble des premières pistes envisagées. Votre contribution et la constance de nos échanges seront décisives.

D’autre part, nous allons travailler avec des groupes d’experts du secteur et hors secteur, sociologues, philosophes, historiens, anthropologues… pour comprendre comment l’image à une influence sur le développement d’une culture commune, du vivre ensemble chez les jeunes. Un film comme Les Misérables interroge tout notre lien social. Il faut explorer toutes ces pistes … Cela fait partie des objectifs majeurs de la revue générale des aides du CNC. Le CNC a tout pour devenir un laboratoire d’idées qui prolonge, dans le débat public, le sens de notre action.

 

Conclusion :

Voilà, chers amis : A nous, collectivement, de relever les défis qui s'imposent.

Tous les professionnels que j’ai vus m’ont fait l’éloge d’un système moderne, capable de s’adapter rapidement, envié dans le monde, souvent copié, mais malheureusement régulièrement attaqué. Ce qui est sûr, c’est que nous avons une chance immense en France d’avoir, avec le CNC, une politique publique qui accompagne le secteur en faisant converger les objectifs économiques et culturels. 

J’ai organisé il y a 3 semaines un déjeuner avec les anciens dirigeants du CNC. Tous ont mené leurs combats : l’arrivée des télévisions privées, la chute de fréquentation des années 1990, l’intégration des FAI, des géants d’Internet… Et ce qui est commun à tous : c’est qu’ils ont remporté toutes ces batailles ! C’est un modèle pour nous : cette bataille culturelle, notamment pour la reconquête des jeunes, on la gagnera ! Mais on la gagnera si et seulement si on est ensemble, si on s’unit pour rebattre les cartes.

Alors, oui, 2020 sera l’année des chantiers d’ampleur.

On a besoin de vous, de vos idées, de vos analyses, de vos projets. Le CNC est l’exemple même de cet esprit collectif : il vit, il vibre avec le secteur. Sa vie, c’est un mélange de générations, d’écritures, de métiers, de nationalités… Un soir, on y fête les deux ans du fonds CNC/Talent, l’autre les 60 ans de l’Avance sur recettes.  

C'est l’occasion pour moi de remercier toutes les équipes du CNC qui font, jour après jour, un travail formidable à vos côtés.  

Merci à tous. Très belle année et très bonne soirée !