Mesdames et Messieurs, chers amis,
C’est un très grand plaisir pour moi d’assister, pour la première fois en tant que président du CNC, au Festival de la Fiction de La Rochelle.
Je voudrais commencer par saluer la mémoire de Stéphane Strano, qui a tant fait pour que ce festival soit le temps fort de la rentrée audiovisuelle. Les équipes du CNC qui ont travaillé à ses côtés pendant toutes ces années, s’associent à moi pour rendre hommage à son engagement, au service de la création française, et de tous les professionnels qui la portent.
Le contexte où nous nous retrouvons est caractérisé par un grand paradoxe.
D’un côté, la France brille aujourd’hui sur la carte de la fiction mondiale, comme elle ne l'a jamais fait.
Les Rendez-vous d’Unifrance, début septembre au Havre, ont confirmé l’excellente dynamique de la création française, qui continue de séduire aux quatre coins du monde, avec la fiction comme locomotive qui a connu sa deuxième meilleure année historique. C’est d’autant plus notable que l'environnement des ventes internationales s’est dégradé ces deux dernières années.
J'étais en début de semaine à Séoul, où la France est le premier pays invité d’honneur du Broadcast Worldwide, le BCWW, le plus grand marché de contenus audiovisuels d’Asie. J’y étais avec une délégation de professionnels français, et nous pouvons témoigner du fait que l’image de notre pays est en train de changer, et que l’image de la fiction française est de plus en plus forte à l’international. C’est un mouvement que nous pouvons encore amplifier, en étant résolument offensifs à l'export. Comptez bien sur Unifrance et le CNC pour cela.
A domicile également, notre création n’a jamais autant attiré de spectateurs.
Je ne me lasse pas de dire qu’aujourd’hui, en France, les 100 meilleures audiences de fiction à la télévision sont françaises.
Il faut mesurer ce que cela veut dire. Quand vous avez tout un pays qui regarde d’abord les œuvres de ses propres créateurs et producteurs – alors qu’il a le choix, et même l’embarras du choix, // c’est un message de confiance des Français dans leur propre création audiovisuelle, message qui n’est peut-être pas assez entendu aujourd’hui.
Ces réussites, on peut les expliquer : il y a d'abord la palette impressionnante de genres qu’explorent nos créateurs. Il y en a pour absolument tous les goûts ! On parle beaucoup du succès du light crime à la française, avec des IP phares comme HPI, mais nos talents excellent tout autant dans le crime un peu moins light – on le voit en ce moment avec Surface, l’adaptation du thriller d’Olivier Norek, un des meilleurs lancements de série dans l’histoire de France Télévisions.
Ils excellent aussi dans la fresque historique, dans le drame social, dans le thriller politique, dans l’événement et dans le quotidien, dans le grand public et dans la niche. En un mot, en France, aujourd'hui, nous savons tout faire, même le remake parisien d’un manga japonais culte des années 80.
A l’image de cette programmation à La Rochelle cette année, qui est d'une qualité exceptionnelle, il y a aujourd’hui dans le paysage français une créativité, une capacité à parler à tous les publics, et en même temps une aptitude à faire preuve d’audace, qui nous distinguent dans le monde entier. Car très peu de pays ont cette capacité à produire des œuvres singulières, sur tous les registres.
Le paradoxe, c’est que ce qui est objectivement un âge d’or de la fiction française est en même temps traversé par de sourdes inquiétudes, avec à la fois des bouleversements qui viennent de l’extérieur, mais aussi certains qui pourraient venir de l’intérieur même de notre modèle.
Dans un marché international très volatil et incertain – ce qui rend à nouveau les performances françaises à l’export d'autant plus exceptionnelles -, nous sommes confrontés à d’immenses défis. J’en évoquerai quatre brièvement.
Le premier défi concerne les recettes sur le linéaire et, plus globalement, le financement des diffuseurs historiques avec à la fois un marché publicitaire sous tension et de lourdes incertitudes sur le budget de l’audiovisuel public. Vous, chers diffuseurs, êtes la pierre angulaire de notre écosystème, et nous observons attentivement les évolutions de vos stratégies, notamment sur le digital, afin de trouver de nouveaux relais de croissance. Je reviendrai sur ce point dans quelques instants.
Le deuxième défi – et c’est lié –, c’est la concurrence pour l’attention, avec aujourd’hui plus de 10 000 titres de fiction disponibles sur les plateformes de vidéo à la demande. Sans compter le flot continu d’informations et de vidéos auxquels nous sommes soumis et qui est destiné à augmenter encore dans un monde de plus en plus tenté de produire à bas coût, voire automatiquement, des contenus hyper standardisés.
Ce défi autour de l’attention, est encore accru par le développement de nouveaux modes de consommation audiovisuelle, centrés autour du smartphone, et avec eux de nouveaux formats. L’an dernier, le marché du micro-drama a dépassé celui du cinéma en Chine, et nous voyons bien que ce format est en train d’arriver chez nous de manière rapide et forte. Si ce format est à ce stade le parfait contre-exemple de ce en quoi nous croyons, ce pour quoi nous nous battons, je pense qu’il est important de suivre et de comprendre ces tendances.
Le troisième défi, c’est l’inflation, la hausse des coûts de production à laquelle les acteurs français sont particulièrement confrontés – parce que ce sont des acteurs qui ont fait le choix du premium, ce dont il faut se féliciter. Mais il faut aussi le dire : le coût horaire de la fiction aidée a atteint un niveau record en 2024, et beaucoup de nos acteurs sont aujourd’hui, d’un point de vue financier, sur le fil du rasoir.
Si nous nous réjouissons de la montée en gamme de la fiction française, il n’est pas question que nous laissions l’écosystème que vous avez bâti, avec le CNC à vos côtés, être brutalisé par les défis technologiques et économiques que je viens de citer.
Face à ces différents enjeux, je suis convaincu que nous devons justement tenir la ligne qui a toujours été la nôtre, et qui n’a jamais autant porté ses fruits : celle de miser sur une création diversifiée et de qualité, qui s’adresse à tous les publics.
Et tenir la ligne, dans ce contexte de mutation pour toute la filière, cela suppose pour moi d’aménager les dispositifs du CNC, pour mieux accompagner la montée en gamme des productions françaises et prendre en compte l’évolution des usages.
Avec Amélie Leenhardt, Alice Delalande et leur équipe à la direction de l’audiovisuel du CNC, nous avons donc décidé d’adapter notre soutien aux séries à trois niveaux :
- Nous allons tout d’abord assouplir le bonus série actuel, afin qu’il prenne en compte les minutages variables qu’ont nos séries aujourd’hui, alors qu’elles se trouvent libérées de la contrainte des grilles du linéaire sous l’impulsion des plateformes ;
- Nous allons ensuite créer un nouveau bonus pour les séries premium de 20 à 35 minutes, pour qu’elles aient les mêmes moyens, pour qu’elles puissent prendre davantage de risques créatifs, faire émerger de nouveaux talents et ainsi « séduire » les jeunes adultes – sujet du Grand débat artistique de ce matin ;
- Enfin, nous allons étendre ces bonus afin qu’ils couvrent le minutage de deux à trois saisons en fonction du format d’origine de la série, pour continuer d’encourager la saisonnalité et l’installation de nouvelles propriétés intellectuelles.
L’objectif pour nous est clair : mieux soutenir la prise de risque pour explorer de nouveaux formats, créer de nouvelles propriétés intellectuelles fortes, s’adresser à tous les publics, et notamment aux publics les plus jeunes.
S’il n’y avait que ces défis extérieurs, je ne dis pas qu’on les relèverait aisément - en tout cas on s’y consacrerait avec une très grande détermination et une réelle sérénité, car notre modèle - qui a produit les succès magnifiques que l’on voit aujourd’hui - est notre meilleure carte pour préparer les réussites de demain y compris dans un contexte de grands bouleversements.
A la condition que notre modèle soit préservé, et notamment consolidé dans ses paramètres financiers. Or les risques aujourd’hui sont réels.
LaFA, a pris clairement position, dès sa création, pour défendre le modèle français et je l’en remercie sincèrement.
A cette occasion vous aviez notamment insisté, à juste titre, sur la préservation des ressources du CNC, et tout particulièrement sur le principe de l’affectation intégrale des taxes payées par les diffuseurs.
Je voudrais revenir en un mot sur ce sujet fondamental.
Vous le savez, l’année dernière, l’Etat a effectué un prélèvement exceptionnel de 500 M€ sur la trésorerie du CNC. Je dis « exceptionnel », car il correspondait pour l’essentiel à la somme que le CNC avait reçu du budget de l’Etat pendant la crise sanitaire : c’était une manifestation de la solidarité nationale à l’égard de notre filière. La ponction était donc une contrepartie normale du retour du CNC « à meilleure fortune ».
L’hypothèse d’un nouveau prélèvement a été envisagée ces dernières semaines, dans le cadre de la préparation du PLF 2026. Je l’ai évoquée avec les acteurs de la filière avant l’été, en toute transparence. Il apparaît que pour l’année 2025, une telle contribution du CNC au redressement des finances publiques – qui serait un acte de solidarité fort dans le contexte actuel – pourrait être financée sans aucune dégradation de notre sécurité financière, ni de nos capacités opérationnelles à soutenir le développement de la filière. Mais le caractère indolore de cette nouvelle ponction tiendra à des facteurs purement conjoncturels, à un surcroît temporaire de certaines de nos ressources. C’est pourquoi je veux rappeler, très solennellement, que ce type d’opération ne pourra pas se reproduire une année de plus, ni excéder ce montant de 50M€ qui a fait l’objet d’échanges approfondis. Pour le dire autrement, ce type de ponction ne peut pas devenir un plafonnement qui ne dit pas son nom. Si c’était le cas, c’est toute la philosophie de notre modèle, sa légitimité vis-à-vis de ceux qui le financent, et son efficacité pour tous ceux qui en bénéficient, qui seraient compromises.
Nous ne sommes pas sourds à ce qui se passe en ce moment dans le pays. Nous savons que c’est un moment d’interrogation générale. Dans ce moment, où il y a tant à faire, faisons simplement attention : n’abîmons pas ce qui marche. N’abîmons pas notre modèle, car les œuvres qu’il permet de faire exister contribuent puissamment à sortir de l’enfermement et des logiques d’affrontement où tout nous entraîne par ailleurs. Ces œuvres, vos œuvres, au contraire ouvrent des horizons, permettent à chacun de se construire dans un rapport aux autres et au monde plus complexe, plus riche, plus profond.
Dans un monde où nous sommes le fruit des images que nous regardons, il faut s’inquiéter - grandement - du rapport aux écrans, mais il faut, pour cette raison même, réaffirmer la valeur distinctive et éminemment positive des œuvres et notamment de la fiction.
L’un des grands chantiers des prochaines semaines et des prochains mois doit être de travailler à rebâtir ce consensus national autour de notre modèle de création audiovisuelle, de faire comprendre son caractère particulièrement efficace et absolument vertueux, de resituer aussi sa place dans les grands questionnements que traverse notre pays à propos de son avenir.
La création de LaFa, ce front commun de l’audiovisuel français, annoncée ici-même il y a un an, est une initiative puissante dans cette direction. C’était une excellente nouvelle parce que l’enjeu aujourd’hui est donc aussi de peser dans le débat public et cela, nous ne pouvons le faire que tous ensemble ; l’enjeu est notamment de faire comprendre que ces très beaux résultats de la fiction française ne tombent pas du ciel, qu’ils sont le fruit d’un modèle de politique publique que la France défend de longue date, aux côtés des créateurs, des producteurs et des diffuseurs. L’enjeu est donc aussi de faire comprendre qu’on ne peut se préoccuper du délitement de ce qui nous rassemble, et ne pas voir que ce chantier démocratique passe aussi par les horizons que nous ouvrent les œuvres de fiction, et donc le modèle qui permet à ces œuvres d’exister.
Pour tout cela, je veux en particulier saluer le travail des diffuseurs dans ce contexte très incertain. Les groupes audiovisuels français que vous représentez ne se contentent pas d’investir avec succès dans leurs propres plateformes, mais développent aussi des stratégies innovantes – hyper-distribution pour Arte, accords avec des plateformes pour TF1 et France TV. Je parlais à l’instant de l’audace des créateurs et producteurs français, nos diffuseurs n’en manquent pas non plus, et il faut s’en féliciter.
Ces stratégies inédites dessinent un tout nouveau paysage, dont vous allez discuter pendant ce Grand Débat. Pour conclure ce propos, je voudrais seulement ajouter deux remarques sur le sujet qui va être plus précisément discuté.
La première : ce n’est pas un hasard si la France est le pays qui a vu le premier accord de distribution entre Netflix et un diffuseur historique, TF1 en l’occurrence, rapidement suivi par un second entre France Télévisions et Amazon Prime Video.
Non seulement notre réglementation a rendu possibles ces nouvelles alliances, mais elle a même joué un rôle incitatif en créant un intérêt réciproque entre les diffuseurs historiques et les nouveaux entrants ; en intéressant les plateformes à la création française dont les chaînes sont les partenaires de toujours, grâce aux obligations d’investissement ; en favorisant, en un mot, la création d’un écosystème commun dans lequel chacun trouve son compte. Et je veux saluer particulièrement ici, en présence de son président, le plein engagement de l’ARCOM sur ces enjeux, et l’important travail que nous faisons ensemble à leur sujet.
Aujourd’hui, pour les plateformes, ces alliances répondent à une stratégie d’agrégation qui offrent une destination unique pour leurs abonnés ; côté diffuseurs historiques, cette stratégie de distribution permet de renforcer la visibilité de leurs programmes et de conquérir de nouveaux publics – sans renoncer pour autant à les attirer sur leurs propres services.
C’est donc en effet un grand “chamboulement”, avec des opportunités pour les diffuseurs, pour les créateurs et pour les téléspectateurs.
Avec aussi des risques qu’il faut regarder en face – et ce sera ma seconde remarque.
Un des premiers enjeux auquel nous serons très attentifs au CNC – mais je sais que cette préoccupation est très largement partagée ici – est que ces nouvelles alliances ne remettent pas en question les schémas de production s’appuyant sur des financements mixtes entre diffuseurs et plateformes. Ces schémas ont permis à la création française de gagner encore en ambition et en visibilité à l’international.
Il faudra aussi, dans un contexte d’hyper-distribution et de “chamboulement”, veiller au partage de la valeur, et bien sûr – c’est la raison d’être même du CNC – mais cela va mieux en le disant, car c’est loin d’être une évidence dans le monde où nous vivons, préserver la production indépendante et la diversité des œuvres.
Sur tous ces enjeux, vous trouverez le CNC à vos côtés, sur un mode très défensif pour préserver ce qui marche, et très offensif pour aller chercher toutes les opportunités qui pourraient se présenter dans l’intérêt de la création française.
Je m’arrête là pour écouter ce Grand Débat qui va attaquer le sujet de front, et s’annonce tout à fait passionnant.
Merci pour votre attention.