Discours de Gaëtan Bruel prononcé à l'occasion de la présentation de l'Observatoire de l’égalité Femmes-Hommes

Discours de Gaëtan Bruel prononcé à l'occasion de la présentation de l'Observatoire de l’égalité Femmes-Hommes

26 novembre 2025
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Discours de Gaëtan Bruel, président du CNC, prononcé en ouverture de la présentation de l'Observatoire de l’égalité femmes-hommes, le 26 novembre 2025
Discours de Gaëtan Bruel, président du CNC, prononcé en ouverture de la présentation de L’Observatoire de l’égalité Femmes – Hommes, le 26 novembre 2025.

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Avec l’équipe du CNC, je suis heureux de vous accueillir ce matin pour la présentation des résultats de l’Observatoire de l’égalité femmes-hommes 2024.

C’est un rendez-vous que je sais très attendu. C’est l’occasion de regarder la réalité en face, chiffres à l’appui, pour mesurer le chemin déjà parcouru, mais aussi celui qu’il nous reste à accomplir pour que nos secteurs soient réellement exemplaires.

Parce que la parité dans le cinéma et l’audiovisuel n’est pas, pour le CNC, un petit enjeu. C’est un principe majeur, un principe fondamental.

La parité, c’est d’abord un impératif social : la promesse d’égalité n’a de sens que si elle conduit à une véritable égalité dans les faits, dans les récits, dans les équipes, sur les plateaux.

Mais l’enjeu dépasse la seule justice sociale : je suis convaincu qu’il est profondément artistique. Un cinéma qui n’accorde pas pleinement leur place aux femmes est un cinéma qui se prive de la moitié de son regard, un cinéma qui avance avec un œil fermé. On voit, mais on ne voit pas tout, on ne voit qu'une portion du monde, amputée de toutes les expériences, sensibilités et imaginaires que les femmes – dans leur infinie diversité de regards - portent.

Et le public – et tout particulièrement la nouvelle génération, ne demande qu’à élargir la focale. Il en veut plus : plus de diversité, plus de points de vue, plus de voix différentes pour raconter la complexité du réel.

Il suffit de voir les succès remportés au cours de la dernière année par toute une nouvelle génération de réalisatrices, qui cumulent succès public et critique. C’est flagrant pour les premiers films au cinéma.

Le film Vingt Dieux de Louise Courvoisier, a tutoyé le million d’entrées ; Partir un jour, d’Amélie Bonnin, qui a ouvert le Festival de Cannes, a séduit plus de 650 000 spectateurs ; On ira, d’Enya Baroux, a dépassé les 500 000 ; La Petite Dernière, d’Hafsia Herzi, a dépassé les 300 000, pour ne prendre que quelques exemples.

La réalité, c’est que cette année, qui est par ailleurs décevante du point de vue de la fréquentation, les réalisatrices – et notamment les jeunes réalisatrices – ont signé parmi les plus beaux succès au cinéma, avec des films singuliers et puissants qui ont trouvé leur public, parfois massivement.

Et puis il y a aussi l’histoire récente : n’oublions pas que les deux dernières Palmes d’or françaises ont été remportées par des femmes. Valérie Donzelli a également obtenu cette année le prix du meilleur scénario à la Mostra de Venise.

En audiovisuel aussi, les femmes investissent tous les champs avec talent, qu’il s’agisse d’Anne Poiret donnant un nom aux Fantômes de l’Ukraine pour France télévisions, de Jessica Palud offrant une relecture moderne et impertinente du classique Merteuil pour HBO, ou d’Amélie Harrault faisant revivre en animation les grandes figures de L’Armée des Romantiques pour Arte.

Les femmes ont donc très largement – et depuis longtemps – prouvé toute leur valeur, dans le cinéma, comme dans l’audiovisuel.

Pourtant, la photographie 2024 que Cécile Lacoue va vous présenter dans un instant est très contrastée.

D’un côté, on observe une féminisation indéniable de nos métiers, qu’il s’agisse du cinéma et de l’audiovisuel, et même une très nette progression dans certains secteurs, comme l’animation.

Mais derrière ces progrès structurels, des signaux clignotent en rouge. Le plus inquiétant est sans doute celui de la part d’œuvres strictement réalisées par des femmes dans le cinéma, qui est retombée à 24%, soit le plus bas niveau depuis 2019.

Il est inquiétant pour toutes les raisons dont je parlais à l’instant.

Mais il est inquiétant aussi parce que nous savons bien que quand une femme réalise, la parité progresse partout : sur les équipes, sur les postes clés, sur les conditions de travail. C’est l’un des nerfs de la guerre. Les chiffres le montrent à nouveau cette année.

À l’inverse, l’audiovisuel montre que les choses peuvent bouger très vite quand un écosystème joue vraiment le jeu : le nombre de femmes réalisatrices dans l’audiovisuel a atteint un niveau record. Quand la volonté est là, les résultats suivent.

Et sur ce point, on doit saluer l’exemplarité des diffuseurs publics.

Car ces bons résultats dans l’audiovisuel doivent beaucoup à l’engagement clair et constant des chaînes, en particulier France Télévisions et Arte, qui ont fixé des objectifs internes ambitieux. L'exemplarité de l’audiovisuel public, c’est aussi cela.

Et pour le cinéma, je veux souligner que l’État joue également pleinement son rôle en soutenant fortement les réalisatrices.

Le poids des aides publiques pour les films réalisés par les femmes est ainsi de 12%, contre 7,5% pour les films réalisés par les hommes.

Et le CNC a instauré en 2019 un bonus parité qui a eu un effet incitatif important pour le cinéma, en récompensant les films dont les équipes étaient paritaires.

L’État joue donc pleinement son rôle, mais je veux le dire très simplement devant vous : sa vocation n’est pas de se substituer durablement à un mouvement qui doit venir de la filière elle-même.

Ces constats, nous les faisions déjà l’année dernière. Cette année, ils s’amplifient. Il est donc temps de renouveler nos outils, qui manifestement s’essoufflent. Le bonus parité créé en 2019 a fait bouger les lignes, mais aujourd’hui les chiffres stagnent et montrent bien que ce dispositif a atteint un plafond, à un niveau qui n’est pas satisfaisant.

En mai, au Festival de Cannes, la Ministre de la Culture a annoncé son souhait de mettre en place un malus pour les œuvres cinématographiques qui n’intègrent pas un minimum de parité dans les postes clés.

Autrement dit : la parité n’a pas de prix, mais son absence aura désormais un coût. C’est un changement de paradigme et un message adressé à toute la filière : nous ne nous contenterons plus de bonnes intentions. Le mouvement doit être réel et mesurable – c’est le rôle de cet Observatoire.

Ce malus sera bien sûr calibré, proportionné, concerté, mais conformément à la volonté de la Ministre, il sera mis en place, et il le sera rapidement. La concertation a commencé. Notre objectif est d’arrêter les contours de la mesure d’ici à la prochaine édition du festival de Cannes, afin que le malus soit effectif au 1er janvier 2027.

Je tiens à le rappeler ici : la France n’est pas isolée dans ce soutien à la féminisation de la filière. On constate des démarches similaires en Europe.

Je remercie d’ailleurs chaleureusement nos deux invitées de ce matin – Mesdames Iris Zappe-Heller et Daphné Tepper – qui nous partageront un état des lieux statistique et des exemples de politiques publiques ambitieuses à l’échelle européenne.

Je voudrais enfin rappeler que l’action du CNC en faveur de l’égalité femmes-hommes dans les métiers du cinéma ne s’arrête pas à ce malus : c’est un travail de fond, mené depuis des années, à tous les niveaux où nous avons la possibilité d’intervenir.

Nous agissons d’abord là où tout commence, c’est-à-dire auprès du jeune public. Hier, la ministre de la Culture et le ministre de l’Éducation nationale ont annoncé que nos dispositifs d’éducation au cinéma et à l’image allaient être considérablement renforcés, avec l’ambition de toucher tous les élèves de notre pays. C’est un tournant décisif et je veux rappeler que ces dispositifs intègrent depuis longtemps déjà une sensibilisation forte à la parité.

Le programme Ma classe au cinéma, qui touchait jusqu’à présent deux millions d’élèves, permet au public scolaire, de la Maternelle au lycée, de découvrir chaque année trois films en salle et nous avons veillé à y intégrer davantage d’œuvres réalisées par des femmes. Et l’engagement est tangible : chaque année, ces films représentent la moitié de ceux qui entrent dans le catalogue proposé aux enseignants.

Au-delà des films, nous travaillons aussi sur la manière dont ils sont abordés en classe. Aujourd’hui, la quasi-totalité des dossiers pédagogiques que nous mettons à disposition des enseignants interrogent la représentation des femmes à l’écran, les stéréotypes, la place des personnages féminins dans le récit.

Et je voudrais insister sur un dispositif qui illustre parfaitement ce que signifie, très concrètement, ouvrir le champ des possibles : Les Enfants des Lumière(s). Ce programme, que nous menons en Île-de-France, propose aux élèves de l’éducation prioritaire des ateliers d’écriture, de tournage et de montage encadrés par des professionnels. C’est une expérience fondatrice pour ces jeunes, qui découvrent le cinéma autrement que comme spectateurs.

Et là, la question des modèles devient cruciale, car une vocation ne naît jamais par hasard. On ne se réveille pas un matin en décidant qu’on sera réalisatrice, cheffe opératrice ou monteuse si l’on n’a jamais vu de femmes exercer ces métiers, à l’écran ou derrière la caméra. Les vocations naissent d’une rencontre, d’un modèle auquel on peut s’identifier. C’est pourquoi nous portons une attention particulière à la constitution des équipes encadrantes des Enfants des lumière(s) : en 2024, la parité y a été dépassée, y compris sur les postes techniques et sur la réalisation. Je me réjouis à cet égard que ce dispositif soit bientôt généralisé à l’ensemble de la France, comme les ministres l’ont annoncé hier.

Nous agissons ensuite au niveau de la formation : les écoles que nous soutenons, qu’il s’agisse de cinéma, d’audiovisuel ou d’animation, mènent toutes des politiques volontaristes pour attirer davantage de jeunes femmes, les accompagner dans les filières techniques, et s’appuyer sur des réseaux engagés comme Women in Games, 50/50 ou Infogameuses. La féminisation y progresse partout, et parfois spectaculairement.

Nous agissons, enfin, au niveau de la création et de la production. Et nous le faisons en veillant à la parité des regards portés sur les œuvres qui sollicitent l’aide du CNC. C’est pourquoi, depuis 2017, toutes les commissions du CNC sont strictement paritaires. Et pour certaines d’entre elles, qui jouent un rôle particulier pour le renouvellement des talents, comme les commissions d’avance sur recettes, nous avons mis en place des présidences mixtes.

Enfin, nous agissons au niveau de la diffusion : comme les commissions du CNC, tous les jurys des festivals aidés par le CNC doivent être paritaires.

Tout cela forme une politique cohérente et structurante. Une politique qui prend le problème à la racine et s’adresse à toute la filière.

Avant de laisser la parole à Cécile Lacoue, je veux conclure en rappelant une évidence simple : derrière les chiffres que nous allons présenter aujourd’hui, derrière les pourcentages, il y a des étudiantes, des professionnelles, des techniciennes, des cheffes de poste, des réalisatrices qui travaillent tout autant que leurs homologues masculins – et parfois plus – pour valoir autant – et souvent moins.

À elles, et à toutes les étudiantes qui sont en ce moment même dans nos écoles et qui rêvent elles aussi de contribuer à fabriquer des films, de raconter des histoires, de diriger des équipes sur des plateaux, je veux dire que nous ne lâcherons rien.

Et je crois que c’est d’autant plus important à un moment où notre modèle peut être questionné. Ces questions sont légitimes. C’est l’occasion de rappeler qu’on peut toujours l’améliorer, mais que les fondamentaux sont excellents : c’est un modèle vertueux, car il ne coûte rien aux contribuables français ; c’est un modèle efficace, car il permet à la France d’être le 3ème box office mondial après la Chine et les Etats-Unis, alors que nous sommes le 23ème pays par notre population population, efficace aussi quand on voit la part de marché du cinéma français en France 44% (ce qui veut dire que les français plébiscitent leur propre cinéma), ou quand on voit encore qu’aux Oscar, sur 86 films concourant dans la catégorie du meilleur film étranger, 30 ont été coproduits par la France, 20 soutenus par le CNC (dont le candidat de la France, le superbe film de Jafar Panahi). Mais si nous voulons faire passer ces messages, dans un moment d’interrogation générale, il ne faut pas laisser des sujets où nous serions moins exemplaires donner du grain à moudre à nos critiques, ou même tout simplement à nos publics, qui attendent cette exemplarité.

Je veux saluer ici toutes les associations qui se mobilisent, qui nous alertent et qui nous aident à bouger les lignes – beaucoup sont représentées aujourd’hui. Je remercie également les partenaires sociaux qui se sont pleinement emparés de cet enjeu qui nous concerne toutes et tous. Merci pour votre engagement.

Je laisse maintenant la parole à Cécile Lacoue pour la présentation détaillée des résultats de l’Observatoire.