« Chair tendre », une série sur « la construction de l’identité »

« Chair tendre », une série sur « la construction de l’identité »

08 octobre 2022
Séries et TV
« Chair tendre » est disponible sur France.tv Slash.
« Chair tendre » est disponible sur France.tv Slash. Jerico TV

Avec comme point de départ une condition biologique méconnue, la série Chair tendre raconte les douleurs de l’adolescence. Rencontre avec Yaël Langmann et Jérémy Mainguy, les créateurs et réalisateurs de cette chronique sociale lycéenne, meilleure série de la compétition française à Séries Mania 2022, disponible sur la plateforme Slash de France TV.


Chair tendre s’intéresse à l’histoire d’une adolescente intersexe à travers le personnage de Sasha. C’est quoi exactement l’intersexuation ?

Yaël Langmann : C’est quelqu’un qui est né dans un corps qui ne correspond pas tout à fait aux caractéristiques médicales du masculin ou du féminin. C’est quelqu’un qui est né avec des attributs qui appartiennent aux deux sexes. C’est quelque chose de biologique. Une sorte de variation naturelle du vivant. Ça n’a rien à voir avec l’identité. On n’est pas dans le transgenre. Ce qui se passe en général, c’est que les médecins décident, le plus souvent, de réparer ces variations, à travers des opérations assez lourdes et douloureuses, et les personnes découvrent assez tard, vers l’adolescence, ce qu’il s’est passé. Nous, on n’hésite pas à parler de mutilation chirurgicale. À partir du moment où les médecins décident quel sexe attribuer à un enfant, cela interfère avec tout le mécanisme hormonal, entraînant des maladies et des souffrances à rebours.

Comment avez-vous eu l’idée de raconter l’intersexuation dans une série ?

Yaël Langmann : Lorsque j’avais une vingtaine d’années, j’ai fait la rencontre de quelqu’un qui avait appris, à l’âge de 17 ans, qu’il avait ainsi été opéré étant petit. Un peu comme l’héroïne de la série. Cette personne s’est retrouvée tout à coup dans un gouffre identitaire terrible, en réalisant que la société n’avait pas du tout pensé d’espace pour elle, pour ces gens qui ne sont pas formatés dans les cases fille ou garçon.

Rendre visible une partie de la société qui reste invisible

Chair tendre cherche ainsi à faire passer un message ?

Jérémy Mainguy : Le corps médical a tendance à considérer l’intersexuation comme une anomalie. Nous, ce qu’on veut exprimer à travers cette série, c’est que ce n’en est pas une. C’est une variation. Ce n’est pas parce qu’on est entre deux cases qu’il n’y a pas quelque chose de naturel là-dedans. Dans le même temps, l’objectif était aussi de rendre visible une partie de la société qui reste invisible. Parce qu’avec l’intersexuation vient une grande solitude. Beaucoup d’intersexes ont le sentiment d’être seuls au monde. On trouvait impensable que tant de gens ne sachent pas du tout que ça existe, alors que ça touche quand même 1,7 % de la population en France.

Derrière la situation médicale, vous racontez également une quête d’identité...

Yaël Langmann : Tout à fait. Avant toute chose, Sasha est une adolescente. Elle n’est pas étrangère à ces problèmes de puberté que tous les ados de son âge connaissent. On avait, du coup, envie de parler de la construction de l’identité, qui transite beaucoup, à cet âge, par le désir. Est-ce que je me définis à travers ma sexualité ? Toute l’histoire part de là. On n’avait pas pour idée de faire une série médicale ou documentaire. Il faut voir Sasha comme une métaphore de la construction identitaire à l’adolescence, qui peut vite être un vertige de solitude. Parce qu’on a tous ce besoin d’appartenance et en même temps, on pense tous être le monstre de l’autre... En réalité, cette série est une grande histoire de réconciliation. Sasha est notre point central, mais on a toute une bande de jeunes autour d’elle. Ils ont chacun leurs problématiques, qui sont très différentes de celles de Sasha, mais qui sont les mêmes au fond : ils veulent tous être acceptés, êtres « normaux ». Cette série parle beaucoup de la norme et du besoin de s’en émanciper.

Quand on l’a rencontrée, Angèle était en train de faire son mémoire de philo sur la métamorphose des sexes !

Jérémy, vous aviez écrit et réalisé certains épisodes des Bracelets rouges, pour TF1. Qu’est-ce qui vous attire dans ce genre d’histoire ?

Jérémy Mainguy : Ce sont des enfants qui sont souvent vus à travers leur « anormalité », pour le dire grossièrement. Ils sont vus à travers leurs problèmes médicaux. Et justement, ce qui m’intéresse, c’est de montrer que chacun peut être différent, sur un plan humain, sans forcément prendre en compte le médical. Comment trouver sa voie dans la société et ses cases trop étroites ?

 

Comment avez-vous dirigé Angèle Metzger, qui joue Sasha dans Chair tendre ?

Yaël Langmann : On a beaucoup échangé en amont, en incluant les militants du Collectif Intersexe, qui nous ont apporté leur regard, tout en pointant du doigt certaines maladresses... On a essayé de construire un personnage qui ne soit pas caricatural, qui tâtonne, sans jamais chercher à donner une réponse définitive. Angèle est très intelligente, elle était déjà un peu sensibilisée à ces sujets. Quand on l’a rencontrée, elle était en train de faire son mémoire de philo sur la métamorphose des sexes ! Elle s’interrogeait déjà sur ces questions. Et puis on ne lui a pas demandé de se transformer. On ne lui a pas demandé une performance. On lui a demandé d’imaginer avoir été élevée en tant que garçon... Angèle a su se poser les bonnes questions, sans trop intellectualiser le sujet. Elle s’est prise d’empathie pour le personnage, tout simplement.

Est-ce qu’aujourd’hui il n’y a que Slash, en France, qui puisse diffuser une série comme Chair tendre ?

Yaël Langmann : Quand j’ai commencé à « pitcher » la série, il y a quelques années maintenant, j’ai eu des retours assez violents. Les gens pensaient que ça n’existait pas. D’autres m’ont carrément dit que mon sujet était « dégueulasse » ! Une forme de rejet assez cinglante... C’est un thème qui parle des viscères, d’un endroit intime et du coup, ça angoisse. La rencontre avec Slash a été salvatrice, parce qu’ils ont tout de suite compris que l’idée était de faire une série sur des personnages. Une série forcément un peu militante à la base, mais pas politique au bout du compte. Alors aujourd’hui, pour faire Chair tendre comme nous avions envie de le faire, il n’y avait effectivement que Slash en France.

Chair tendre - 10 épisodes de 25 minutes

Création : Yaël Langmann
Scénario : Yaël Langmann
Réalisation : Yaël Langmann et Jérémy Mainguya
Avec Angèle Metzger, Saul Benchetrit, Paola Locatelli...
Musique : Adrien Durand
Production : Jerico TV, Big Band story, Famela

Disponible sur France TV Slash

Soutien du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (FSA)