Transformer une commande en œuvre personnelle
À l’origine, il y a quatre ans, une proposition de Netflix : concevoir une série à suspense inspirée du genre balisé de la saga estivale. Mais pour le scénariste, ce point de départ s’est vite transformé en terrain de jeu narratif.
« Les équipes de Netflix voulaient une série à rebondissements, structurée autour de cliffhangers, qui emprunterait aux codes de la saga de l’été. Les producteurs Pierre Laugier et Anthony Lancret m’ont fait l’amitié de venir me voir en me demandant si j’avais envie de travailler sur ce type de projet. J’ai pris le temps de réfléchir car ce n’était pas forcément ce que je convoitais en tant que scénariste. Mais j’ai vite compris que je pouvais y injecter un autre genre que j’adore, le murder mystery, que j’aime à travers les romans d’Agatha Christie, ou des films américains comme Scream. Cela m’a toujours plu en tant que spectateur et je rêvais d’en faire un. De plus, développer l’univers d’une famille me permettait de faire quelque chose d’à la fois très personnel et universel. Combiner les deux genres me semblait amusant. Alors j’y suis allé sans idée préconçue. Et puis, petit à petit, j’ai commencé à trouver un concept, des personnages… Nous parlons tout de même de trois ans de développement. Une durée assez longue mais nécessaire pour aligner ma vision créative et les exigences de Netflix. Ce temps m’a permis de transformer une sorte de commande en quelque chose de personnel. »
De la saga au thriller psychologique
La série reprend certains motifs classiques – secrets de famille, grande propriété, tension autour d’un héritage – mais s’en éloigne rapidement pour plonger dans un thriller contemporain.
« Ce qui reste de la saga d’été, ce sont les marqueurs du genre : la famille, les secrets, les mensonges, la grande propriété… Mais dans Soleil noir, nous nous en servons surtout comme point de départ. Très vite, nous nous éloignons de la romance ou du mélodrame pour aller vers quelque chose de plus sombre, plus nerveux : un thriller centré sur une héroïne, une enquête, des manipulations. Nous ne jouons pas tellement la carte de la saga sentimentale.
Le domaine en lui-même est un personnage : cette exploitation floricole, avec ses roses magnifiques, incarne un univers à double face. D’un côté, il est lumineux, solaire, presque poétique. Et de l’autre, il est le théâtre d’événements très durs, très sombres. Ce contraste m’intéressait beaucoup. Il permet d’installer une atmosphère particulière, où le cadre idyllique devient menaçant, et où le beau masque le trouble. Finalement, c’est une saga d’été en apparence, mais un thriller dans le moteur narratif. »
Cliffhangers et crédibilité : l’art du dosage
Suspense, retournements, surprises : écrire une série à rebondissements impose de savoir captiver sans tomber dans la caricature. Pour le scénariste, tout repose sur la cohérence psychologique des personnages.
« Le principal piège, quand nous travaillons dans ce registre, c’est de trop en faire. Il faut des retournements de situation, bien sûr, mais il faut surtout que ces rebondissements soient judicieux, qu’ils fonctionnent par rapport aux personnages. Nous devons éviter la surenchère. Je m’étais fixé une règle : ne jamais basculer dans la parodie. Je voulais assumer un certain romanesque, une intensité forte, mais que tout reste ancré émotionnellement. Les situations peuvent être extrêmes, voire spectaculaires, mais il faut que les personnages les traversent avec justesse. Comme une thérapie de choc ! Nous poussons le curseur de la fiction, mais sans trahir les logiques internes.
Le spectateur peut accepter beaucoup de choses, tant que la réaction des personnages est vraisemblable. C’est cette tension entre spectaculaire et crédible qui m’a guidé. Il faut aussi savoir surprendre sans trahir la logique. Chaque twist doit avoir une fonction, une nécessité dramatique, et surtout, s’inscrire dans le parcours émotionnel des protagonistes. Ce qui m’a aidé, c’est de construire des personnages très précis, qui existent par eux-mêmes. Une fois cette solidité acquise, nous pouvons faire passer pas mal d’audace narrative. »
Des personnages identifiables mais complexes
Sur une plateforme comme Netflix, l’enjeu est de capter l’attention très vite. Cela suppose de créer des figures fortes, incarnées, immédiatement compréhensibles – tout en les faisant évoluer.
« L’écriture pour une plateforme impose un rythme spécifique. Nous savons que les spectateurs jugent très vite, souvent sur le pilote ou les deux premiers épisodes. Il faut donc poser des personnages forts dès le départ. Netflix ne privilégiait pas forcément le récit choral, comme dans beaucoup de sagas de l’été : ce qu’ils recherchaient avant tout, c’était un protagoniste clair, lisible, à travers lequel nous vivons l’histoire. Ce personnage, c’est Alba, une héroïne socialement à la marge, à la fois très puissante et très fragile, capable de courage mais aussi de défaillances. Il fallait qu’elle intrigue, qu’elle dérange parfois. Bref, qu’elle soit humaine dans toutes ses contradictions.
Une fois ce centre posé, nous avons construit les autres personnages autour d’elle : des figures familières – l’allié, l’ennemi, le suspect – que nous avons ensuite bousculées, enrichies. J’aime beaucoup partir d’archétypes pour les détourner, les fissurer. L’enjeu, c’était que chaque personnage existe, que nous puissions le comprendre, même sans l’approuver. Cela permet au spectateur de rester accroché, car les comportements ne sont jamais gratuits. Et surtout, cela rend chaque retournement plus fort, car nous connaissons la logique intime de chacun. »
Prendre le temps de l’écriture
Concevoir une intrigue solide et cohérente demande du temps. Nils-Antoine Sambuc insiste sur l’importance du processus, parfois long, pour faire émerger les vrais enjeux.
« L’écriture de la trame générale a été un véritable parcours. J’avais le point de départ : une personne accusée de meurtre, qui découvre que la victime était en fait son père à l’ouverture du testament. Une sorte de coup du sort qui peut à la fois sauver sa vie ou la détruire. Mais dérouler cette histoire et trouver la bonne formule nous a pris du temps. Il y avait même des versions qui allaient encore plus loin ! Il y a eu une première année avec mes formidables co-auteurs pour explorer l’histoire. Puis, un deuxième atelier d’écriture, avec une nouvelle équipe car les premiers scénaristes n’étaient plus disponibles, pour affiner la structure.
Le plus difficile, ce n’est pas d’ajouter des péripéties, mais de faire émerger des thèmes. Que racontons-nous vraiment ? À l’intérieur de leurs exigences formelles (capter et garder l’attention du spectateur, aller loin dans le genre…), Netflix nous a laissé une grande liberté, ce qui est très rafraîchissant… Mais charge à nous de trouver la bonne direction au projet, ce qui a pris du temps. C’est un processus frustrant parfois, mais absolument nécessaire. Il s’agit de faire émerger des thèmes, pas seulement des péripéties. Quand les thématiques résonnent dans tous les personnages, alors nous savons que nous tenons la bonne piste. »
Soleil noir

Série en six épisodes
Créée par Nils-Antoine Sambuc
Réalisée par Marie Jardillier et Edouard Salier
Produite par Itinéraires Productions et Next Episode
Diffusée sur Netflix depuis le 9 juillet 2025
La série a bénéficié du Fonds de soutien audiovisuel (FSA) du CNC