« Des vivants », une œuvre pour se souvenir

« Des vivants », une œuvre pour se souvenir

22 octobre 2025
Séries et TV
« Des vivants »
« Des vivants » créée par Jean-Xavier de Lestrade et Antoine Lacomblez France.tv

Dix ans après les attentats du 13 novembre, Des vivants raconte la reconstruction et la force du lien entre sept rescapés du Bataclan. Une série pudique qui revisite la mémoire collective en filmant la douleur et la fraternité avec délicatesse. Le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade et le producteur Matthieu Belghiti racontent la responsabilité d’une fiction rejouant une tragédie nationale, et un tournage pas tout à fait comme les autres.


Les attentats du 13 novembre 2015 ont fait 130 morts et 413 blessés, aux abords du Stade de France, dans les cafés La Belle Équipe, Le Carillon et Bonne Bière, dans les restaurants Le Petit Cambodge et Casa Nostra, et dans la salle du Bataclan, où 90 spectateurs ont été assassinés par trois terroristes de l’organisation État islamique. Des vivants ne montre pas vraiment les attaques mais raconte l’après, à travers le portrait de sept survivants du concert des Eagles of Death Metal, qui faisaient partie des onze spectateurs pris en otage par les assaillants dans un couloir de service de la salle de spectacle. Sept rescapés qui se sont retrouvés par la suite pour former un groupe de soutien improvisé. Les « potages », comme ils s’appellent (des otages devenus des potes), ont raconté leur histoire à Jean-Xavier de Lestrade (Sambre, 2023), qui en a tiré une fiction sincère et sans fard, auscultant le syndrome post-traumatique.

Comme le dixième anniversaire approchait, j’ai compris que c’était le moment. Comme une urgence.
Jean-Xavier de Lestrade
Réalisateur

L’idée de leur consacrer une série est d’abord née d’une rencontre : celle de Nicolas Mauvernay et Jérôme Corcos, deux producteurs de cinéma, avec le groupe de survivants. Ce sont eux qui, bouleversés par ce qu’ils entendaient, ont proposé à Jean-Xavier de Lestrade et Matthieu Belghiti d’initier le projet via leur société de production What’s Up Films. « J’avoue que je n’avais pas très envie, au départ », raconte le réalisateur. « Je sortais de Sambre, un récit déjà très lourd. Repartir sur quelque chose d’aussi brutal, avec cette chape collective au-dessus de nous, ce n’était pas évident. » Jean-Xavier de Lestrade évoque même avoir eu le sentiment de se retrouver face à une montagne : « Je ne me sentais pas de faire cette série. Mais comme le dixième anniversaire approchait, j’ai compris que c’était le moment. Comme une urgence. Il fallait faire quelque chose à présenter à un public large. » Son producteur, Matthieu Belghiti, a aussi été quelque peu hésitant : « Comme tout le monde, j’ai eu un petit moment de recul au départ. Je ne savais pas si c’était une bonne idée. Mais je connais Jean-Xavier, c’est quelqu’un de très réfléchi. Nous avons vite compris que raconter l’après, cette histoire d’amitié entre rescapés, c’était probablement le bon angle pour parler des attentats. Parler frontalement de l’attaque aurait été trop brutal. » Le projet se dessine alors autour du lien, du collectif, de cette « survivance fraternelle » qui unit les « potages ». Une histoire d’humains avant tout, portée par une empathie profonde.

 

Le temps, justement, a été un allié essentiel. Dix ans se sont écoulés entre la tragédie et la série, et cette distance a permis une approche plus juste. « C’est le genre de projet qui mérite du recul et du temps, souligne Matthieu Belghiti. Parce qu’il y a une grande responsabilité liée à une série comme Des vivants. Nous racontons un traumatisme collectif, tout ce que nous avons traversé ensemble, et bien sûr ces familles qui ont perdu des enfants, des frères, des sœurs, des proches. » Jean-Xavier de Lestrade ajoute : « Dix ans, c’est le bon moment. Il y a eu le temps du deuil, du recueillement, de la justice. Maintenant, nous arrivons sur le temps du souvenir. Il ne faut pas oublier. Et là-dessus, la fiction a un rôle essentiel à jouer : elle crée des souvenirs presque romanesques autour d’une tragédie nationale. Je crois que si la fiction arrive trop tôt, ce n’est pas supportable pour les victimes et leurs proches de mettre en scène leur douleur. Mais aujourd’hui, après dix ans, arrive le moment où ça devient quelque chose de nécessaire. Il faut le faire.»

Rien n’a été fait à la légère. Le travail en amont a été long, scrupuleux, quasi documentaire. « Nicolas Mauvernay et Jérôme Corcos ont mis un an, presque deux, à convaincre les survivants. Ils ont pris le temps de dîner régulièrement avec eux, et de leur expliquer qu’il fallait qu’ils soient tous d’accord. Si un seul disait non, alors la série ne se ferait pas. C’est un travail préparatoire que nous connaissons bien chez What’s Up Films, parce que nous produisons beaucoup de documentaires. Ça a été d’ailleurs une approche un peu similaire sur Des vivants », raconte Matthieu Belghiti qui a pris soin de ne pas rencontrer les vrais « potages » avant que les scripts ne soient écrits. « C’était important que l’un d’entre nous garde une forme de distance, pour ne réagir que sur la fiction. D’ailleurs, quand je les ai rencontrés pour la première fois, j’avais l’impression de très bien les connaître. »

Montrer des morts, c’était hors de question.
Matthieu Belghiti
Producteur

Jean-Xavier de Lestrade et son coscénariste, Antoine Lacomblez, ont écrit la série en partant de leurs échanges avec les survivants : « Nous les avons beaucoup vus. Plusieurs fois. Des séances de cinq ou six heures avec chacun d’entre eux. Et nous avons écrit les scripts à partir de leurs témoignages. Tout ce qui est écrit vient de leur récit. Il ne fallait pas bricoler une dramaturgie artificielle. La vie, déjà, invente des choses folles. » Cette fidélité au réel irrigue tout le projet, même si la retenue a été le maître-mot. « Nous ne voulions surtout pas être dans la mise en scène de la douleur humaine. Il n’y a rien de plus insupportable. Nous sommes toujours au cordeau, en évitant la manipulation émotionnelle. » Le cœur de la série n’est pas le spectacle du drame, mais sa persistance. « Des vivants prend le temps de montrer ce que c’est que de vivre avec un traumatisme, de devoir se relever tous les matins avec ça en soi. Cette attention portée sur la durée, c’est toute la singularité du projet. »

La fiction a un rôle essentiel à jouer : elle crée des souvenirs presque romanesques autour d’une tragédie nationale.
Jean-Xavier de Lestrade
Réalisateur

Cette rigueur s’est prolongée sur le tournage. Filmer sur les lieux mêmes, au Bataclan, au Panthéon, au Palais de Justice, est devenu un incontournable, au fur et à mesure de la production, même si cela n’est pas allé sans quelques débats en interne. Matthieu Belghiti se souvient que l’idée n’a pas fait l’unanimité. « Nous parlons de l’intime, mais c’est vrai qu’il fallait donner une dimension collective forte à la série. Donc nous sommes allés filmer sur les lieux. Mais tourner au Bataclan, ce n’est pas simple. Parce que c’est une salle de spectacle souvent occupée. Et surtout, pour ses équipes, le souvenir des attentats est encore très présent. Certains artistes refusent toujours de se produire au Bataclan aujourd’hui. Il y a des personnes qui ont du mal à y retourner et nous pouvons comprendre que les propriétaires de la salle n’aient pas envie qu’elle soit encore associée à ce drame. En plus, il y a beaucoup de demandes de tournage, pour des documentaires et autres. Mais Jean-Xavier y tenait, et je crois qu’il avait raison : il ne faut pas sanctuariser cet endroit. Il faut en faire un lieu de vie, un lieu de mémoire, tout en respectant ce qui s’y est passé. Alors ils ont fini par comprendre notre démarche. Et nous avons eu le soutien des “potages”, qui ont écrit au Bataclan pour que nous puissions tourner sur place. Ça a pesé lourd dans la balance. » Ainsi, la production a bloqué pendant quelques nuits le boulevard Voltaire, dans le 11e arrondissement de Paris. « Nous avons envoyé deux fois huit mille courriers à tous les riverains pour les prévenir du tournage », se souvient Jean-Xavier de Lestrade. Un tournage entouré de précautions rares : « Nous avons même mis en place une cellule psychologique, au cas où certains habitants du quartier auraient eu besoin de venir parler. »

Filmer les lieux, la réalité, a été nécessaire. Mais à l’écran, la production s’est tenue à une forme de pudeur indispensable. Aucune image de mort, aucun effet de violence gratuit. « Montrer des morts, c’était hors de question, affirme le producteur. Ça aurait été insoutenable. Et en même temps, il ne fallait pas tricher sur la violence de l’attaque. Ces choix de mise en scène ont été discutés dès le départ avec Jean-Xavier et France Télévisions. » Le réalisateur précise : « Je crois que l’on voit un drap blanc passé furtivement sur un corps, mais c’est la seule chose. Ce n’est pas la peine de montrer des cadavres. Nous savons ce qu’il s’est passé. Nous entendons parfois des tirs des terroristes, mais il était hors de question de montrer un assassinat, la mort d’une des victimes du Bataclan. C’était inutile pour appréhender l’horreur. »

Nous sommes allés filmer sur les lieux. Mais tourner au Bataclan, ce n’est pas simple…
Matthieu Belghiti
Producteur

Des vivants n’est donc pas seulement une série sur les attentats. C’est une œuvre sur la reconstruction, sur la solidarité et sur la mémoire partagée. « Tous ceux qui ont travaillé dessus avaient un peu le sentiment de participer à quelque chose d’important, ils avaient comme le sentiment d’être en mission » insiste Matthieu Belghiti. « Même pour les équipes, ce n’est pas un sujet anodin. C’est quelque chose qui peut remuer, qui peut être difficile à affronter. » Une production complexe, qu’il a fallu aborder avec précaution, sans jamais passer en force. Avec cette idée que « dans vingt ans, si quelqu’un a envie de savoir ce qu’il s’est passé, il ou elle pourra regarder la série et être au plus près de la réalité et aussi de l’intimité des victimes », espère Jean-Xavier de Lestrade. Son producteur souhaite, lui aussi, avoir réussi à construire une fiction « aux vertus réparatrices. Une série qui montre que, même dans les périodes les plus compliquées, il y a des liens à créer, un truc qui nous unit tous. Et que nous arrivons à nous relever ensemble ».
 

Des vivants, minisérie en 8 x 52 min

Affiche de « Des vivants »
Des vivants France tv

A voir sur France.tv à partir du 27 octobre et sur France 2 à partir du 3 novembre 2025
Créée par Jean-Xavier de Lestrade et Antoine Lacomblez
Réalisée par Jean-Xavier de Lestrade
Scénario de Jean-Xavier de Lestrade et Antoine Lacomblez
Dialogues d’Antoine Lacomblez
Musique de Raf Keunen
Avec Benjamin Lavernhe, Alix Poisson, Antoine Reinartz, Félix Moati, Anne Steffens, Thomas Goldberg, Cédric Eeckhout…
Produite par Matthieu Belghiti (pour What’s Up Films), Jérôme Corcos (pour NAC Films) et Nicolas Mauvernay (pour Mizar Films)

La série a bénéficié d’aides à la production (automatique et sélective) du Fonds de soutien audiovisuel (FSA) du CNC.