En quoi Les Sentinelles est une série à la croisée des genres ?
Guillaume Lemans : C’est vrai qu’il y a une hybridation un peu risquée sur le papier. C’est pourquoi il fallait s’entourer de très bons réalisateurs et d’une excellente équipe technique pour donner dès le départ au monde des Sentinelles une esthétique visuelle qui fonctionne. Il fallait introduire un ancrage réaliste fort parce qu’ensuite, on insuffle à ce récit des couches diverses, notamment de la SF et du steampunk (ou « rétrofuturisme »).
À l’origine de la série, il y a la bande dessinée de Xavier Dorison (parue entre 2009 et 2014). Comment l’avez-vous découverte ?
La BD de Xavier Doison a très bien marché et a vite parlé aux professionnels du secteur. Beaucoup de réalisateurs ont rapidement identifié le potentiel qu’elle recelait. À un moment, il y a eu un projet de film, aux États-Unis, avec Alexandre Aja à la production, mais qui n’a pas abouti. Il faut dire que le concept de départ est génial : mixer la barbarie de la guerre 14-18 avec les nouvelles technologies. C’est simple et fort. De mon côté, j’avais envie de faire une série et je cherchais un univers à déployer. Quand j’ai su que les droits étaient à nouveau disponibles, je les ai acquis avec ma société de production (Federation Studios) et Delphine Clot (Esprits Frappeurs) nous a rejoint. J’ai appelé Xavier Dorison pour lui raconter mon projet et lui expliquer que le concept de sa BD était compliqué à adapter au cinéma mais formidable pour en faire une série.

Qu’avez-vous gardé de l’essence de la BD ?
On adapte le point de départ, l’univers des Sentinelles. Ensuite, on a pris beaucoup de libertés. Par exemple, Taillefer, le personnage central, fabrique sa propre armure dans la BD, mais pas dans la série. Nous sommes partis ailleurs. La BD est un récit de guerre, où Taillefer affronte de nouveaux méchants sur le champ de bataille. Il y a beaucoup de combats. Nous ne pouvions pas faire ça notamment pour des questions de budget. Donc nous avons rajouté des lignes dans le scénario, inventé des actions dans un laboratoire, une histoire d’espionnage dans les bas-fonds de Paris… Nous avons ajouté une dimension mystique avec les « damnés » et le Baron, un personnage qui n’existe pas dans la BD. On a également renforcé les personnages féminins en inventant celui de Gisèle. On se situe dans une adaptation libre. Il y a eu des surprises pour Xavier Dorison, c’est certain mais adapter c’est trahir par essence. L’important, c’est qu’il aime la série au bout du compte. Il en est vraiment content et ça me ravit.

Y a-t-il une volonté presque philosophique d’interroger l’histoire à travers le fantastique ?
Le sujet de la science au service de la mort est effectivement un point crucial de la création de la série. La Première Guerre mondiale se déroule en pleine période industrielle. Ce contexte a servi à inventer des dizaines de machines de mort. Les Sentinelles, c’est l’apothéose de cette course à l’armement.

Comment avez-vous reconstitué la Première Guerre mondiale ?
J’ai eu la chance de travailler avec de très bons réalisateurs. Thierry Poiraud et Édouard Salier sont deux fans de genre avec une vraie ambition de cinéma. Ce sont deux plasticiens, très précis sur la photographie et la direction artistique. En revanche, ce genre de séries nécessite du budget. Même si Canal+ joue totalement le jeu et met le financement adéquat, nous devons avoir une certaine intelligence de mise en scène. Nous avons beaucoup réécrit les scripts pour qu’ils rentrent dans les cases du possible. Ça veut dire aussi savoir renoncer à certaines séquences dont on avait rêvé sur le papier. Finalement, mieux vaut faire moins et beau, que tout et pas terrible.
Où avez-vous tourné ?
Quasiment 100 % du tournage s’est déroulé en Île-de-France. Nous avons tourné cent jours en tout, hormis 5 jours où nous sommes allés filmer dans une usine abandonnée en Alsace. Les deux tiers de nos décors ont été fabriqués dans l’ancien hôpital psychiatrique de Ville-Évrard (Neuilly-sur-Marne) : un bâtiment du XIXe siècle, qu’on a transformé en studio de cinéma. Nous avons tout réuni au même endroit : maquillage, costumes, etc. Nous y avons reconstitué un maximum de décors : le labo, le camp des Sentinelles et bien d’autres. Au terme de la production, nous avons recréé une tranchée sur un terrain de motocross, dans lequel nous avons creusé de grands trous à la pelleteuse, en ajoutant des barbelés. Il fallait reconstituer ces images d’Épinal de la guerre de 1914. C’était important pour toucher le public.
Quelle représentation de la guerre avez-vous souhaité porter à l’écran ?
La folie de ces batailles terribles. Notre histoire se déroule en 1915 et l’armée française est déjà totalement traumatisée par les combats. Au début du conflit, la violence des armes modernes a surpris. Nos soldats s’avançaient sur le champ de bataille, avec des baïonnettes au bout des fusils. Une bataille a fait 27 000 morts en une journée dans les rangs de l’armée française… Il faut se rendre compte de ce que cela représente. Nous voulions dépeindre cette barbarie dans notre série.
Les Sentinelles, saison 1 en 8 épisodes, à voir sur Canal+ à partir du 29 septembre 2025

Créée par Guillaume Lemans et Xabi Molia
Écrite par Guillaume Lemans, Xabi Molia et Raphaëlle Richet
Réalisée par Thierry Poiraud et Édouard Salier
Production Federation Studios, Esprits Frappeurs
Ventes internationales StudioCanal
La série a bénéficié du Fonds de soutien audiovisuel du CNC (Aides automatiques et sélectives) ainsi que l’Aide sélective aux effets visuels numériques.