« The Deal » : au cœur des négociations à haut risque sur le nucléaire iranien

« The Deal » : au cœur des négociations à haut risque sur le nucléaire iranien

27 octobre 2025
Séries et TV
« The Deal »
« The Deal » créée par Jean-Stéphane Bron et Alice Winocour Les Films Pelléas / Bande à part

Entre huis clos diplomatique et thriller politique, cette série de Jean-Stéphane Bron et Alice Winocour pour Arte décortique les négociations nucléaires de 2015 à Genève. À travers des personnages fictifs inspirés du réel, la série explore les coulisses du pouvoir, les tensions intimes et la fragilité des accords qui peuvent décider de la paix ou de la guerre. Rencontre avec les créateurs pour comprendre leur démarche, leur travail de documentation et la manière dont ils donnent corps à cette diplomatie invisible mais cruciale.


Pourquoi avoir choisi de mettre en scène ces négociations de Genève, entre l’Iran et les États-Unis ?

Jean-Stéphane Bron : Par proximité géographique et par intérêt. J’habite à Lausanne, à trente minutes de Genève, et je viens du documentaire. Je cherchais un point d’entrée dans la fiction qui soit dans l’ADN de mes films. J’ai toujours exploré les coulisses du pouvoir et de la politique (Cleveland contre Wall Street, 2010 ; L’Expérience Blocher, 2013), avec au centre la question de la parole échangée. Ces négociations à Genève me sont apparues comme une sorte de théâtre invisible où des enjeux géopolitiques complexes pouvaient s’éclairer en s’incarnant à travers des personnages. Dès le départ, je voulais écrire un thriller. Absolument. Très vite, avec Alice [Winocour] et les autrices et auteurs de la série, nous avons eu l’intuition que nous pouvions raconter un moment de bascule. Ce n’est pas une série sur l’actualité ou dans l’actualité, mais sur un instant fragile, où la diplomatie croyait encore dans le langage, dans les mots et le sens partagé que nous leur donnons.

Alice Winocour : Même si une négociation de ce niveau reste une arène d’affrontements et de conflits, c’est un espace où l’on tente de se mettre d’accord, et où chacun fait un pas vers l’autre. Cet accord, signé en 2015, repose sur des mots. Dans ce sens, c’est une série sur le monde d’avant. Avant que les rapports entre nations basculent exclusivement dans la brutalité, la menace et le pur rapport de force. Avant que les faits et la réalité tombent dans le monde orwellien de la réalité alternative, des faits alternatifs.

Une négociation, c’est à la fois le temps long de la partie d’échecs, mêlé au bluff du poker où tout peut se jouer sur une main. Ce qui m’intéressait, c’était de faire une série d’action, centrée autour de corps en mouvement.
Jean-Stéphane Bron

Quelle était la volonté derrière The Deal ? Raconter l’intime qui se cache derrière la « grande histoire » ?

AW : Oui, et même plus que ça : montrer que la grande histoire ne se fait pas sans les failles, les émotions, les trajectoires intimes de ceux qui y participent. La diplomatie, ce ne sont pas que des femmes et des hommes autour d’une table ; ce sont des êtres humains dont nous avons imaginé et inventé l’intime dans le hors-champ de l’histoire.

Pour cela, quel travail préparatoire avez-vous mené ?

JSB : Avec nos coscénaristes, nous avons travaillé comme pour un documentaire. Nous avons lu énormément – la presse de l’époque, des rapports, des témoignages. Nous avons rencontré des diplomates, des acteurs du terrain, nous avons même suivi un « séminaire » express de négociations à Genève. Il fallait comprendre les codes, les non-dits, les subtilités. Avec Eugène Riousse, l’un des coscénaristes, nous avions l’obsession de sonner juste. Jusqu’au tournage, j’ai travaillé dans l’ombre avec des diplomates qui m’ont conseillé sur chaque détail, des questions protocolaires à la dynamique particulière d’une négociation sous haute tension.

 

Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre les éléments réels et les personnages inventés pour les besoins du récit ?

AW : Nous sommes partis du réel, solidement, mais nous nous sommes autorisés à fictionnaliser pour donner de la cohérence dramatique. Par exemple, le rôle de la diplomate suisse dans la série est amplifié : en réalité, leur action est souvent plus discrète, plus diffuse. Mais c’est cette discrétion, le fait de raconter l’histoire du point de vue de celle qui n’est pas sur la photo officielle – comme dans Les Vestiges du jour (1993) de James Ivory, où le majordome regarde la grande histoire depuis les cuisines –, qui m’a particulièrement intéressée, le fait que ce soit aussi une négociation où les femmes ont joué un rôle important.

Nous avons voulu montrer que la grande histoire ne se fait pas sans les failles, les émotions, les trajectoires intimes de ceux qui y participent.
Alice Winocour

Comment filme-t-on la négociation, l’attente, dans un huis clos diplomatique ?

JSB : Une négociation, c’est à la fois le temps long de la partie d’échecs, mêlé au bluff du poker où tout peut se jouer sur une main. Ce qui m’intéressait, c’était de faire une série d’action, centrée autour de corps en mouvement. Les coulisses de la politique sont d’abord des corps qui occupent et organisent l’espace, puis des jeux de regards, enfin des mots qui performent.

De qui s’inspire Alexandra, le personnage central, qui organise ces négociations avec une posture de neutralité ?

JSB : C’est un personnage composite. Nous avons rencontré une diplomate suisse qui avait passé des années en Iran, son expérience nous a beaucoup nourris. Alexandra n’est pas son portrait, mais elle incarne cette figure rare : une femme à un poste stratégique, discrète, puissante, observatrice. C’est un personnage en tension entre la neutralité politique et l’engagement personnel.

« The Deal » créée par Jean-Stéphane Bron et Alice Winocour Les Films Pelléas / Bande à part

Alexandra se retrouve souvent comme une observatrice. Comment avez-vous travaillé cette position narrative ?

AW : C’était essentiel. Elle est à la fois dedans et dehors. Nous avons voulu que son regard devienne peu à peu le nôtre. Elle observe les jeux d’influence, les failles des autres, tout en étant elle-même prise dans une faille intime, un conflit personnel, entre sa mission de facilitation diplomatique et son cœur, qui lui dicte de tout mettre en œuvre pour sauver un ancien amour.

Le multilinguisme de The Deal fait aussi partie de sa vérité.
Jean-Stéphane Bron

Comment avez-vous dirigé ce casting international, entre langue anglaise, française et persane ?

JSB : Il y a eu un travail très minutieux sur le farsi, avec plusieurs passages, des discussions infinies sur tel mot ou telle expression. Il fallait que l’anglais – souvent la langue de la négociation – ne gomme pas les nuances, que le persan garde sa densité. Le multilinguisme de The Deal fait aussi partie de sa vérité.

Comment s’est passée votre collaboration ? Comment travaillez-vous ensemble ?

AW : Très naturellement. J’ai essayé de maintenir le cap du huis clos, en rappelant qu’il fallait faire confiance à la force du dispositif et ne pas multiplier les intrigues extérieures. Nous avons déjà collaboré sur plusieurs films avec Jean-Stéphane (Maryland, 2015 ; Revoir Paris, 2022). Ce qui était nouveau, c’était l’écriture à plusieurs, où chacune et chacun a joué son rôle. Nous aimerions rendre hommage aux autrices et auteurs qui ont travaillé avec nous.

Le fait que ce soit aussi une négociation où les femmes ont joué un rôle important m’a également beaucoup intéressée.
Alice Winocour

Où avez-vous filmé les scènes censées se dérouler dans ce palace genevois ?

JSB : Nous avons tourné dans plusieurs hôtels, sept au total, en Suisse et au Luxembourg, pour n’en faire qu’un. Il fallait que l’espace paraisse crédible, à la fois fonctionnel et presque intemporel. Ces lieux sont à la fois luxueux et désincarnés : parfaits pour une guerre de position, d’un point de vue symbolique, mais aussi très concrètement dans le mouvement et la vitesse. C’était mon obsession, je voulais qu’il y ait une grande vitalité dans la mise en scène et une grande fluidité.

Que voudriez-vous que le public retienne après avoir vu la série ?

AW : Que la diplomatie est un art fragile – et précieux. Que le monde ne tient parfois qu’à une poignée de gens qui choisissent de parler.

JSB : Un diplomate qui a participé à ces négociations sur un temps long nous a dit récemment : « C’était l’accord ou la guerre. » Avec The Deal, nous essayons de montrer que la guerre n’est pas toujours inéluctable. 
 

The Deal, série en 6 épisodes, à voir sur Arte.tv et Arte

Affiche de « The Deal »
The Deal Arte

Créée par Jean-Stéphane Bron et Alice Winocour
Réalisation : Jean-Stéphane Bron
Scénario : Jean-Stéphane Bron, Alice Winocour, Eugène Riousse, Stéphane Mitchell, Julien-Guilhem Lacombe
Avec : Veerle Baetens, Juliet Stevenson, Arash Marandi, Anthony Azizi, Fenella Woolgar...
Coproduction : ARTE France, Bande à part Films, RTS, Les Films Pelléas, Gaumont Télévision

Soutien sélectif du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (FSA)